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Par Charles de Lespinay (1)
Au Nom de Dieu? Non, le
génocide de 1994 au Rwanda, les crimes contre l'humanité et autres actes
génocidaires dans la région des Grands Lacs depuis plus de 30 ans, n'ont pas
été commis au nom de Dieu. Cependant, la propagande des criminels a insisté
pendant toute la durée du génocide au Rwanda sur le fait que Dieu était avec
le peuple.(2) Est-ce pour cela que les
meurtriers se sont cru autorisés d'utiliser les églises, lieux de refuge pour
les Tutsi exclus du peuple et traqués, comme abattoirs humains?
Depuis l'indépendance du Rwanda
et du Burundi, des massacres touchant des civils - dont femmes, enfants, bébés
- n'ont cessé de se répéter à l'intérieur de ces deux pays selon des
processus différents, obligeant une partie de la population à fuir. Ils
touchent principalement une catégorie de citoyens considérée comme une ethnie
étrangère, les Tutsi, et se sont souvent accompagnés au Burundi d'une
répression sanglante contre une autre catégorie de citoyens considérée comme
autochtone, les Hutu (il existe d'autres catégories oubliées par tout le monde
mais prises elles aussi dans les massacres). Un seul de ces massacres, celui de
1994, ayant pour but de faire disparaître complètement les Tutsi, a été
qualifié de génocide par l'O.N.U., probablement à cause de son étendue:
près d'un million de personnes. Les autres massacres, dont certains (au Burundi
en particulier) qui touchent systématiquement les cadres hutu sont nettement
des actes de génocide, peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité.
Pour la plupart, ces massacres sont restés impunis, consacrant ainsi en quelque
sorte leur légitimité.
Le Rwanda et le Burundi étant
christianisés à 90 %, beaucoup de personnes se sont interrogées sur le rôle
des églises chrétiennes dans la propagation des idéologies d'exclusion et
dans l'explosion génocidaire qui en est aujourd'hui la conséquence à travers
toute la région des Grands Lacs est-africains. Mais il ne faut pas négliger
pour autant l'action courageuse de nombreux hommes d'église (dont plusieurs ont
été massacrés) et de chrétiens au cours des massacres et après ceux-ci.
Divers travaux de spécialistes (entre autres les Français J.P. Chrétien, D.
Franche, Cl. Vidal) montrent bien la part principale prise par les
missionnaires chrétiens dans l'officialisation et l'enseignement de mythes
raciaux d'origine biblique, ceci tout au long de l'époque coloniale et de la
période de l'indépendance, sans parler de la participation directe de certains
prêtres à des actes de génocide.
Il apparaît d'entrée que, s'il
ne faut pas rendre globalement les institutions religieuses responsables au
même titre que les pouvoirs politiques en place des actes de génocide et des
massacres, par contre de nombreux cadres des églises chrétiennes appuyés par
leur institution ont une responsabilité directe, soit par complicité, soit par
incompétence, en propageant des idéologies criminelles. Cependant, on est
toujours en attente d'une condamnation claire par les églises chrétiennes, en
particulier par l'église catholique, de tous les massacres quels qu'ils soient
et sans l'amalgame trop répandu entre les assassins et les victimes.
La publication récente de
plusieurs livres par des chrétiens engagés nous amène à reposer la question
pour le temps présent du rôle des hommes d'église dans la situation
catastrophique de cette région et de l'éventuelle responsabilité juridique de
certains d'entre eux comme propagateurs, peut-être involontaires,
d'informations tendancieuses entretenant un climat de peur, de méfiance et de
haine, niant la réalité d'un génocide et pouvant conduire à de nouveaux
massacres. Au préalable, il est nécessaire de résumer l'implication
passée des missionnaires dans les conflits actuels.
I - Le passé missionnaire de pays massacrés
Dès les premiers contacts des
missionnaires européens avec la région des Grands Lacs, à la fin du 19e
siècle, ceux-ci reprennent à leur compte l'interprétation toute biblique du
peuplement local faite par les premiers explorateurs des décennies
précédentes (comme J.H. Speke en 1863). Pour leur politique de conversion, il
leur fallait déterminer qui étaient les peuples, puis qui étaient les chefs
de ces peuples afin de les convertir avec l'espoir d'entraîner à leur suite
tous leurs administrés. Pour cela, ils avaient une grille de lecture toute
simple, inspirée à la fois de la Bible et de l'histoire de l'Europe de
l'Ouest.(3)
Déterminer qui sont les chefs pour convertir leurs sujets
Pour eux, les Tutsi, catégorie
de population dont une minorité détient alors le pouvoir au Rwanda central
(mais pas au Burundi), sont des Hamites, éleveurs nilotiques à la peau
«claire»,(4) «arrivés» au 15e
siècle, aristocrates, êtres supérieurs, parents des Juifs et cousins des
Blancs. On les reconnaît, parait-il, à leur grande taille! Joseph-Arthur de
Gobineau, dans son Essai sur l'inégalité des races humaines, en
1853-1855, livre qui inspira Hitler, ne parlait-il pas de la migration des
Chamites (les Hamites), descendants de Cham et de Noé, peuples blancs venus
d'Asie septentrionale par l'Arabie jusque dans l'Est de l'Afrique. Tous les
peuples de pasteurs d'Afrique devaient être les descendants un peu africanisés
de ces Hamites.
A côté d'eux, la catégorie
des Twa serait composée d'artisans et de chasseurs pygmées (de «petite
taille», malgré leur moyenne anthropométrique de 1m 59), autochtones, dont
les Hutu, catégorie de population dite «bantu» arrivée il y a 2000 ans,
auraient hérité de la légitimité sur le sol. Ces Hutu, les plus nombreux,
seraient uniquement agriculteurs, de taille «moyenne», à la peau «sombre»,
de vrais Africains. On attend toujours aujourd'hui un commencement de preuve sur
ces mythes forgés de toutes pièces. Les missionnaires (Français et Belges
surtout), imprégnés d'une théorie des invasions successives comme celles des
Gaulois puis des Francs dans l'histoire franco-belge, ne pouvaient envisager
l'histoire de la région des Grands Lacs qu'à travers des migrations dont celle
des Hamites tutsi aurait été le couronnement civilisateur.
De même que le colonisateur
allemand, insuffisant en nombre et en moyens, le colonisateur belge(5)
qui lui succède à la fin de la première guerre mondiale laissa les
missionnaires plus nombreux prendre en charge l'enseignement et les services de
santé, en s'appuyant de plus en plus exclusivement sur les supérieurs des
missionnaires catholiques (Mgr. Hirth, Classe, Gorju). Ceux-ci vont se charger
tout d'abord de la conversion et de la formation de ceux qu'ils appellent les
«élites», c'est-à-dire l'aristocratie tutsi. Leur enseignement va insister
sur l'identification des catégories de populations en terme raciaux.(6)
Ils ajouteront à cela une lecture féodalisante des phénomènes
socio-politiques: tous les Tutsi, des plus grands aux plus petits de l'échelle
sociale, sont des «seigneurs féodaux», alors que tous les Hutu, y compris les
chefs et les descendants d'anciens rois, sont des «serfs» voués à la
domination. Ce sera par la suite une des causes de l'introduction de la lutte
des classes dans la compétition pour le pouvoir. Cette analyse, d'influence
européenne, des royaumes rwandais et burundais comme entités féodales est
anachronique, non transposable, et en outre fausse puisque le terme
«féodalité» implique un pouvoir faible et divisé, ce qui n'est pas le cas
ici. Elle permettait d'insister sur le «retard» des populations locales par
rapport aux pays européens et sur la mission «civilisatrice» conjointe de la
colonisation et du christianisme.
Tous les missionnaires
n'étaient pas dupes. Bien informés des réalités locales, de l'existence de
rois «hutu» au début du 20e siècle à la périphérie du Rwanda
central, de principautés «hutu» et d'une monarchie non tutsi au Burundi, mais
aussi des exactions de certains grands chefs et princes de la cour royale et de
leur résistance à la conversion, certains Pères Blancs s'opposèrent au mythe
idyllique du Tutsi hamite civilisateur et à l'alliance avec les Tutsi. Mais ils
ne remirent pas en cause la réalité des distinctions raciales instaurées,
acceptant ainsi le regroupement arbitraire de toute la population en deux
ethnies vouées à une haine réciproque.
catégorie |
culture |
élevage |
chasse |
pêche |
poterie |
forge |
pouvoir |
|
|
|
|
|
|
|
|
Twa H |
* |
- |
** |
* |
- |
* |
- |
Hutu H |
* |
* |
* |
* |
* |
* |
religion, |
non H |
* |
* |
** |
** |
* |
* |
religion, |
Tutsi H |
* |
*** |
* |
- |
(*) |
... |
prestige, |
Ganwa H |
gestion |
gestion |
** |
- |
- |
... |
politique |
(H= homme, F= femme) (in: Mageza & Lespinay,1990)
Les
catégories du Burundi et leurs activités au début du XXe siècle
(les rares distinctions se sont estompées aujourd'hui)
L'affaiblissement de la religion locale et du pouvoir royal sacré
Les bami (rois) du Rwanda
et du Burundi, voyant le risque que peut engendrer l'expansion de la nouvelle
religion sur leur royauté sacrée, fondement de la société et des
institutions politico-foncières, garante de l'équilibre politique et social,
se méfient des missionnaires et du nouveau pouvoir qu'ils sont en train
d'installer. Ceux-ci ne se privent pas d'ailleurs de défier le pouvoir royal et
la religion des habitants, en s'installant sans autorisation près ou sur des
sites sacrés ou royaux. N'étant pas jugée digne de respect, la religion
locale du kubandwa est considérée comme une superstition à extirper et
non comme une religion.
En 1931, les «Pères blancs»
entreprennent l'évangélisation massive de la région. C'est une véritable
conquête religieuse qui commence. L'église catholique conquérante ne va pas
supporter la concurrence, que ce soit de la part de la religion locale ou des
autres confessions chrétiennes. Elle ira jusqu'à encourager par voie d'affiche
la dénonciation des mauvais convertis (c'était encore le cas au Burundi, à
Mpinga dans le Nkoma, en 1980), faisant aussi des autodafés d'instruments du
culte du kubandwa.
Les Pères blancs jettent leur
dévolu au Rwanda sur Rudahigwa, fils du mwami (roi) Musinga, le
convertissent, puis obtiennent du pouvoir colonial la destitution du roi, à
l'instigation de Monseigneur Classe, et la nomination de chefs de l'aristocratie
tutsi à la place des chefs hutu en poste. Leur pupille sera intronisé mwami,
sous le nom de Mutara III et, après une très longue instruction religieuse, il
sera baptisé solennellement en 1943, le Rwanda étant ensuite consacré au
Christ-roi (1946). La nouvelle monarchie, devenue chrétienne, n'a plus la
légitimité sacrée de celle de Musinga, parti en exil. En outre, les cadres
provenant de la haute aristocratie tutsi et dont la mise en place systématique,
sur les conseils des missionnaires, avait déjà commencé sous la colonisation
allemande, commettent de nombreuses exactions, créant un fossé entre eux et le
reste de la population. C'est alors l'effondrement de l'ancien système de
valeurs qui assurait l'équilibre entre les diverses couches de la société
depuis des siècles.
Les prêtres catholiques
poursuivent la formation d'une nouvelle élite (ceux que l'on appelle
aujourd'hui les «intellectuels») prise parmi les Tutsi, à qui l'on apprend
toujours qu'elle est de race supérieure, et dont les Hutu sont exclus.
Cependant, les Hutu accèdent au monde des Blancs en entrant dans les ordres et
profitent du même endoctrinement idéologique avec les rancoeurs
correspondantes.
Une situation identique se
retrouve au Burundi, où les missionnaires catholiques obtiennent du
colonisateur la suppression de la fête religieuse nationale du Muganuro
et la destitution de l'aristocratie religieuse hutu, tout en affaiblissant le
pouvoir royal ganwa (non Tutsi) au profit de familles princières ganwa
et de familles tutsi de l'aristocratie placées à la tête des postes
d'encadrement occupés auparavant par beaucoup de Hutu.(7)
Le même schéma idéologique qu'au Rwanda est enseigné aux «élites»
considérées comme Tutsi (même lorsqu'elles ne l'étaient pas) et, à travers
les séminaires, aux Hutu «inférieurs» (tout ce qui n'est pas Tutsi ne
pouvant qu'être Hutu, à l'image du modèle rwandais immuable).(8)
La réforme administrative des années 1925-1933 dont les objectifs sont
illustrés par une enquête de 1929 «fait de l'appartenance ou de la
sympathie envers la religion catholique un critère et une condition suffisants
pour rester dans la fonction de chef... Beaucoup de chefs alors païens se
tournent vers la religion chrétienne.» (9)
L'entreprise de conversion suivie étant exactement la même qu'au Rwanda, le
revirement brutal de la politique missionnaire et coloniale qui se produit dans
les années 1950 sera identique dans les deux pays.
La rupture avec "la race tutsi dominatrice"
Un premier évêque rwandais,
Monseigneur Bigirumwami, sera consacré en 1952 et consacrera à son tour en
1956 Monseigneur Perraudin. Celui-ci est opposé à la politique pro-tutsi de
l'église et favorable aux Hutu. Il devient archevêque et chef de l'église du
Rwanda. Le roi Mutara prenant ses distances avec le pouvoir colonial, Mgr
Perraudin rompt les liens privilégiés de l'église avec l'aristocratie tutsi,
suivi par l'administration coloniale. Les Tutsi (l'aristocratie et la masse des
autres tutsi, pourtant dominée comme tout le peuple par cette aristocratie)
sont désormais considérés comme des ennemis. A partir de ce moment, l'église
catholique, qui détient le monopole de l'enseignement, encourage la formation
d'une élite contestataire hutu, dont Grégoire Kayibanda, futur premier
président du Rwanda indépendant, est le chef de file. Avec la collaboration
des Pères Blancs, semble-t-il,(10) il
rédige avec plusieurs Hutu «évolués» en mars 1957 le Manifeste des
Bahutu, demandant un partage du pouvoir aux autorités tutsi, ce que
celles-ci refusent. Le manifeste présentait explicitement le problème social
comme un problème racial, celui de la race hamite, réclamant en outre une
politique de quotas raciaux dans l'enseignement à l'aide des livrets
d'identité «ethnique» créés par le pouvoir colonial.
La lettre pastorale de
Monseigneur Perraudin du 11 février 1959, d'aspect très modéré, mais à
l'origine directe de la révolution qui va suivre, est une bonne illustration de
ce qui se prépare en fait. Extraits:
«Nous ne croyons pas exagérer en disant qu'il n'y a pas assez de charité
dans notre cher Ruanda, même entre chrétiens...» «Il y a aussi dans notre
cher Ruanda, comme dans beaucoup d'autres pays du monde, divers groupe sociaux.
La distinction de ces groupes provient en grande partie de la race mais aussi
d'autres facteurs comme la fortune... Parmi les Africains il y a les Batutsi,
les Bahutu et les Batwa; il y a des riches et des pauvres; il y a des pasteurs
et des cultivateurs; il y a des commerçants et des artisans...; il y a des
gouvernants et des gouvernés.»
Notons que le parallélisme n'est pas involontaire, entre les Batutsi (= Tutsi):
riches, pasteurs, commerçants, gouvernants, et les Bahutu (et Batwa): pauvres,
cultivateurs, artisans, gouvernés. C'est le point de vue encore actuel de
beaucoup de prêtres et de pasteurs à propos du Rwanda, après 34 ans de
pouvoir «hutu» sans partage, et du Burundi, toujours entre les mains d'une
minorité issue du groupe «minoritaire» tutsi.
«Constatons tout d'abord qu'il y a réellement au Ruanda plusieurs races
assez nettement caractérisées ...» «Toutes les races sont également
respectables et aimables devant Dieu. Chaque race a ses qualités et ses
défauts...» «Dans notre Ruanda les différences et les inégalités sociales
sont pour une grande partie liées aux différences de race...» «Mais il est
certain que cette situation de fait ne répond pas aux normes d'une organisation
saine de la société ruandaise et pose aux Responsables de la chose publique
des problèmes délicats et inéluctables.» «L'Eglise est contre la lutte des
classes entre elles, que l'origine de ces classes soit la richesse ou la
race..., mais elle admet qu'une classe sociale lutte pour ses intérêts
légitimes par des moyens honnêtes...».
Prêchant l'union et refusant la
haine, bien que Mgr Perraudin ait oublié la participation passée des
missionnaires à 60 années de manipulations qui sont à l'origine même de
cette situation d'inégalité, sa lettre paraît conciliante alors qu'en
réalité elle consacre la nécessité de lutter contre les inégalités en se
fondant sur le critère racial! En 1959, peu d'années après la condamnation,
internationale et unanime, des crimes nazis, les hommes d'église ne semblent
pas conscients des implications racistes de leur discours, imprégnés qu'ils
sont de la conception biblique de «race» qui est essentiellement
généalogique et dont l'utilisation est cependant périlleuse. C'est là toute
l'ambiguïté des positions toujours actuelles des églises chrétiennes en
matière de réconciliation, comme nous allons le voir ensuite.
En 1959, le mwami Mutara
décède et son successeur, Kigeri V, est proclamé sans l'accord préalable du
gouverneur belge Harroy. Des troubles éclatent alors entre contestataires hutu
et chefs tutsi. Le colonel Logiest envoyé pour rétablir l'ordre destitue les
chefs et sous-chefs tutsi et les remplace par des Hutu, avec l'appui de
l'archevêque monseigneur Perraudin. Un nouvel ordre hutu est installé, dont
les Tutsi sont exclus. Ce fut le début, ainsi que pendant toute la durée de la
république indépendante qui est instaurée, de heurts avec des réfugiés
contestataires sur les frontières, suivis de massacres génocidaires contre les
Tutsi. Les nouveaux dirigeants ont repris à leur compte l'idéologie des trois
races apprise auprès des missionnaires... Tout au long des présidences de
Kayibanda puis de Habyarimana, les dirigeants de l'église catholique rwandaise,
qui est devenue la principale force économique du pays, appuieront le pouvoir
«hutu», jusqu'à sa chute en 1994.
Au Burundi, la position de
l'église catholique n'est pas différente, à ceci près que les cadres hutu
formés dans les séminaires n'auront pas la possibilité de prendre le pouvoir
lors de l'indépendance. Certains milieux tutsi, inquiets de la situation au
Rwanda où les massacres se multiplient et d'où les réfugiés affluent,
prennent les devants et, mettant fin à la monarchie, accaparent le pouvoir en
croyant ainsi échapper à un massacre inéluctable. Ne pouvant éviter les
nombreuses provocations d'extrémistes suivies de massacres de Tutsi, les
dirigeants se laissent entraîner à plusieurs reprises dans la spirale de la
répression sanglante et aveugle.
Sous le régime du président
Bagaza (1976-1987), celui-ci rompt avec les églises qu'il estime trop
puissantes et trop proches du peuple et des Hutu en particulier. Bien que
l'histoire politique et sociale de ce pays soit tout-à-fait différente de
celle du Rwanda, les mêmes mythes raciaux y sont enseignés par les églises
catholiques et protestantes jusqu'aujourd'hui, avec les mêmes manipulations
idéologiques à propos de la nécessaire prise de pouvoir par le «peuple
majoritaire hutu», et les deux camps artificiellement créés y souffrent des
mêmes peurs réciproques.(11)
L'exacerbation des rivalités actuelles reste uniquement le fait des
intellectuels, ces «élites» formées par les missionnaires.
II - Un enseignement «chrétien» de la haine
Une partie importante de la
littérature publiée après le génocide au Rwanda par des religieux
catholiques et des pasteurs protestants, à propos du Rwanda, du Burundi et de
l'Est de l'ex-Zaïre, montre très nettement qu'il y a continuité d'implication
des hommes d'église dans la manipulation des consciences avant, pendant et
après le génocide. Ils ne semblent pas capables d'analyser froidement leur
échec, l'impact de leur enseignement idéologique dans les massacres, leurs
erreurs, le non respect de leurs lieux sacrés en tant que refuges au cours des
massacres, leur complicité dans l'établissement d'un climat de peur. Certaines
positions sont scandaleuses et vont jusqu'à encourager les conflits entre les
parties, opposées chacune dans un camp.
C'est en particulier là que les
églises paraissent montrer qu'elles ont failli à leur mission, qu'elles
s'avèrent, à preuve du contraire, dangereuses pour les populations qui leur
sont culturellement étrangères, et que faute d'examen de conscience suffisant
elles ne sont pas prêtes à s'arrêter en si mauvais chemin.
La responsabilité du diable, pas des Hutu
Le témoignage en 1995 d'un
prêtre français, le R.P. Gabriel Maindron, originaire de Vendée,(12)
formé dans un séminaire rwandais au moment de l'indépendance, est très
révélateur des nombreux parallélismes que font les Européens entre leur
propre passé et celui de la région des Grands Lacs (le passé mérovingien de
la France, la féodalité, la révolution française, la lutte des classes, les
guerres de religion en France, etc). Il montre aussi la compromission de
l'Eglise avec le régime rwandais coupable de génocide. Le père Maindron
explique la violence au Rwanda par une responsabilité réciproque des racistes
et des démocrates, des Tutsi et des Hutu, dont le physique différent se
reconnaîtrait facilement.
De ce prêtre dépassé par les
événements, on voit les incertitudes ou les compromissions, selon
l'interprétation. Par exemple lors d'une messe en plein génocide devant des
femmes hutu, pendant que leurs maris font la chasse aux Tutsi cachés près de
son église; ou par l'invitation aux mourants et aux rescapés provisoires de
pardonner à l'avance aux meurtriers qui vont revenir les achever (les prêtres,
lors des massacres de la révolution française demandaient bien la même choses
aux mourants et aux condamnés en sursis, souvent avant d'être eux-mêmes
exécutés). En plein génocide, il fait toujours confiance aux gendarmes du
régime qui a condamné à mort les Tutsi, leur confiant 200 réfugiés qu'il a
pu cacher! Pour lui comme pour beaucoup de prêtres, le responsable de ces
massacres inhumains, de cet enfer, ne peut être que le diable, pas les hommes
du gouvernement.(13)
La faillite des Eglises ?
Quelques écrits, moins connus
semble-t-il, font état d'une faillite des Eglises au Rwanda et au Burundi, où
les massacres continuent, au compte-goutte, comme a pu l'écrire à propos des
Hutu burundais P.S. Pinheiro, rapporteur spécial de l'O.N.U. De nombreux
témoignages de prêtres et de pasteurs rappellent la réalité et l'horreur du
génocide commis au Rwanda contre les Tutsi et les Hutu de l'opposition, de
même que les massacres commis au Burundi contre des Tutsi et des Hutu. La
participation au génocide du père Wenceslas Munyeshyaka dans sa propre église
(église de la Sainte Famille), aujourd'hui réfugié en France, est tristement
illustrée par de nombreux témoignages, avec le tri qu'il fit entre les Tutsi
et les Hutu, livrant les premiers à la mort fournée après fournée. Est aussi
révélé au grand jour l'isolement des églises de l'Est du Zaïre(14)
faisant face à la détresse des réfugiés rwandais avec peu de moyens
comparativement avec les diverses ONG oeuvrant dans la région.
Selon H. Mac Cullum (1995), «la
hiérarchie ecclésiastique recevait un appui et des prodigalités
considérables de la part du parti au pouvoir: elle est restée trop souvent
silencieuse face à l'injustice, réticente à faire usage de sa position
d'autorité face au vide moral de la société rwandaise dans les dernières
années d'Habyarimana.» «... en tout état de cause l'Eglise, au niveau
international, n'a pas pu ou n'a pas voulu fournir ce qu'elle a offert pendant
25 ans aux victimes de l'apartheid en Afrique du Sud : son soutien
inconditionnel et sa solidarité.» Il faut noter aussi les profanations
systématiques commises dans les églises en même temps qu'elles étaient
devenues lieux d'abattoir humain, comme exemple du délabrement moral de la
société. Un certain nombre d'autorités catholiques et protestantes se refuse
toujours à condamner les responsables des massacres et à qualifier les tueries
de génocide.
Mais beaucoup d'autres écrits
défendent la thèse du double génocide, certainement dans un objectif de
conciliation et de réconciliation. C'est le cas en particulier du groupe
Jérémie, association chrétienne zaïroise des droits de l'homme. Celui-ci a
édité en 1996 sous la direction d'un Père blanc, Philippe de Dorlodot, un
recueil de lettres, tracts et déclarations émanant d'organisations et de
personnalités hutu, ainsi que de leurs partenaires zaïrois et européens. On y
assiste à la récupération d'un crime contre l'humanité transformé en
«crise humanitaire» en faveur des réfugiés hutu ayant fui avec les
responsables et encadreurs des massacres de 1994. Le fait que le régime
rwandais ait produit plus de 600.000 réfugiés tutsi, raison de leur tentative
de retour armé à partir de 1990, est complètement ignoré par ces
responsables chrétiens. Pour eux, l'armée des envahisseurs tutsi du FPR est
responsable de tous les maux actuels de la région, car leur exil est justifié
(ce sont des monarchistes exploiteurs du peuple).(15)
Le recueil de textes commence
par la biographie de l'un des rédacteurs Mgr Munzihirwa dont il est dit: «il
connaît le Rwanda de l'intérieur et il a vu alors les humiliations qu'avaient
à subir les Hutu...» en oubliant que cela fait plus de 30 ans qu'ils ne
sont plus humiliés, contrairement aux Tutsi rwandais. On devine déjà quel va
être l'objectif des textes présentés: la diabolisation des Tutsi. Dès la
première page d'introduction, les arrestations effectuées au Rwanda sont
présentées comme arbitraires et les prisons, «véritables mouroirs», «révèlent
l'ampleur de la purification ethnique entreprise par le FPR» (front de
libération composé de réfugiés Tutsi) contre les Hutu. Les réfugiés (hutu)
rwandais et burundais au Zaïre «dans leur très grande majorité sont
victimes d'une politique d'exclusion» qui pèserait plus lourd selon la
morale chrétienne que le génocide de centaines de milliers de Tutsi. La
manipulation des réfugiés par des membres des forces du gouvernement rwandais
génocidaire serait une invention (elle a cependant été démontrée en 1997).
Plus loin, P. de Dorlodot signe un texte où il écrit que les causes des
massacres sont les deux races: «les différences entre eux sont très
profondes. Et pendant des siècles de royauté tutsi, les Hutu furent les serfs,
les esclaves. Ils étaient méprisés.» Il y justifie aussi la politique
des quotas, parle de «guerre civile» et de «résistance de l'armée
rwandaise» pour décrire le massacre organisé de populations sans défense
composées de femmes, de vieillards, d'enfants, de bébés, puis accepte le
terme «génocide».
Enfin, un texte résume le souci
de rééquilibrage du groupe Jérémie, écrit par P. de Dorlodot: «Il y a
deux génocides au Rwanda qui est détruit par les extrémistes des deux bords.
Il y a le génocide perpétré (...) à l'encontre des Tutsi... Et il y a aussi
le génocide - dont on ne parle pas - celui perpétré par le FPR dans les zones
occupées. On sait qu'il y a eu des massacres massifs et les témoignages
précis qui manquaient commencent à arriver. On est sans nouvelles de 400 à
500.000 déplacés... Par ailleurs, il y a deux camps au moins de déplacés
Hutu qui ont disparu... Plus d'un million de réfugiés ont afflué à Goma et
environs parce que paniqués par le FPR... C'est un génocide!» Le FPR est
présenté comme ayant provoqué volontairement le départ des réfugiés hutu.
Les actes de vengeance sur des personnes présumées coupables de massacres,
certes répréhensibles, sont qualifiés de génocide sélectif sur les Hutu. Le
génocide contre les Tutsi est minimisé et les morts de 1994 sont revendiqués
comme essentiellement Hutu, «preuve» de l'existence d'un génocide contre les
Hutu. Ces écrits, forme de négation du génocide de 1994 à l'égard des
Tutsi, sont identiques à ceux produits par les penseurs du génocide avant et
après celui-ci. Ce n'est pas un hasard, leurs auteurs ont suivi le même
enseignement dans les écoles tenues par les missionnaires et leurs successeurs
africains.
Néanmoins, on peut comprendre
que beaucoup de prêtres, au Rwanda comme au Burundi, en s'exprimant de façon
plus mesurée, essayent d'éviter que les massacres de Tutsi occultent les
autres massacres qui ont touché beaucoup de Hutu innocents ces dernières
années dans les deux pays, et depuis 30 ans au Burundi. Un chrétien burundais
rappelle que «le "génocide Tutsi" est devenu une idée fixe très
rentable politiquement mais qui fait oublier les milliers de hutu massacrés
régulièrement par l'armée et les milices tutsi» au Burundi.(16)
On ne peut oublier en particulier les massacres massifs de 1972 au Burundi,
impunis à ce jour, contre les cadres et intellectuels hutu. Mais il ne faudrait
pas non plus que les massacres de Hutu occultent le génocide des Tutsi,
actuellement inachevé.
Que les coupables victimes demandent pardon aux innocents assassins
La position la plus extrême
provenant d'un homme d'église est celle d'un pasteur néerlandais qui a vécu
longtemps au Rwanda, C.M. Overdulve. Celui-ci reprend à son compte la haine de
la propagande génocidaire à l'égard des Tutsi (Rwanda. Un peuple avec une
histoire, 1997). Pensant que, pour réconcilier les Rwandais, il faut
établir la vérité historique et les responsabilités des Tutsi, il en arrive
à un raisonnement scandaleux qui lui permet de justifier les crimes commis
contre les Tutsi selon une fausse loi du talion.
Selon lui, la situation actuelle
est due à la domination sur les Hutu des envahisseurs tutsi depuis leur
«arrivée» au 14e siècle jusqu'en 1959 et, depuis cette date, aux
persécutions à partir de l'étranger par les «royalistes» tutsi du Front
Patriotique Rwandais (FPR): ce sont les véritables coupables des massacres car
ils les ont provoqués sciemment, les vraies victimes étant les Hutu (les tués
et les assassins confondus). Cette accusation est maladroite, démesurée et peu
propice à instaurer un climat de réconciliation. C'est l'illustration de ce
que peut donner l'utilisation de la Bible, ainsi que des ouvrages scientifiques
sur la région des Grands Lacs, entre les mains de personnes incompétentes.
Comment peut-on accuser entre autres des enfants, des bébés, d'être coupables
de leur propre mort ?
C.M. Overdulve veut faire une «histoire
de la pauvreté, de la lutte pour la survie». Il reprend le mythe de
l'existence multi-séculaire d'une «opposition entre vainqueurs [Tutsi] et
vaincus [Hutu]». Tous les Tutsi sans exception auraient formé une
caste militaire dont les Hutu étaient exclus (ce qui est faux). Ils seraient
des «seigneurs», les contrats fonciers ayant été élaborés par eux
pour dominer les Hutu. La corvée (uburetwa) aurait été créée à la
fin du 19e siècle par le roi Kigeri Rwabugiri pour réduire les Hutu
en esclavage au profit de tous les Tutsi, riches et pauvres... «Par rapport
aux Hutu, le Tutsi pauvre [noter le singulier] n'était pas vraiment
pauvre.» Etc. La colonisation ne serait pour rien dans la systématisation
de l'opposition entre «majorité» hutu et «minorité» tutsi, bien qu'elle
ait cependant aggravé la pauvreté des Hutu. D'après Overdulve, la politique
des quotas, ayant obligé beaucoup de Tutsi sans travail à se lancer dans le
commerce, activité étrangère à la culture locale, aurait permis à ceux-ci
de s'enrichir: il leur reproche d'avoir ainsi contourné la règle d'exclusion
des quotas, ce qui semble les rendre à ses yeux encore plus odieux!
Il assure qu'il est difficile «de
savoir qui étaient les coupables et qui étaient les victimes» lors de la
«guerre civile» de 1994 à laquelle il consacre 6 lignes seulement. C.M.
Overdulve connaît les intentions cachées du F.P.R., ces aristocrates Tutsi qui
veulent restaurer la monarchie. Outre l'opposition habituelle entre les termes
«Tutsi» et «peuple» ou «population» [= Hutu], il écrit que «Une des
aspirations dissimulées mais généralement connues du FPR était de détruire
les acquis de la République [Overdulve est pourtant citoyen d'une
monarchie], pour se venger ainsi, sur le peuple [= Hutu], de la
Révolution de 1959-1961.» «Les Tutsi dans le pays, dont on aurait pu
supposer qu'ils accueilleraient le régime FPR, ont été assassinés pour la
plupart.» «Ne faudrait-il donc pas faire comparaître les coupables du
génocide ? Sans aucun doute ! Cependant, on les trouve dans les deux camps.»
Les massacres du FPR contre les Hutu «présentent le même caractère de
génocide» (le FPR, dès 1990, aurait fait des «carnages» parmi la
population civile), aussi «Le génocide des Tutsi dans le pays a été
appelé sur eux par les Tutsi du FPR-Inkotanyi, qui ne pouvaient pas ne pas le
savoir. S'ils n'avaient pas envahi le Rwanda, il n'y aurait pas eu de génocide
parmi les Tutsi.» Cela «montre la complexité du drame rwandais».
Tous ces textes sont identiques aux textes de la propagande génocidaire du
Rwanda et de ceux qui aujourd'hui nient le génocide en parlant plutôt de
légitime défense en situation de guerre (jusqu'à tuer préventivement des
bébés ?).
Cet homme d'église s'intéresse
en particulier à la réconciliation et à la justice, tâche importante pour
les églises. Il rappelle que, selon la Bible et la Torah, la réconciliation
n'est possible qu'avec Dieu. Elle implique préalablement «la réparation
des relations interhumaines», c'est-à-dire «la libération du peuple
assujetti». Les Prophètes n'appellent pas à la réconcilation nationale
mais «critiquent l'injustice qu'on fait aux pauvres», exploités par
les riches. «Dans ces relations, il s'agit de justice et d'équité. Mais en
réalité, on parle de réconciliation afin de se procurer un alibi permettant
de faire durer l'injustice et l'oppression.» C.M. Overdulve affirme à
plusieurs reprises, à l'encontre de toutes les évidences, que «Ce n'est
pas contre le régime de Juvénal Habyarimana en soi, mais contre le peuple
[= Hutu] que le FPR déclencha la guerre en octobre 1990.»
Il mentionne «la répugnance
invétérée qu'on ressent envers le régime tutsi, envers tout régime tutsi
qui rappelle celui dont on s'est débarrassé en 1961.» Il n'y a pas de
répugnance envers le régime hutu qui a conduit le Rwanda au génocide,
puisqu'il y a été obligé par les Tutsi. «Le FPR, lui, tue en silence,
fait disparaître immédiatement les cadavres et efface toute les traces ou bien
il interdit aux observateurs une aire suspecte.» C'est en effet la méthode
que semblent avoir suivi les troupes «tutsi» de Kabila au Zaïre oriental
contre les réfugiés hutu restés là-bas; il n'y a pas eu d'enquêtes au
Rwanda sur les probables exactions et massacres commis par le FPR lors de sa
conquête du Rwanda. Cette accusation qui porterait sur près de 500.000 morts
Hutu, si elle est fondée, n'absout pas pour autant les génocideurs hutu. Mais
pour Overdulve, les Tutsi sont une ethnie «criminelle»...
Selon lui, avant d'exercer la
justice, il faut se rappeler «que le massacre des Tutsi a été décidé
après et par suite de l'invasion du FPR, et après qu'on avait appris les
nouvelles des tueries parmi les Hutu du nord par les Inkotanyi [ce qui est
inexact]. Sans l'invasion du FPR, il n'y aurait pas eu de génocide, il n'y
aurait eu aucune raison d'en venir là.» [mais le génocide avait commencé
bien avant, au compte-goutte]. Pour C.M. Overdulve, et malgré ses observations
antérieures qui vont dans le sens contraire, il ne s'est rien passé avant 1990
qui ait pu provoquer un génocide des Tutsi. En conclusion, il remarque que «les
Eglises devraient se convertir, en prenant (...) la défense de la population
expulsée et opprimée [= les Hutu]», gommant la période 1959-1994
de pouvoir hutu!
On peut se demander si la
responsabilité juridique de ce pasteur honorablement connu au Rwanda et en
Europe, entre autre à propos de ses travaux sur la langue kinyarwanda, n'est
pas engagée par de tels écrits qui sont bien loin de prôner la
réconciliation. C'est le cas par exemple lorsqu'il soutient que la
réconciliation avec Dieu n'est possible qu'après la libération du peuple
assujetti, après réparation de l'injustice commise envers les pauvres, les
humiliés que sont les Hutu, c'est-à-dire en fait après que les coupables
victimes tutsi aient demandé pardon aux meurtriers de les avoir obligés à
tuer. Il serait souhaitable que son cas, avec celui hélas de beaucoup d'autres,
soit étudié par sa hiérarchie religieuse de même que par les tribunaux
compétents, afin de juger s'il est normal de proposer, tout en niant un
génocide, la réconciliation par la promotion d'une histoire (fausse) et
d'idéologies de la haine.(17)
En conclusion
Les informations présentées
ici sont l'illustration de l'aveuglement d'hommes d'église, derrière des
paroles de conciliation, bien loin des préceptes de la chrétienté qui
prônent la paix, la charité, l'amour, la compréhension entre les humains.
Beaucoup excusent les meurtriers d'origine hutu, au nom de la révolution, au
nom de ce que leurs ancêtres auraient subi de la part des Tutsi avant la
révolution hutu, rendant ceux-ci responsables de leur génocide ainsi que les
extrémistes de tous bords. Le maintien aujourd'hui, en 1998, de telles
positions, représentatives de ce que croit la plus grande partie des
populations de la région des Grands Lacs, et qui sont nées de l'enseignement
des églises depuis plusieurs générations, ne laisse rien présager de bon
pour l'avenir.
Une autre inquiétude peut
apparaître. Selon plusieurs prêtres rwandais et burundais, parmi les prières
faites dans leur jeunesse au séminaire, il y avait celle-ci: «Mon Dieu,
délivre-nous des Juifs». C'est, semble-t-il, une très mauvaise traduction
de la véritable prière chrétienne: «Mon Dieu, prions pour la conversion
des Juifs» qui, loin de chercher à les exclure du monde, appelle au
rassemblement dans la chrétienté de tous ceux qui croient en Dieu. On sait
que, dans l'idéologie raciste répandue par les missionnaires, les Tutsi
hamites sont cousins des Juifs et des autres Blancs, c'est-à-dire qu'ils sont
considérés comme des Juifs d'Afrique, ce classement racial positif jusqu'en
1950 devenant négatif ensuite. Le titre du livre publié par le Père de
Dorlodot est-il alors innocent lorsqu'il décrit les réfugiés Hutu de
l'ex-Zaïre comme des «nouveaux Palestiniens», face aux Tutsi du FPR
qui, tels les Juifs d'Israël, seraient en train de créer leur propre Etat sur
les ruines de l'Etat hutu, condamnant le peuple à survivre au loin dans des
camps de réfugiés ? N'y aurait-il pas, greffé sur la négation du génocide
et l'exclusion des Tutsi maudits, l'allusion étonnante dans le monde chrétien
actuel à l'anormale survie d'un autre «peuple maudit»: celui d'Israël ?
Bibliographie citée
1. Philippe de Dorlodot, Les réfugiés rwandais à Bukavu au Zaïre. De nouveaux Palestiniens ? Paris: L'Harmattan, 1996, 253p.
2. Dominique Franche, Rwanda, Généalogie d'un génocide. Paris: Editions Mille et Une Nuits, 1997, 95p..
3. Joseph Gahama, Le Burundi sous administration belge. Paris: Karthala, 1983, 465p.
4. Joseph Gahama, "Le jeu ethnique de la politique coloniale au Burundi", in Les Ethnies ont une histoire (J.P. Chrétien, G. Prunier, éd.), Paris: Karthala, 1989, p.302-313.
5. Monseigneur J. Gorju, Face au Royaume hamite du Ruanda, Le Royaume frère de l'Urundi. Essai de reconstitution historique, moeurs pastorales, folklore. Bruxelles: Vromant & Co., 1938, 118p. + 8p.planches.
6. McCullum, The Angels have left us. The Rwanda Tragedy and the Churches, with a foreword by Mgr. Desmond Tutu. Genève, 1995 [trad. française, Paris: L'Harmattan, 1996, 175p.].
7. Bonaventure Mageza, Charles de Lespinay, "Les droits de l'homme et l'ethnologie: l'exemple du Burundi", Droit et Cultures n.19, 1990, p.192-214.
8. Augustin Mvuyekure, "Idéologie missionnaire et classification ethnique en Afrique Centrale", in Les Ethnies ont une histoire (J.P. Chrétien, G. Prunier, éd.), Paris: Karthala, 1989, p.314-324.
9. M. Overdulve, Rwanda. Un peuple avec une histoire. Paris: L'Harmattan, 1997, 271p.
10. Nicolas Poincaré, Rwanda. Gabriel Maindron. Un prêtre dans la tragédie. Paris: Ed. de l'Atelier, 1995, 128p.
11. Rumiya, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931). Paris: L'Harmattan, 1992, 249p.
12. H. Speke, Journal of the Discovery of the Source of the Nile. Edinburgh: Blackwood, 1863, XXI + 658p.
N.B. : Le document a été publié par Charles de LESPINAY. Il a été lu pour vous par les chercheurs de l'Institut de Havila basé à Bruxelles mais il a été transmis sans les notes infra-paginales évoqués dans les différentes pages.
La Rédaction de Net Press