PREMIÈRE PARTIE : INTRODUCTION
I.CRÉATION DE LA COMMISSION
1.Le 28 août 1995, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1012, dont le dispositif se lit comme suit :
"Le Conseil de sécurité
1.Prie le Secrétaire général d'établir d'urgence une commission d'enquête internationale qui sera chargée :
a)D'établir les faits concernant l'assassinat du Président du Burundi le 21 octobre 1993, ainsi que les massacres et les autres actes de violence graves qui ont suivi;
b)De recommander des mesures de caractère juridique, politique ou administratif, selon qu'il conviendra, après consultation avec le Gouvernement burundais, ainsi que des mesures visant à traduire en justice les responsables de ces actes, pour empêcher que ne se reproduisent des actes analogues à ceux sur lesquels elle aura enquêté et, d'une manière générale, pour éliminer l'impunité et promouvoir la réconciliation nationale au Burundi;
2.Recommande que la commission d'enquête internationale se compose de cinq juristes impartiaux, expérimentés et internationalement respectés, qui seront choisis par le Secrétaire général et disposeront des services d'experts voulus, et que le Gouvernement burundais soit tenu dûment au courant;
3.Demande aux États, aux organes compétents des Nations Unies et, selon qu'il conviendra, aux organisations humanitaires internationales de rassembler les informations dignes de foi dont ils disposent en ce qui concerne les actes visés au paragraphe 1 a) ci-dessus, de communiquer ces informations dès que possible à la commission d'enquête et de prêter à celle-ci le concours voulu;
4.Prie le Secrétaire général de lui rendre compte de l'établissement de la commission d'enquête et de lui présenter un rapport intérimaire sur les travaux de la commission dans les trois mois qui suivront sa mise en place, ainsi qu'un rapport final lorsque la commission aura accompli sa tâche;
5.Demande aux autorités et aux institutions burundaises, y compris tous les partis politiques, de coopérer pleinement avec la commission d'enquête internationale dans l'accomplissement de son mandat, notamment en répondant favorablement aux demandes de la commission concernant la sécurité, l'assistance et l'accès nécessaires pour mener les enquêtes, cette coopération comprenant les mesures suivantes :
a)Le Gouvernement burundais devra prendre toutes mesures nécessaires pour que la commission et son personnel puissent accomplir leurs tâches sur l'ensemble du territoire national, en toute liberté, indépendance et sécurité;
b)Le Gouvernement burundais devra fournir toutes les informations en sa possession que la commission lui demandera ou qui sont nécessaires pour que la commission s'acquitte de son mandat, et permettre à la commission et à son personnel de consulter librement toutes les archives officielles se rapportant à son mandat;
c)La commission devra être libre de recueillir tous renseignements qu'elle juge pertinents et d'utiliser toutes les sources d'information qu'elle estime utiles et fiables;
d)La commission devra être libre de s'entretenir en privé avec quiconque, selon qu'elle le jugera nécessaire;
e)La commission devra être libre de se rendre à quelque moment que ce soit dans tout établissement ou en tout lieu;
f)Le Gouvernement burundais devra garantir le plein respect de l'intégrité, de la sécurité et de la liberté des témoins, des experts et de toutes autres personnes aidant la commission dans ses travaux;
6.Demande à tous les États de coopérer avec la commission afin de faciliter ses enquêtes;
7.Prie le Secrétaire général d'assurer comme il convient la sécurité de la commission en coopération avec le Gouvernement burundais;
8.Prie le Secrétaire général de créer pour compléter le financement de la commission d'enquête en tant que dépense de l'Organisation un fonds d'affectation spéciale auquel seront versées les contributions volontaires destinées au financement de la commission d'enquête;
9.Invite instamment les États et les organisations intergouvernementales et non gouvernementales à fournir à la commission d'enquête des fonds, du matériel et des services, y compris des services d'experts, à l'appui de l'application de la présente résolution;
10.Décide de rester activement saisi de la question."
2.Conformément à la résolution 1012, le Secrétaire général a nommé, le 20 septembre 1993, une Commission d'enquête internationale au Burundi composée des juristes ci-après :
Edilbert RAZAFINDRALAMBO (Madagascar), Président
Abdelali EL MOUMNI (Maroc)
Mehmet GÜNEY (Turquie)
Luis HERRERA MARCANO (Venezuela)
Michel MAURICE (Canada)
3.Deux missions des Nations Unies ont précédé la Commission au Burundi.En mars 1994, à la suite de la tentative de coup d'État au Burundi qui a conduit à l'assassinat du Président Melchior Ndadaye et à une vague de massacres et actes de violence dans tout le pays, le Secrétaire général, pour donner suite à une demande du Gouvernement burundais et conformément à une note du Président du Conseil de sécurité (S/26757), a dépêché une mission préparatoire chargée d'établir les faits à laquelle il a nommé les Ambassadeurs Martin Huslid et Siméon Aké.Le rapport de cette mission (S/1995/157) a été rendu public le 24 février 1995.Le 26 juin 1995, le Gouvernement burundais ayant officiellement demandé à l'ONU de créer une commission d'enquête judiciaire, le Secrétaire général a envoyé M. Pedro Nikken au Burundi pour étudier les modalités selon lesquelles une telle commission pourrait être mise en place.Le rapport de M. Nikken (S/1995/631) contenait des recommandations relatives à la création de la Commission et à son mandat.
4.Les premières réunions de la Commission se sont tenues à Genève, du 25 au 27 octobre 1995.
II.MANDAT DE LA COMMISSION
5.Le mandat de la Commission, tel qu'il était défini dans la résolution 1012 du Conseil de sécurité, comportait les éléments distincts énumérés ci-après :
a)"Établir les faits concernant l'assassinat du Président du Burundi le 21 octobre 1993";
b)"Établir les faits concernant ... les massacres et les autres actes de violence graves qui ont suivi (l'assassinat du Président du Burundi le 21 octobre 1993)";
c)"Recommander ... des mesures visant à traduire en justice les responsables de ces actes ...";
d)"Recommander des mesures de caractère juridique, politique ou administratif, selon qu'il conviendrait, après consultation avec le Gouvernement burundais, ... pour empêcher que ne se reproduisent des actes analogues à ceux sur lesquels elle aurait enquêté et, d'une manière générale, pour éliminer l'impunité et promouvoir la réconciliation nationale au Burundi".
III.PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA MÉTHODE DE TRAVAIL
6.Bien que le Gouvernement burundais ait demandé qu'il s'agisse d'une commission d'enquête judiciaire, la Commission n'a été dotée d'aucun pouvoir judiciaire : elle était chargée d'effectuer une mission d'établissement des faits concernant les crimes indiqués plus haut et était très libre dans la formulation de ses recommandations.Cela étant, comme elle l'a indiqué dans son rapport préliminaire, elle a décidé d'appliquer à ses activités d'établissement des faits, dans la mesure du possible, les normes qui régissent les activités judiciaires — non seulement pour asseoir sur une base solide les conclusions auxquelles elle aboutirait, mais aussi afin de réunir des éléments de preuve qui puissent servir ultérieurement dans des poursuites judiciaires.
7.À cette fin, la Commission a adopté des règles de procédure (annexe I) régissant à la fois son propre fonctionnement et l'audition des témoins.
8.En ce qui concerne les témoins, ils ont déposé sous serment en présence d'au moins un membre de la Commission, leur déposition étant enregistrée au magnétophone puis transcrite sur papier.Les dépositions en kirundi ont été interprétées par deux interprètes assermentés représentant chacun des deux principaux groupes ethniques, qui se sont chargés eux-mêmes de la transcription.Dans les cas relativement rares où, en raison des conditions sur le terrain, on a fait appel à un seul interprète, un second interprète appartenant à l'autre groupe ethnique à toujours participé au travail de transcription.Tous les témoins ont été entendus séparément et en privé.
9.S'agissant de l'assassinat, l'enquête a visé à établir les faits permettant non seulement de désigner les auteurs directs du crime mais aussi d'établir si les ordres étaient venus de plus haut et, dans l'affirmative, si l'assassinat avait été préparé à l'avance dans le cadre d'une tentative de coup d'État.Cela dit, il ne s'agissait pas d'enquêter sur le coup d'État en tant que tel, ce qui ne faisait pas partie du mandat de la Commission.
10.S'agissant des massacres et autres actes de violence graves, il était manifestement impossible d'entreprendre d'enquêter sur chacun des milliers d'incidents qui s'étaient produits ou d'essayer d'en identifier tous les auteurs directs, qui se chiffrent par dizaines sinon par centaines de milliers.La Commission a donc dû limiter son enquête à un nombre restreint de communes sélectionnées, compte tenu des contraintes imposées par les problèmes de sécurité, pour leur représentativité par rapport aux événements qui s'étaient déroulés dans l'ensemble du pays.Elle ne pouvait pas espérer, même en se limitant à ces zones, procéder à une enquête détaillée sur chaque incident afin d'établir la responsabilité des individus qui y étaient impliqués.Elle a plutôt cherché à établir quels étaient la nature des crimes, leur ampleur et si possible les liens entre eux, et à savoir s'ils avaient été préparés à l'avance et ordonnés ou tolérés par une autorité supérieure.
11.La Commission s'est efforcée d'agir en toute impartialité, sans idées préconçues, et, autant que possible, d'entendre toutes les parties concernées par chaque affaire.Dans cet esprit, elle a entrepris d'analyser et de vérifier les accusations portées par diverses organisations — sans limiter en aucune manière son action à ces accusations — et, malgré les difficultés et les risques considérables que cela comportait, d'entendre des témoins appartenant à différents partis et groupes ethniques — civils et militaires, à Bujumbura et dans l'intérieur du pays, dans les prisons, dans les camps de personnes déplacées et dans les collines retirées.Dépourvue d'aucun pouvoir qui lui permette de contraindre des témoins à déposer devant elle, elle n'a pu entendre que les témoins qui voulaient bien se présenter volontairement.Pour ce qui est des prisonniers, elle dépendait de la coopération des autorités judiciaires, qui lui a été accordée dans tous les cas.Quant aux militaires, il a fallu les convoquer — sans grand succès — par l'intermédiaire du Ministère de la défense.
12.Pour ce qui est des preuves écrites, la Commission n'était dotée d'aucun pouvoir lui permettant d'examiner elle-même les dossiers ou archives ou de contraindre les autorités ou les personnes privées à produire des documents.Il a fallu demander les documents officiels intéressant l'enquête aux autorités civiles et militaires.La Commission a pu consulter les archives des tribunaux et les dossiers d'accusation.La plupart étaient en Kirundi, et elle n'a pu ni en faire des copies ni les faire traduire par des traducteurs neutres.Des notes ont été prises sur des exposés succincts faits oralement par des juges et des procureurs.La Commission a essayé, en vain, de se procurer les dossiers militaires par l'intermédiaire du Ministère de la défense.
13.Afin de pouvoir élaborer des recommandations, la Commission a cherché à entendre un éventail aussi large que possible de fonctionnaires, de responsables politiques, d'hommes d'affaires et de représentants de gouvernements étrangers et d'organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales.Conformément à la résolution 1012, elle a rencontré le Président, le Premier Ministre et des membres de son Gouvernement, et le Président de l'Assemblée nationale.
IV.ACTIVITÉS DE LA COMMISSION
14.Les travaux de la Commission se sont divisés en deux périodes : la première, du 25 octobre au 20 décembre 1995, a abouti à la présentation d'un rapport préliminaire selon les dispositions de la résolution 1012, et la seconde, du 7 janvier au 22 juillet 1996, qui se termine par la remise du présent rapport.
A.1995
15.Les membres de la Commission se sont réunis pour la première fois à Genève, du 25 au 27 octobre 1995.Ils ont étudié le mandat de la Commission, discuté de ses règles de fonctionnement et organisé ses travaux, et la situation au Burundi leur a été exposée par un sous-secrétaire général aux affaires politiques et par des responsables de la sécurité du Secrétariat et du Haut Commissariat pour les réfugiés.
16.La Commission est arrivée à Bujumbura le 29 octobre 1995.Elle y a été accueillie par un fonctionnaire de la Division des affaires politiques du Secrétariat, qui y avait été envoyé pour lui trouver des bureaux, et par un effectif de neuf personnes désignées par le Siège : un spécialiste des affaires politiques, un juriste et du personnel d'appui (sécurité et administration).Le fonctionnaire d'administration est arrivé quelques jours plus tard et la Secrétaire exécutive, nommée après consultation de la Commission, est arrivée le 14 novembre.La Commission a commencé par exercer ses activités à l'hôtel où ses membres étaient logés, jusqu'à ce que ses bureaux soient suffisamment aménagés.
17.La Commission a rendu des visites de courtoisie aux membres du Gouvernement et à de hautes personnalités de l'Assemblée nationale et de l'Administration; d'autre part, elle s'est informée auprès des représentants de divers secteurs de la vie publique burundaise sur la situation au Burundi et sur d'autres questions en rapport avec son mandat.Elle a en effet rencontré des membres des partis politiques, des chefs religieux et des membres d'organisations non gouvernementales locales, en particulier des deux plus importantes dans le domaine des droits de l'homme, l'ITEKA et la SONERA.Elle a obtenu des renseignements supplémentaires en rencontrant des représentants des pays étrangers et des organisations internationales, notamment ceux de plusieurs institutions spécialisées des Nations Unies.
18.La Commission a publié un avis au public, qui a été diffusé par les médias locaux, indiquant quel était son mandat et invitant toute personne intéressée à lui fournir des renseignements; elle a également émis une circulaire dans la même intention.
19.Au cours de la première période de son enquête au Burundi, la Commission a entendu des témoignages sous serment concernant l'assassinat du Président Ndadaye et les massacres et autres actes de violence graves qui ont suivi.Par l'intermédiaire du Procureur général de la République à Bujumbura, elle a fait en sorte que soient amenées dans ses bureaux pour y rendre leur témoignage certaines des personnes accusées d'avoir participé à l'assassinat qui se trouvaient en prison.Elle a également entendu le témoignage de quelques témoins capitaux, par exemple Mme Laurence Ndadaye, veuve du Président décédé, M. Sylvestre Ntibantunganya, Président de la République, qui était Ministre des affaires étrangères et de la coopération au moment des événements, et le colonel Jean Bikomagu, qui était alors et est encore Chef de l'État major général de l'Armée.
20.Lors de deux tournées dans l'intérieur du pays, les membres de la Commission se sont rendus dans les provinces de Muramvya et Gitega, dont elles ont rencontré les gouverneurs et où elles ont recueilli des renseignements intéressants et entendu des personnes se trouvant dans des prisons ou des camps de personnes déplacées.
21.La Commission a entrepris d'étudier le système judiciaire burundais.À cette fin, ses membres et son personnel ont notamment rencontré le Doyen adjoint de la Faculté de droit de l'Université de Bujumbura, l'Inspecteur en chef de la Police judiciaire, le Directeur du Centre national des droits de l'homme, le bâtonnier et des membres du barreau et le Représentant du Haut Commissariat pour les réfugiés.
22.Le 6 décembre des coups de feu ont éclaté à proximité des bureaux de la Commission, situés dans un faubourg de Bujumbura, ce qui a contraint la Commission et son personnel à évacuer leurs locaux.Par la suite, ne pouvant plus se servir de ces bureaux en raison des problèmes de sécurité qui se posaient dans le quartier, la Commission a dû à nouveau exercer ses activités à l'hôtel, où elle n'était pas équipée correctement.
23.Le 14 décembre 1995, la Commission s'est réunie au Siège, à New York, pour établir son rapport préliminaire.Elle a rencontré le Secrétaire général, les Chefs du Département des affaires politiques et du Bureau des affaires juridiques et certains de leurs collaborateurs, le Coordonnateur des Nations Unies pour les mesures de sécurité et des représentants des États Membres.Elle a présenté son rapport préliminaire au Secrétaire général le 20 décembre 1995.Elle y exposait son interprétation de son mandat, rendait compte du travail accompli jusque-là et expliquait les difficultés qu'elle rencontrait en essayant de s'acquitter de son mandat du fait de la situation au Burundi — antagonisme entre ethnies et insécurité — et de l'insuffisance des moyens humains et matériels dont elle disposait.
24.La Commission a reçu des assurances selon lesquelles on s'efforcerait de la doter de moyens humains et matériels adéquats.
B.1996
25.La Commission a repris ses travaux au Burundi le 8 janvier 1996.Jusqu'au 6 février, date à laquelle un nouveau bureau est devenu opérationnel, elle a exercé ses activités à l'hôtel.
26.La Commission a choisi deux provinces, celles de Gitega et Muramvya, pour y entamer ses travaux sur le terrain en vue d'enquêter sur les massacres et autres actes de violence.La portée de l'enquête a été étendue à la Province de Ngozi vers la fin février et à celle de Kirundo début mars.Il a fallu suspendre les travaux dans cette dernière peu après les avoir commencés, en raison du manque de ressources humaines.
27.La Commission a confié des responsabilités particulières à chacun de ses membres.Deux d'entre eux étaient chargés d'enquêter sur l'assassinat et sur les événements survenus dans la province de Gitega, un autre devait enquêter sur les événements survenus dans la province de Muramvya et les deux derniers se sont chargés du reste des travaux, notamment en ce qui concerne les documents, renseignements et témoignages reçus en réponse à l'appel lancé au public par la Commission.La répartition des tâches a été modifiée plusieurs fois au cours des mois qui ont suivi, comme il est indiqué dans divers passages du présent rapport.
28.Les membres de la Commission ont rencontré le Procureur général de la République plusieurs fois afin d'obtenir l'accès à des prisonniers et à des dossiers judiciaires.
29.En novembre 1995, la Commission avait demandé à rencontrer le Ministre de la défense afin d'être autorisée à consulter les dossiers et registres militaires et à interroger des témoins militaires.Après avoir réitéré sa demande plusieurs fois, elle a été reçue le 23 janvier 1996.Elle n'a pas obtenu d'avoir accès directement aux dossiers, mais le Ministre a nommé un officier de liaison chargé de transmettre les demandes visant à faire comparaître devant elle des témoins militaires.Comme il est indiqué par ailleurs, le Ministère de la défense a très mal coopéré à l'enquête.
30.La Commission a entendu les témoignages de 61 militaires, y compris des prisonniers.Certains d'entre eux ont été entendus deux fois.Certains ont comparu mais ont refusé de témoigner.Les officiers dont les noms suivent ont été convoqués par la Commission mais ne se sont pas présentés :
Colonel Laurent NIYONKURU
Colonel Pascal NTAKO
Lieutenant-colonel Lucien RUFYIRI
Lieutenant-colonel Ascension TWAGIRAMUNGU
Adjudant-chef MBONAYO
Lieutenant Valentin HATUGIMANA
Lieutenant NTARATAZA
Caporal HAVUGIYAREMYE
Caporal NDUWAYO
Deuxième classe KANTUNGEKO
31.Un membre de la Commission s'est rendu au Siège, à New York, pour consulter les documents pertinents recueillis par la mission d'établissement des faits Aké/Huslid, qu'on ne pouvait pas envoyer au Burundi pour des raisons de sécurité.Pendant son séjour à New York, il a également reçu des éléments intéressants provenant de l'enquête réalisée en 1994 par la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme.À son retour, il a entendu les témoignages de deux militaires et du juge qui avait mené l'enquête sur l'assassinat du Président Ndadaye dans le cadre de l'enquête citée plus haut.
32.Deux membres de la Commission se sont rendus en Ouganda pour y entendre huit importants témoins militaires, à Kampala.Un autre membre de la Commission a entendu un important témoin civil à Abidjan (Côte d'Ivoire).
33.Sur la durée de l'enquête, la Commission a entendu au total 667 témoins.
34.Les membres de la Commission ont dû commencer leur travail sur le terrain sans l'aide d'enquêteurs.Les deux premiers enquêteurs sont arrivés au Burundi le 12 mars 1996.Cinq autres sont arrivés dans les semaines qui ont suivi.Pour l'enquête dans les provinces, le travail sur le terrain se faisait en missions d'une journée ou de plusieurs jours.La portée et la nature de ces activités sont décrites par ailleurs dans le présent rapport. Au total, les membres de la Commission ont passé 30 jours de travail à Muramvya, 21 à Ngozi, 20 à Gitega et 3 à Kirundo.À d'autres moments, les enquêteurs ont travaillé seuls sur le terrain.
35.Au cours de ses travaux, outre ses entrevues occasionnelles avec le Représentant spécial du Secrétaire général et le Représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement — qui était le fonctionnaire chargé de la sécurité du personnel des Nations Unies au Burundi — la Commission a rencontré les fonctionnaires suivants du système des Nations Unies : Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, de passage au Burundi, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme pour le Burundi, les membres de la Commission d'enquête des Nations Unies sur le trafic d'armes au Rwanda, le Représentant au Burundi du Haut Commissaire aux droits de l'homme et des Observateurs des droits de l'homme.
36.La Commission a aussi rencontré des représentants des États Membres : le Conseiller du Président des États-Unis pour la sécurité nationale, le Sous-Secrétaire d'État aux droits de l'homme des États-Unis, le Représentant permanent des États-Unis auprès de l'Organisation des Nations Unies, le Coordonnateur spécial des États-Unis pour le Rwanda et le Burundi, le Chargé d'affaires des États-Unis au Burundi, le Directeur pour le Rwanda et le Burundi de l'Agency for International Développement des États-Unis, l'Ambassadeur de Suède, deux représentants du Haut Commissaire de l'Afrique du Sud à Nairobi et une délégation du Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
37.La Commission s'est tenue en rapport et a collaboré étroitement avec le Représentant spécial du Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine au Burundi et avec le Chef de la Mission internationale d'observateurs de cette organisation au Burundi.
38.Comme l'exigeait le mandat de la Commission, son Président, secondé par les conseillers politiques et juridiques, a procédé à des consultations avec le Président de la République, le Premier Ministre, les Ministres des affaires étrangères, de la Justice, de la défense et des droits de l'homme, le Procureur général de la République, le Président de la Cour suprême, celui de la Cour constitutionnelle et celui de l'Assemblée nationale, sur la question des recommandations concernant des mesures d'ordre juridique, politique ou administratif.Le Ministre de l'intérieur n'a pas trouvé le temps de rencontrer la Commission.
39.M. Güney a démissionné de la Commission le 16 mai 1996 pour raisons personnelles.
40.Avant de quitter le pays, le Président de la Commission a rendu une visite de courtoisie au Président de la République, au Premier Ministre et à d'autres ministres, à des membres du corps diplomatique et à des représentants d'organisations internationales.
V.DIFFICULTÉS AUXQUELLES SE SONT HEURTÉS LES TRAVAUX
DE LA COMMISSION
41.La Commission s'est heurtée à des difficultés considérables dans l'accomplissement de son mandat.Parmi les plus graves, on peut citer les suivantes.
A.Le temps écoulé depuis les événements visés par l'enquête
42.Lorsque la Commission est arrivée au Burundi, plus de deux ans s'étaient écoulés depuis les événements sur lesquels elle devait enquêter.Pendant cette période de bouleversements, bien des protagonistes, témoins ou survivants des événements avaient été déplacés, étaient devenus des réfugiés ou étaient décédés, souvent de mort violente.Ceux qui ont pu être entendus avaient eu le temps de raconter et de reraconter maintes fois leur histoire, parfois dans le cadre d'enquêtes officielles ou non, et de la modifier ou de l'embellir.Leurs souvenirs s'étaient estompés, ce qui les conduisait à confondre des noms, des dates et des lieux.Des éléments de preuve avaient été perdus, détruits ou falsifiés.Les événements survenus dans le pays avaient encore pesé sur l'objectivité des témoins.
B.La polarisation ethnique du pays
43.Depuis 1993, l'antagonisme entre Tutsis et Hutus s'est intensifié.Les membres de chacun des deux groupes "ethniques" se sentent collectivement engagés dans une lutte à mort pour ne pas être exterminés ou assujettis.Cette situation fait naître des sentiments de "solidarité ethnique" qui conduisent la plupart des membres d'un des groupes à dissimuler ou à justifier comme étant un acte de défense tout agissement d'un membre de son propre groupe, quelle que soit son atrocité, à exagérer ou même à inventer des atrocités commises par des membres de l'autre groupe et à dénoncer comme traîtrise toute preuve d'objectivité ou de modération.Dans un pareil climat, il est extrêmement difficile d'obtenir des témoignages fiables.
44.La Commission souhaite à ce propos souligner que si, conformément à l'usage courant au Burundi, elle emploie les termes "ethnique", "Hutu" et "Tutsi", elle le fait à contrecoeur, uniquement parce que son rapport serait incompréhensible si elle s'y refusait.Il ne faut surtout pas y voir un signe qu'elle pense qu'il existe des différences raciales ou culturelles entre les membres des deux groupes.On ne peut cependant pas échapper au fait qu'une énorme majorité des Burundais se considèrent et sont considérés par les autres comme des membres de l'un ou l'autre des deux groupes.
C.La situation au Burundi sur le plan de la sécurité
45.La situation au Burundi sur le plan de la sécurité a peut-être été le plus gros problème auquel la Commission ait eu à faire face.
a)La sécurité à Bujumbura
46.Un couvre-feu était imposé à Bujumbura de 21 heures à 5 heures.Au moment de l'arrivée de la Commission, la plupart des habitants hutus avaient été chassés de la ville par les militants tutsis et les forces de sécurité.Quelques Hutus continuent d'habiter les quartiers riches et les quartiers à majorité musulmane, d'autres viennent en ville dans la journée pour y travailler ou pour y apporter des produits de leurs terres.La nuit, on entend souvent des coups de feu ou des explosions de grenades; les assassinats en plein jour sont tout aussi courants.Les vols de voiture à main armée sont fréquents et touchent souvent les organisations internationales.
47.S'il est vrai qu'en raison de la composition pratiquement monoethnique de la ville et du fait que celle-ci est étroitement contrôlée par les forces de sécurité il n'y a pas eu d'affrontement ethnique pendant le séjour de la Commission, il n'en reste pas moins qu'à plusieurs occasions des grèves ou manifestations tutoies ont contraint la Commission et son personnel à se cantonner chez eux, et cela, une fois, pendant plusieurs jours.Heureusement, grâce au fait que les règles de sécurité étaient rigoureusement respectées, ni la Commission ni son personnel n'ont subi aucun préjudice personnel.
48.Lorsque la Commission est arrivée pour la première fois à Bujumbura, des fonctionnaires des Nations Unies avaient déjà loué des bureaux à son intention à Mutanga-Nord, un des derniers quartiers résidentiels biotechniques situé en périphérie.En raison de l'insécurité, il était impossible de travailler au bureau après la tombée de la nuit.Le 6 décembre, des tirs d'arme légère et de canon de voiture blindée ont éclaté tout autour de la maison où se trouvaient les bureaux de la Commission; l'incident a duré deux heures, et il a été indiqué plus tard qu'il s'agissait d'une opération des forces de sécurité contre des agents infiltrés rebelles armés.À partir de cette date il est devenu impossible, pour raisons de sécurité, de se servir du bureau.Jusqu'à ce que de nouveaux bureaux soient loués au centre-ville, la Commission a été contrainte d'effectuer ses travaux à l'Hôtel Source du Nil, où elle était logée ainsi que son personnel international.
49.L'hôtel comme les bureaux étaient gardés par un détachement de la Gendarmerie burundaise, qui est une force militarisée sous commandement de l'Armée.Le comportement et l'esprit de coopération de ces gendarmes ont toujours été irréprochables, mais il n'en reste pas moins que leur seule présence, en armes et en uniforme, avait en soi un effet dissuasif sur la venue de témoins hutus.
50.Une des plus grandes préoccupations de la Commission a été l'impossibilité d'assurer correctement la confidentialité de ses travaux et de ses dossiers — car le fait de témoigner exposait à un risque très réel et immédiat de représailles mortelles.Jusqu'au 6 janvier 1996, seulement trois gardes des Nations Unies étaient affectés à la sécurité de la Commission.Comme ils pouvaient à peine assurer la sécurité des personnes et des logements, les bureaux restaient sans surveillance la nuit.Ce n'est qu'à partir d'avril, lorsque le nombre de gardes des Nations Unies est passé à huit, que le bureau a pu être surveillé 24 heures sur 24.
51.La Commission n'a jamais pu obtenir de moyens de détection des appareils d'espionnage électronique.
b)La sécurité dans l'intérieur du pays
52.Si la Commission et son personnel avaient respecté les règles de sécurité en vigueur s'appliquant en général au personnel des Nations Unies au Burundi, ils n'auraient jamais quitté Bujumbura.Le pays tout entier est le lieu d'affrontements entre la guérilla et l'Armée, qui s'en prennent toutes deux aux populations civiles.Des organisations internationales ont été attaquées et plusieurs de leurs fonctionnaires ont été tués ou blessés.Il n'est pas rare que les véhicules soient attaqués par des criminels de droit commun.Au moins deux fois, les membres de la Commission et son personnel ont été les témoins directs de tirs de canon.Plusieurs fois, ils ont vu des véhicules criblés de balles sur le bord de la route.Les grands axes ont été fermés à la circulation à plusieurs reprises, ce qui a interrompu les travaux de la Commission.
53.Du fait de l'intensité des activités de la guérilla et de la répression exercée par l'Armée, il a été totalement impossible d'enquêter dans des provinces comme celle de Karuzi ou celles qui bordent les frontières du Zaïre et de la Tanzanie.Même dans les provinces choisies par la Commission, les incidents faisant intervenir des armes n'ont jamais cessé, particulièrement dans le nord de la province de Gitega et dans celle de Muramvya.En raison d'une attaque particulièrement grave menée par la guérilla dans la province de Gitega et de la répression qui s'en est suivie, il a fallu suspendre l'enquête dans cette province pendant plus de deux semaines.Pendant la plus grande partie du séjour de la Commission, Bugendana, une des communes de cette province où l'enquête devait se dérouler, a été inaccessible.À Ruhororo, dans la province de Ngozi, la Commission a pu atteindre le chef-lieu, mais il lui a été conseillé de ne pas s'écarter de la grand-route.
54.Outres les risques courus par les personnes, les conditions de sécurité rendaient particulièrement difficiles les contacts avec les témoins hutus dans les campagnes, qui se méfiaient énormément de l'escorte de gendarmes dont les équipes de la Commission ne pouvaient pas ne pas être accompagnées.
D.L'insuffisance des moyens
55.Lorsque la Commission est arrivée à Bujumbura après sa première réunion de deux jours à Genève, ni son Président ni aucun de ses membres n'avait eu l'occasion de parler au Siège de leurs projets ou des moyens en personnel et en matériel.Le personnel comportait en tout et pour tout deux conseillers antérieurement désignés par le Siège, trois employés administratifs, un coordonnateur pour les mesures de sécurité et trois gardes.Des bureaux avaient été loués mais n'étaient pas meublés.Le fonctionnaire d'administration est arrivé le 31 octobre.La Secrétaire exécutive, nommée avec l'accord de la Commission, est arrivée le 14 novembre.
56.Comme il a été indiqué dans le rapport préliminaire, lorsque la Commission s'est rendue au Siège en décembre 1995 elle a reçu des assurances selon lesquelles jusqu'à 10 enquêteurs qualifiés seraient mis à sa disposition pour l'aider dans sa tâche à partir de janvier.Les deux premiers enquêteurs sont arrivés le 12 mars, et cinq autres au cours des cinq semaines qui ont suivi.Un septième est arrivé le 28 avril, 33 jours avant que la Commission ne quitte Bujumbura le 31 mai.L'effectif le plus élevé atteint par ceux qui participaient aux travaux de fond de l'enquête, en comptant les membres de la Commission eux-mêmes, a dont été de 15 personnes.
57.La transcription sans délai des témoignages enregistrés posait un problème insurmontable.Pour conduire l'enquête, il fallait analyser les témoignages et en discuter, ce qui ne pouvait pas se faire de façon satisfaisante à l'aide des enregistrements et de notes nécessairement partielles.Pour des raisons de confidentialité, on ne pouvait confier à aucun Burundais des travaux de transcription des témoignages — sauf aux interprètes, à qui est échue la tâche supplémentaire de transcrire les dépositions qu'ils avaient interprétées eux-mêmes.Comme ils ne pouvaient le faire que lorsqu'ils n'étaient pas occupés à interpréter ou absents sur le terrain, le travail en retard n'a cessé de s'accumuler.La transcription des témoignages rendus en français ne pouvait être confiée qu'au personnel international disponible, qui avait d'autres tâches de travail de bureau à effectuer et qui ne comptait que deux personnes jusqu'au 8 mars, date où un troisième transcripteur s'est joint eux.Trois autres sont arrivés au cours des cinq semaines suivantes.
58.Quand la Commission a quitté le Burundi, les dépositions de seulement un tiers environ des 667 témoins avaient été transcrites.Le travail s'est poursuivi à Bujumbura et à New York pendant que la Commission discutait de son rapport final et le rédigeait, mais les dépositions d'environ 150 témoins n'avaient toujours pas été transcrites lors de la remise du présent rapport.
59.Le manque de moyens matériels a constamment gêné ou restreint les travaux de la Commission sur le terrain de bien d'autres manières, trop nombreuses pour être énumérées.
VI.REMERCIEMENTS
60.La Commission tient à remercier les gouvernements ci-après de l'appui qu'ils lui ont fourni : Belgique, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis d'Amérique, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.Cet appui a pris la forme de contributions financières au Fonds d'affectation spéciale[1], de personnel fourni à la Commission[2] pour l'aider dans ses travaux et d'un soutien apporté, d'une manière générale, à l'enquête.
61.La Commission tient également à remercier la Mission d'observation militaire de l'Organisation de l'unité africaine au Burundi de l'aide et de la collaboration inestimables dont elle lui a fait bénéficier lorsqu'elle a enquêté dans l'intérieur du pays, ce sur quoi on trouvera davantage de détails ailleurs dans le présent rapport.
62.La Commission exprime sa reconnaissance aux nombreuses organisations non gouvernementales internationales et burundaises et aux groupements non officiels qui lui ont apporté leur soutien, notamment sous forme d'information.À cet égard, l'organisation basée au Royaume-Uni International Alert mérite une mention spéciale.
63.La Commission rend hommage au dévouement et au courage dont ont fait preuve les membres de son personnel, tant burundais qu'étrangers.Elle tient particulièrement à citer sa Secrétaire exécutive, Mme Judith Schmidt (Suisse), dont la contribution à ses travaux a été extraordinairement précieuse.
 VII.DOCUMENTS ET ENREGISTREMENTS
64.L'ensemble des renseignements recueillis par la Commission sous forme de documents et d'enregistrements ont été placés sous la garde du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

1 Les contributions financières s'établissent comme suit : Irlande, 150 000 dollars des États-Unis; Royaume-Uni, 31 250 dollars; Norvège, 49 983 dollars (la Norvège a également dégagé un montant supplémentaire pour les frais de matériel de transmission et les droits d'utilisation); Espagne, 10 000 dollars; Belgique, 336 553,64 dollars; Suède, 73 784,40 dollars; Pays-Bas, 250 000 dollars; Danemark, 49 200 dollars; États-Unis d'Amérique, 500 000 dollars.
[2] Les pays ci-après ont détaché du personnel auprès de la mission.Le Canada a fourni deux enquêteurs, du 12 au 28 mars.Les Pays-Bas ont fourni deux enquêteurs, l'un du 25 mars au 31 mai et l'autre du 15 avril au 31 mai.La Suisse a fourni la Secrétaire exécutive de la mission, du 24 octobre 1995 au 31 juillet 1996, et un secrétaire pour les transcriptions, du 14 avril au 15 juillet 1996.Les États-Unis ont fourni un enquêteur, du 28 avril au 26 mai et pendant sept jours en juin.
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