I.CHAMP
DE L'ENQUÊTE SUR LES MASSACRES ET AUTRES
ACTES
DE VIOLENCE
214.Conformément
à son mandat, la Commission a mené une enquête sur
les massacres et autres actes de violence graves qui ont suivi l'assassinat
du Président Ndadaye.Étant
donné que la violence au Burundi n'a jamais cessé depuis
l'assassinat et en est la conséquence, la première tâche
que la Commission a dû accomplir a consisté à définir
le cadre temporel de l'enquête.
217.En
ce qui concerne la nature de l'enquête, la Commission, comme on l'a
déclaré, a conclu que son mandat ne pouvait être interprété
comme exigeant qu'elle enquête sur chacun des actes de violence et
en détermine le ou les auteurs.Elle
s'est donc attachée avant tout à déterminer si ces
actes, dirigés contre des Tutsis ou des Hutus, faisaient apparaître
une tendance susceptible d'indiquer la présence de plans, d'ordres,
d'encouragements ou de négligences criminelles de la part de supérieurs,
ou s'ils pouvaient avoir été le résultat d'initiatives
spontanées ou purement locales.
218.Étant
donné qu'au moment où ces actes de violence se sont produits,
aucune possibilité de communication n'existait entre les civils
au niveau des communes ou à un échelon inférieur —
les téléphones et la station de radio ne fonctionnant pas
— la similitude de comportements inhabituels dans des endroits très
éloignés les uns des autres pouvait constituer un indice
de préméditation.La
manière dont ces actes ont été commis pouvait également
indiquer si la violence avait uniquement des motifs politiques ou si elle
visait délibérément à exterminer un groupe
ethnique.
219.Ayant
cet objectif en vue et compte tenu des limites imposées par l'insuffisance
des moyens mis à sa disposition, la Commission s'est employée
à choisir certaines communes de province qui pouvaient être
considérées comme représentatives à l'égard
des événements en question.
222.Dans
chacune de ces provinces, certaines communes représentatives ont
été choisies : Bugendana, Giheta et Gitega dans la province
de Gitega; Mbuye, Kiganda et Rutegama dans la province de Muramvya; Kiremba,
Mwumba, Tangara et Ruhororo dans la province de Ngozi; Vumbi et Kirundo
dans la province de Kirundo.
II.MÉTHODOLOGIE
223.Après
avoir annoncé publiquement qu'elle arrivait au Burundi, la Commission
a reçu de divers particuliers, groupes et organisations un certain
nombre de documents ayant trait aux actes de violence commis dans les provinces.Elle
a analysé ces documents afin d'y rechercher des indices concernant
des événements ou des témoins précis, mais
elle ne les a nullement traités comme des éléments
de preuve et ne s'est pas limitée à en vérifier les
sources.
224.La
Commission a effectué son enquête sur le terrain essentiellement
par l'audition de témoins.Ceux-ci
ont été entendus séparément, certains à
Bujumbura mais la plupart dans les capitales des provinces ou ailleurs,
dans des lieux à l'abri des oreilles indiscrètes.
225.Les
témoins ont été recherchés dans les camps de
personnes déplacées, dans les collines et dans les prisons.Comme
on pouvait s'y attendre, les témoignages ont parfois abouti à
l'identification d'autres témoins éventuels.
226.La
Commission a recherché sans grand succès des éléments
de preuve écrits susceptibles d'intéresser l'enquête.Elle
a entendu ou fait traduire des enregistrements d'émissions radiophoniques
burundaises et rwandaises diffusées au moment des événements
et a vu des films réalisés peu après les événements
par les médias ou par des particuliers.Des
photographies ont été prises le cas échéant.
227.La
Commission a essayé de déterminer l'existence et l'emplacement
de charniers et de fosses communes.Elle
n'a toutefois pas cherché à faire procéder à
des exhumations.Outre le fait qu'elle
n'avait pas les moyens voulus à cet effet, l'existence de charniers
est dans la plupart des cas un fait incontesté et des exhumations
n'étaient guère nécessaires au stade actuel de l'enquête.
228.Les
membres de la Commission ont effectué une première mission
à Gitega et à Muramvya en novembre 1995.En
janvier 1996, étant donné qu'aucun enquêteur n'avait
encore été nommé, la Commission a décidé
que certains de ses membres, même en l'absence d'aide, devaient mener
des activités sur le terrain.
231.Les
activités dans chaque province ont été menées
par une équipe qui, en plus des commissaires, comprenait au moins
deux interprètes qui travaillaient à tour de rôle et
étaient également chargés de transcrire les témoignages
qu'ils avaient interprétés, un ou deux agents de sécurité
des Nations Unies et une escorte de quatre gendarmes burundais au maximum.Lorsque
les enquêteurs ont commencé à arriver après
le 12 mars, deux au maximum ont été affectés à
chaque équipe.
232.Après
janvier 1996, à la suite d'un arrangement conclu entre le Secrétaire
général de l'Organisation des Nations Unies et le Secrétaire
général de l'Organisation de l'unité africaine, des
officiers de la Mission internationale d'observation pour le Burundi (MIOB)
ont fourni aux équipes sur le terrain une assistance en matière
de sécurité.Ces officiers,
provenant de l'armée du Burkina Faso, de la Guinée et du
Mali, étaient en poste sur place depuis plus d'un an.Leurs
connaissances des conditions locales et du terrain et leur acceptation
par toutes les composantes de la population ainsi que par l'armée
et la gendarmerie ont été d'une aide précieuse pour
la Commission.
III.POSSIBILITÉS
D'ACCÈS AUX ÉLÉMENTS DE PREUVE
233.Plusieurs
facteurs ont rendu difficile l'accès aux éléments
de preuve.
A.Insécurité
235.La
séparation ethnique virtuelle existe maintenant dans toutes les
communes visitées.Les Tutsis
vivent dans la capitale des provinces et dans les camps de personnes déplacées,
sous la protection de l'armée.Dans
la plupart des communes, seuls les Hutus demeurent dans la campagne.Les
Hutus qui habitent toujours dans les villes ou qui se rendent dans les
marchés manifestent une peur constante.Les
Tutsis des camps sortent dans la journée pour cultiver les champs
des collines voisines (certaines ayant été débarrassés
des Hutus) et reviennent avant la tombée de la nuit.Certains
cultivateurs hutus appartenant à l'UPRONA vivent également
dans les camps.
236.La
Commission a pu accéder sans entrave aux camps de personnes déplacées.
Les camps eux-mêmes sont placés sous l'autorité d'un
chef de camp et du commandant du détachement de protection de l'armée.L'accès
aux personnes déplacées a été la plupart du
temps obtenu par l'entremise du chef de camp, qui est souvent aussi un
dirigeant politique local.Très
peu de résidents des camps sont venus témoigner de leur propre
initiative.
237.Il
a été très difficile d'avoir accès aux Hutus,
sauf à ceux qui se trouvaient en prison.Dans
les villes, les Hutus se sentaient étroitement surveillés
et craignaient de subir des représailles pour s'être simplement
mis en rapport avec la Commission.Sur
le terrain, la Commission s'est trouvée devant un dilemme : d'une
part, si elle se déplaçait avec des gendarmes, leur présence
alarmerait les Hutus; d'autre part, si elle se passait de protection, elle
risquait de provoquer des incidents susceptibles d'être commis par
l'une ou l'autre des parties.Néanmoins,
en écartant son escorte militaire et en bénéficiant
de l'appui précieux des officiers de la MIOB, la Commission a réussi
à établir des contacts limités avec des cultivateurs
hutus.On a cru toutefois savoir
que certains Hutus qui avaient contacté la Commission avaient été
par la suite harcelés, ce qui a posé à la Commission
non seulement un problème pratique mais également un cas
de conscience.
C.Absence
de pouvoirs judiciaires
239.La
Commission a dû tenir compte de plusieurs facteurs qui ont contribué
au manque de fiabilité des éléments de preuve.
A.Loyauté
ethnique
240.L'affrontement
ethnique général qui sévit actuellement au Burundi
ne se limite pas aux dirigeants politiques et militaires, mais pénètre
dans chaque couche de la société.Cet
affrontement est même encore plus accentué dans les camps
et les collines des hauts plateaux du centre et du nord, où pratiquement
chaque famille hutue et tutsie a perdu des membres à cause de la
violence ethnique.Même les
plus pauvres des cultivateurs des deux ethnies pensent que leur vie et
celle des membres de leur famille dépendent de l'issue du combat.Les
Tutsis des camps sont convaincus que si leur ethnie perd le monopole de
la force armée, ils seront exterminés par leurs voisins,
tandis que les cultivateurs hutus des collines sont pour leur part certains
que, tant que ce monopole subsistera, ils courront le danger permanent
de représailles aveugles et n'auront aucun espoir d'avoir un pouvoir
effectif dans le domaine politique ou économique.Il
n'est donc pas surprenant, dans ce climat, que les témoignages concernant
les actes commis par les membres de l'une ou de l'autre ethnie aient été
largement dénaturés, censurés ou fabriqués.
B.Temps
écoulé
241.Pour
les raisons indiquées dans l'introduction, le temps qui s'est écoulé
depuis les événements a eu un effet négatif sur la
fiabilité des témoignages.Cet
effet a sensiblement plus marqué les témoins des zones rurales
qui sont souvent illettrés.
C.Manipulation
242.La
propagande de même que les activistes politiques, qui étaient
présents à tous les niveaux et connaissaient le mandat de
la Commission, ont sans aucun doute exercé une très forte
influence sur les témoins.À
plusieurs reprises, la Commission a pu constater que des listes de noms
de personnes à incriminer étaient fournies aux témoins.Dans
d'autres cas, des témoins du même camp ont mentionné
des noms ou des événements identiques qui, comme on a pu
le vérifier en les interrogeant, leur étaient inconnus.Ainsi
qu'il a été dit, les chefs de camps étaient chargés
la plupart du temps de présenter les témoins à la
Commission et il leur était facile de produire un témoin
ou de n'en pas produire.
E.Caractéristiques
culturelles
244.Il
convient de se rappeler que dans leur grande majorité, les témoins
des massacres et autres actes de violence étaient des cultivateurs
pratiquant une agriculture de subsistance qui ne parlent que le kirundi.Nombre
d'entre eux sont illettrés.Leur
seule source d'information extérieure est généralement
le bouche à oreille ou l'unique radio nationale (et parfois aussi
la radio rwandaise et celle des rebelles).Pour
leur part, les commissaires et les enquêteurs ignoraient le kirundi
et n'avaient qu'une connaissance extrêmement superficielle de la
culture et des us et coutumes du pays.La
communication par le truchement des interprètes de l'élite
éduquée, qui visait à franchir ce fossé culturel,
a été pour le moins difficile et incertaine.Il
faut ajouter le fait que, suivant toutes les sources nationales et étrangères,
les Burundais présentent le trait caractéristique d'être
fiers de pouvoir cacher leurs pensées et leurs sentiments.D'une
manière générale, la franchise est considérée
comme une faiblesse, tandis que la duplicité est socialement acceptée.En
conséquence, les témoins ont décrit avec une impassibilité
apparente les actes de violence les plus horribles (meurtres, viols, tortures,
mutilations, etc.) qui ont été infligés à eux-mêmes
ou à des membres de leur famille.
V.CARACTÉRISTIQUES
GÉNÉRALES DES COMMUNES VISITÉES
245.Les
communes partagent de nombreuses caractéristiques en matière
de géographie et de population qui intéressent les événements
en question.
246.Toutes
les communes présentent le relief typique des hauts plateaux du
centre : des collines escarpées séparées par des vallées
souvent marécageuses.Même
les véhicules militaires dont disposent les forces armées
burundaises circulent difficilement dans ce terrain.
247.Les
communes en question comptent parmi les plus peuplées du pays, avec
une densité supérieure à 400 habitants au kilomètre
carré.Aucune parcelle n'est
laissée sans emploi.Les
terrains sont surtout consacrés à l'agriculture intensive.Les
pâturages n'en occupent qu'une très faible partie et sont
pour la plupart accolés aux fermes, le reste étant constitué
par des "reboisements" qui représentent la seule source de bois
pour la cuisine, la construction et le mobilier.
A.Géographie
et population
249.La
province de Gitega jouxte la province de Ngozi au nord, les provinces de
Kayanza et de Muramvya à l'ouest, les provinces de Bururi et de
Rutana au sud, et les provinces de Karuzi et de Ruyigi à l'est.Sa
superficie est d'environ 1 989 kilomètres carrés.Sa
capitale, Gitega, d'environ 15 000 habitants, est la deuxième ville
du pays et accueille une importante garnison de l'armée et de la
gendarmerie.Deux grandes routes
asphaltées aboutissent à Gitega, l'une partant de Bujumbura,
à 100 kilomètres à l'ouest, et l'autre de Rutana au
sud.Des routes importantes non revêtues
relient la ville à Ngozi, Bururi et Karuzi.La
province comptait environ 565 174 habitants en 1990.
B.Assertions
et informations concernant les événements dans la province
250.Conformément
au rapport de la FIDH, le Gouverneur a appris le coup d'État aux
environs de 2 h 30, dans la nuit du jeudi 21 octobre, peu après
son déclenchement.Il a téléphoné
deux fois au Gouverneur de Muramvya.Ils
ont décidé d'établir un barrage sur la route principale.Le
Gouverneur a ensuite fait le tour de la province en ordonnant de barrer
toutes les routes.Dans l'après-midi,
il est parti pour la province de Karuzi, à l'est, et y a été
tué en même temps que le Gouverneur de cette province.
251.Aucun
acte de violence grave ne s'est déroulé dans la ville de
Gitega le jeudi 21 octobre.Le vendredi,
alors que parvenaient des informations concernant le meurtre de Tutsis,
des groupes de cette ethnie ont commencé à attaquer les Hutus
et à piller leurs biens.Certains
Hutus éduqués ont été tués par les soldats.Ceux-ci
ont tiré au hasard contre les Hutus dans les rues.Des
étudiants tutsis ont tué des Hutus dans leurs écoles
et dans d'autres endroits, avec la complicité passive ou active
des militaires.
252.Le
rapport décrit les massacres de Tutsis et la répression aveugle
des Hutus par les troupes qui se sont produits dans huit des 10 communes
de la province.
253.Selon
des informations provenant du FRODEBU, des soldats et des civils tutsis
ont tué au hasard des Hutus dans la capitale de la province durant
les journées qui ont suivi le coup d'État.
C.Travaux
de la Commission
256.L'enquête
a été menée dans trois communes : Bugendana, Giheta
et Gitega.Toutefois, dans la commune
de Gitega, faute de personnel, aucune activité sur le terrain n'a
pu être effectuée à l'extérieur de la capitale,
où des témoins ont été entendus dans quatre
camps de personnes déplacées.À
Bugendana, en raison des conditions de sécurité, la Commission
n'a pu travailler sur le terrain qu'après la mi-mai et ses déplacements
ont de toute manière été limités.
257.La
Commission a entendu 145 témoins, 119 Tutsis et 26 Hutus.Les
auditions ont eu lieu sur les collines, dans des centres religieux, dans
sept camps de personnes déplacées, dans la capitale de la
province, dans la prison et à Bujumbura.
D.Commune
de Bugendana
a)Description
de la commune
258.La
commune de Bugendana jouxte la commune de Mutaho au nord, la province de
Muramvya à l'ouest, la commune de Giheta au sud, et la province
de Karuzi à l'ouest.Elle
est traversée du sud au nord par la route principale non revêtue
reliant Gitega à Ngozi.Son
chef-lieu, Bugendana, sur la colline Mukoro, se trouve sur la route principale
à 27 kilomètres au nord de Gitega.
b)Assertions
et informations
259.Selon
le rapport de la FIDH, des Hutus ont commencé, au chef-lieu, à
ligoter des Tutsis aux alentours de 15 heures, le jeudi 21 octobre.Ils
en ont tués certains durant cette même journée.Le
vendredi et le jour suivant, des Tutsis ont été pourchassés
et tués dans les environs.Des
foyers tutsis ont été pillés.
260.Lorsque
les soldats sont arrivés, ils ont tué certains individus
ayant commis des actes de pillage.
261.Dans
la paroisse de Mutoyi, 150 adultes ont été tués.Quatre
cents Tutsis en fuite qui s'étaient abrités dans l'église
n'ont pas été attaqués.Les
Hutus ont déclaré que les autorités de la commune
leur avaient ordonné de tuer les Tutsis.De
nombreux Tutsis ont été sauvés par des voisins hutus.Les
soldats n'ont pas atteint Mutoyi durant cette période.
—Colline
Mukoro
Chef-lieu
263.L'Administrateur
communal a effectué une tournée à motocyclette dans
les différentes communes le jeudi 21 octobre.Dans
l'après-midi, une réunion des Hutus du FRODEBU s'est déroulée
dans la commune.Les routes ont
été barrées à la fin de l'après-midi
et, dans la soirée, des Hutus se sont rendus dans les collines voisines
pour regrouper les hommes tutsis en différents points.Aucun
témoignage fiable n'a pu être obtenu en ce qui concerne les
événements qui se sont déroulés au chef-lieu
ce soir-là.
264.Les
soldats sont arrivés le lundi suivant.Selon
un témoin hutu, ils ont tué de nombreux Hutus au chef-lieu
et dans les collines voisines.
265.Selon
des témoignages tutsis, des Hutus du FRODEBU ont capturé
des Tutsis au nord de la colline le vendredi 22 octobre et les ont tués
après les avoir regroupés dans une maison.
—Colline
Bitare
266.La
colline Bitare est située au sud du chef-lieu.Un
centre de négoce se trouve dans sa partie méridionale, à
environ 6 kilomètres du chef-lieu.Selon
des témoins tutsis, les Hutus ont barré les routes dans l'après-midi
du jeudi 21 octobre.Le vendredi
matin, ils ont commencé à capturer des Tutsis et à
les regrouper en différents points afin de les tuer.Certains
ont été abattus près de la rivière Mubarazi.Les
Tutsis ont continué à être pourchassés jusqu'à
l'arrivée des soldats.
—Colline
Mwurire
267.La
colline Mwurire se trouve à 1 kilomètre du chef-lieu.Elle
est de grande dimension et son terrain est escarpé.Selon
des témoins tutsis, des Hutus menés par des dirigeants locaux
du FRODEBU ont barré les routes dans l'après-midi du jeudi
21 octobre.Dans la soirée,
ils ont capturé des Tutsis et les ont regroupés dans plusieurs
endroits.Certains ont été
tués cette nuit-là, d'autres le matin suivant.Les
Tutsis ont continué à être pourchassés durant
toute la journée du vendredi.Des
Hutus de l'UPRONA ont été battus mais n'ont pas été
tués.Durant les jours suivants,
des femmes tutsies ont été également tuées.Le
lundi, un groupe de femmes et d'enfants tutsis a été regroupé
dans l'église sur la colline puis a été abattu à
l'extérieur.
268.Sur
la colline Rwingiri, un centre éducatif et religieux est situé
sur la route principale à Kirimbi, à une dizaine de kilomètres
au sud du chef-lieu et à 17 kilomètres au nord de la ville
de Gitega.
269.Selon
des témoins tutsis, l'Administrateur communal est arrivé
à motocyclette et a tenu une réunion à Kirimbi le
jeudi 21 octobre.Peu après,
des Hutus menés par des fonctionnaires locaux du FRODEBU ont barré
les routes avec des arbres abattus.Dans
l'après-midi, ils ont capturé et ligoté des hommes
et des jeunes gens tutsis des collines voisines et les ont regroupés
à Kirimbi.Ils les ont enfermés
dans la salle de l'école voisine de l'église.Un
Hutu de l'UPRONA a été également capturé.
270.Vers
21 heures, les Tutsis ont été conduits en dehors de la salle
et ont été tués.Certains
ont réussi à s'enfuir dans l'obscurité.Plusieurs
témoins tutsis ont déclaré qu'ils avaient été
sauvés par des Hutus.
271.Le
vendredi, les Tutsis ont continué à être pourchassés
dans les collines.Certains ont
été conduits à Kirimbi et ont été tués.Des
témoins hutus ont confirmé que des Tutsis avaient été
tués à Kirimbi le jeudi et le vendredi.
272.Le
samedi 23 et les jours suivants, des femmes et des enfants tutsis qui ne
s'étaient pas enfuis ont été tués.
273.Les
soldats sont arrivés à Kirimbi le lundi et ont poursuivi
vers le nord en direction du chef-lieu.Selon
un témoin hutu, ils ont tué de nombreux Hutus ce jour-là
et les jours suivants.
—Collines
Runyeri, Carire, Gitongo et Kibasi
274.Les
collines Runyeri, Carire, Gitongo et Kibasi se trouvent à l'est
de la commune.Une route secondaire
non revêtue traverse cette région, reliant le chef-lieu à
Kibimba dans la commune de Giheta, au sud-est.
—Colline
Runyeri
275.Sur
la colline Runyeri à 10 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu,
selon des témoignages tutsis, des Tutsis ont été capturés
le vendredi 11 octobre et ont été rassemblés sur une
place centrale où ils ont été tués.Des
témoins ont déclaré qu'ils avaient été
sauvés par des Hutus.
—Colline
Gitongo
277.Selon
des témoins hutus, sur la colline Carire à 10 kilomètres
au sud-ouest du chef-lieu, des Tutsis ont été rassemblés
le jeudi 21 octobre et détenus sur une place centrale.Ils
ont été tués dans la soirée.Le
jour suivant, des femmes et des enfants tutsis ont été tués.
—Colline
Kibasi
278.Sur
la colline Kibasi à une douzaine de kilomètres au sud-est
du chef-lieu, suivant des témoins tutsis, l'Administrateur communal
de Bugendana est arrivé à motocyclette dans la matinée
du jeudi 21 octobre, s'est entretenu avec les dirigeants locaux du FRODEBU
et est reparti.Peu après,
les routes ont été barrées.Des
Tutsis ont été capturés, ligotés et emmenés
dans un autocar à l'arrêt sur la route.Dans
la soirée, ils ont été conduits à la rivière
Mubarazi et ont été abattus.Le
jour suivant, des femmes et des enfants tutsis ont été tués.Certains
témoins ont déclaré qu'ils avaient été
sauvés par des Hutus.
—Collines
Gitora et Rushanga
279.Les
collines Gitora et Rushanga se trouvent au sud-ouest de la commune.
—Colline
Gitora
280.Sur
la colline Gitora, qui est atteinte par des routes secondaires et se trouve
à une dizaine de kilomètres de la route principale, un centre
éducatif et religieux est situé à Mugera.Selon
des témoins tutsis, le jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par
un instituteur hutu ont barré un pont sur la rivière Ruvubu
à environ 6 kilomètres.Selon
des témoins tutsis, des Tutsis des environs se sont réfugiés
à Mugera, sous la protection d'un prêtre, et n'ont pas été
attaqués.Dans les collines
autour de Mugera, selon des témoins tutsis, des Tutsis ont été
capturés et tués par des Hutus.Le
samedi, un hélicoptère de l'armée a survolé
Mugera mais n'a pas atterri.Les
soldats ne sont pas arrivés à Gitora durant la période
examinée.
—Colline
Rushanga
281.La
colline Rushanga se trouve immédiatement à l'est de la colline
Gitora, à environ 13 kilomètres de la route principale.Selon
des témoins tutsis, le vendredi 22 octobre, des Hutus conduits par
des dirigeants locaux ont capturé des Tutsis à Rushanga et
les ont tués.
E.Commune
de Giheta
a)Description
de la commune
283.Selon
le rapport de la FIDH, le jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par des
dirigeants du FRODEBU ont capturé des Tutsis et les ont enfermés
dans un entrepôt au chef-lieu.Ils
en ont pris certains dans la soirée et les ont tués.Les
survivants se sont barricadés à l'intérieur jusqu'à
l'arrivée des soldats.D'autres
Tutsis ont été tués et jetés dans des fossés.
284.Les
soldats sont arrivés dans la soirée du même jour.Durant
les journées qui ont suivi, ils ont pourchassé et tué
de nombreux Hutus et ont tiré au hasard sur la population hutue
des collines voisines.
285.Ce
même jeudi, à Kibimba, des étudiants tutsis capturés
par des Hutus ont été enfermés dans une station-service
désaffectée et y ont été brûlés
vifs.
286.Les
soldats sont arrivés à Kibimba au début de la matinée
du lendemain.Ils ont massacré
des Hutus sur les collines voisines et ont pillé le centre de négoce.
287.Les
informations de sources tutsies coïncident généralement
avec le rapport de la FIDH concernant les massacres de Tutsis.
288.Dans
les informations qu'il a fournies, le FRODEBU admet que des étudiants
ont été brûlés vifs à Kibimba et confirme
le rapport de la FIDH concernant les massacres de Hutus par les troupes,
ajoutant que des véhicules blindés ont été
utilisés pour tirer au hasard sur la population hutue.
c)Déroulement
des faits suivant les témoignages
289.Selon
tous les témoins, à l'aube du jeudi 21 octobre, le Gouverneur
de la province est arrivé de Gitega par la route principale et a
donné des instructions aux fonctionnaires locaux.L'Administrateur
communal, qui est maintenant en prison et dont le procès est en
cours, a témoigné que ces instructions consistaient à
abattre des arbres pour barrer les routes et qu'il en avait parlé
avec les chefs de zone de Giheta et de Kabanga.
—Colline
Giheta
Chef-lieu
290.Dans
la matinée, tandis que des barrages routiers étaient mis
en place, un soldat en permission a été capturé, menotté
et détenu au chef-lieu.
293.Selon
le témoignage d'un survivant tutsi, ceux qui ont été
ultérieurement pris et conduits au chef-lieu ont été
tués et jetés dans des fossés.
294.Selon
des témoins tutsis, vers 21 heures, on a fait sortir de l'entrepôt
un premier groupe dont les membres ont été appelés
par leur nom.Deux témoins
qui déclarent avoir survécu disent qu'ils ont été
conduits au pont de la rivière Ruvironza, à environ 8 kilomètres
du chef-lieu.Les femmes ont été
violées, tuées et jetées dans la rivière.Les
hommes ont été tués et leur cadavre a été
jeté à l'eau.Un témoin
de sexe masculin, qui avait été seulement blessé,
a réussi à survivre après avoir été
jeté dans la rivière.Un
autre témoin, de sexe féminin, déclare que l'un de
ses anciens élèves hutus l'a aidée à s'enfuir.Un
deuxième groupe a été appelé environ une heure
plus tard.Un témoin de sexe
féminin, qui a dit avoir survécu après avoir été
gravement blessée (elle a perdu une main et est couverte de cicatrices),
a déclaré que les autres personnes avaient été
tuées près de la route, à environ 1 kilomètre
du chef-lieu.Un troisième
groupe a été appelé une heure après le deuxième.Certains
membres de ce groupe ont été tués à portée
d'ouïe de ceux qui étaient enfermés dans l'entrepôt.Lorsque
ces derniers se sont rendu compte que les groupes étaient appelés
pour être tués, ils ont barricadé la porte de l'entrepôt
avec des sacs d'engrais.Vers 2 heures,
ils ont aperçu par les trous de ventilation la lumière d'un
projecteur sur la route principale, environ 500 mètres plus bas
sur la colline.Ils ont crié
pour appeler l'attention.Des soldats
sont arrivés peu après et leur ont dit de rester barricadés
jusqu'au matin.Les militaires les
ont délivrés dans la matinée.Certains
survivants ont été trouvés parmi ceux qui avaient
été jetés dans des fossés.Certains
corps se trouveraient encore dans les fossés.L'Administrateur
communal a déclaré qu'il était absent lorsque les
massacres ont eu lieu, étant allé se reposer chez lui après
avoir laissé des instructions expresses pour la sûreté
des captifs.Il s'est enfui le matin
suivant dans la direction de la colline Kanyinya en empruntant une route
de terre battue conduisant à Bugendana.
295.Selon
des témoins hutus, les militaires ont exercé des représailles
aveugles contre les Hutus sur la route principale, aux alentours du chef-lieu
et dans le centre éducatif et religieux.Le
vendredi et les jours suivants, ils ont tiré sur les Hutus des coups
de mitraillette et ont utilisé la mitrailleuse d'un véhicule
blindé.
297.Au
début de la matinée du jeudi 21 octobre, des Hutus conduits
par des fonctionnaires du FRODEBU ont barré toutes les routes avec
des arbres abattus.
298.Vers
midi, selon des témoins tutsis et hutus, les Hutus ont commencé
à regrouper les Tutsis de la campagne environnante et les enseignants
tutsis de l'école secondaire dans le centre religieux voisin et
les ont enfermés dans une station-service en construction au milieu
des boutiques à Bubu, sur la route principale de Muramvya à
Gitega.Par la suite, ils ont également
enfermé les étudiants tutsis.
299.Dans
la soirée, de l'essence a été versée par les
fenêtres et du bois et de la paille enflammés ont été
jetés à partir du toit.De
nombreux occupants ont été brûlés vifs.Certains
témoins ont déclaré avoir survécu à
l'intérieur du bâtiment et avoir été délivrés
le vendredi matin.D'autres déclarent
s'être échappés durant la nuit par une fenêtre.Certains
ont des cicatrices de brûlures graves.Les
déclarations des témoins concernant les détails font
apparaître de nombreuses contradictions.
300.Un
Hutu du FRODEBU, qui était à l'époque fonctionnaire,
a admis que des Tutsis avaient été pris en otages à
Kibimba et que d'autres avaient été massacrés sur
les 14 collines de la zone de Kabanda.Il
a déclaré qu'il avait circulé dans la zone le jeudi
en essayant de calmer la population.
—Colline
Muremera
301.Sur
la colline Muremera, à une dizaine de kilomètres de la route
asphaltée, des arbres ont été abattus et des ponts
ont été coupés afin de barrer les routes dans la matinée
du jeudi 21 octobre.Des témoins
tutsis de différentes parties de la colline ont déclaré
que des Hutus, conduits par des dirigeants locaux de FRODEBU, avaient commencé
à capturer et à tuer des Tutsis vers 8 heures le lendemain
matin.Deux témoins ont déclaré
avoir été sauvés par des voisins hutus.
—Colline
Kiriba
302.La
colline se trouve à l'extrémité est de la commune,
à environ 3 kilomètres à l'est de la route non revêtue
qui relie Gitega à Ngozi.Le
vendredi 22 octobre, des Hutus de la colline, accompagnés de Hutus
d'autres collines, ont capturé des Tutsis et les ont tués.Un
témoin a déclaré avoir été sauvé
par un voisin hutu.
—Colline
Rubarasi
304.Sur
la colline Gwingiri, près de la route principale non revêtue
reliant Gigeta à Ngozi, un témoin tutsi de sexe féminin
a déclaré que des Hutus du FRODEBU avaient attaqué
et tué des Tutsis le jeudi 11 octobre.Elle-même
avait été grièvement blessée et sauvée
par un voisin hutu, qui avait également sauvé d'autres Tutsies
blessées.
—Colline
Nyarunazi
305.Les
événements qui se sont déroulés sur la colline
Nyarunazi, à l'écart des deux routes principales, offrent
un tableau moins sombre.Un seul
Tutsi, marié à une Hutue et ayant lui-même une parenté
hutue, vivait sur la colline.Aucune
violence n'a eu lieu à Nyarunazi le jeudi 21 octobre.Le
lendemain, des groupes hutus d'autres collines sont arrivés en recherchant
les Tutsis pour les tuer.Au péril
de leur vie, les Hutus ont caché le résident tutsi et sa
famille ainsi que d'autres Tutsis qui s'étaient échappés
des massacres commis dans la commune voisine de Bugendana.Ce
témoignage a été fait par les résidents de
la colline ainsi que par un survivant tutsi de Bugendana qui leur doit
d'avoir eu la vie sauve.Le vendredi,
la population a vu des cadavres flotter sur la rivière Ruvironza
qui coule au sud de la colline.
F.Commune
de Gitega
a)Description
de la commune
306.La
commune de Gitega, au centre de laquelle se trouve la capitale de la province,
jouxte la commune de Giheta au nord, la province de Muramvya à l'ouest,
les communes de Gishubi et Makebuko au sud et les provinces de Karuzi et
de Ruyigi à l'est.
b)Faits
suivants les témoignages
307.Les
témoignages sont entièrement partiaux étant donné
que, pour la raison citée plus haut, la Commission a uniquement
entendu — à l'exception d'un seul prisonnier hutu — des témoins
tutsis des camps de personnes déplacées.Dans
ces conditions, on ne donnera ci-après qu'un résumé
général.
A.Géographie
et population
309.La
province de Kirundo jouxte le Rwanda au nord et à l'ouest, les provinces
de Ngozi et Muyinga au sud et la province de Muyinga à l'ouest.Elle
est divisée en sept communes.Sa
superficie est de 1 711 kilomètres carrés.Sa
capitale, Kirundo, qui n'est guère plus qu'un village, se trouve
près du centre de la province.Une
route asphaltée y accède depuis Ngozi.En
1990, la province avait 407 103 habitants.
B.Assertions
et informations concernant les événements dans la province
310.Selon
le rapport de la FIDH, il y a eu relativement peu d'actes de violence dans
la province car la population avait gardé le souvenir des massacres
qui avaient eu lieu dans la commune de Ntega en 1988 et les gens ont cherché
des lieux de refuge.Le jeudi 21
octobre au matin, le Gouverneur a rencontré l'Administrateur communal
de Busoni.Il a été
démis de ses fonctions dans l'après-midi par le commandant
militaire, sur instructions de Bujumbura.
C.Les
travaux de la Commission
311.Pour
les raisons exposées ailleurs dans le présent rapport, il
a très vite fallu suspendre les travaux sur le terrain dans la province
de Kirundo.La Commission n'y a travaillé
que trois jours.Au cours de ces
trois jours, elle a visité deux camps de personnes déplacées
dans les communes de Kirundo et Vumbi et elle a entendu 31 témoins,
dont des Hutus ou des Twas déplacés qui avaient appartenu
à l'UPRONA.Il n'y a pas
eu d'autres travaux sur le terrain.
D.Les
communes de Kirundo et Vumbi
a)Description
des communes
312.La
commune de Kirundo est centrée autour de la capitale de la province.La
commune de Vumbi, au sud de la précédente, est traversée
par la grand-route de Ngozi.C'est
sur cette route, à 9 kilomètres de la capitale de la province,
que se trouve le chef?lieu, Vumbi.
b)Assertions
et informations
313.Selon
un document présentant les vues des Tutsis, 103 Tutsis ont été
tués dans la commune de Kirungo, sous la conduite des autorités
du FRODEBU et des dirigeants.Dans
la commune de Vumbi, le massacre des Tutsis a commencé le jeudi
21 octobre et s'est poursuivi jusqu'au dimanche suivant.Des
listes de victimes et de responsables ont été fournies.
314.Pour
les raisons exposées plus haut, la Commission n'ayant entendu des
témoignages ne présentant que les vues de l'une des parties
sur les événements survenus pendant la période sur
laquelle porte l'enquête, on ne trouvera ci-après qu'un résumé
général.
315.Selon
des témoins tutsis et hutus et twas déplacés, la population
hutue locale, menée par les dirigeants locaux du FRODEBU ont bloqué
toutes les routes dans la matinée du jeudi 21 octobre, sur les collines
Cumba, Gakana, Gihosha, Mataka, Mutara, Mwenya, Rambo et Rugero dans la
commune de Kirundo et sur les collines Kabuye, Kavumu, Mutoyi, Nyarikenke,
Rugeri et Vumbi dans la commune de Vumbi.Sur
certaines de ces collines, les Tutsis et les Hutus de l'UPRONA ont été
pris en otage.Les massacres de
Tutsis et de Hutus de l'UPRONA et de Twas déplacés ont commencé
sur certaines collines le jeudi soir, après l'annonce de l'assassinat
du Président Ndadaye sur Radio Rwanda, ailleurs le vendredi.Ils
se sont poursuivis pendant plusieurs jours.
VIII.LA
PROVINCE DE MURAMVYA
A.Géographie
et population
316.La
province de Muramvya jouxte les provinces suivantes : Kirundo au nord,
Bubanza et Bujumbura à l'ouest, Gitega à l'est, et Bururi
au sud.Elle s'étend sur les
hauteurs centrales, avec une partie escarpée à l'ouest, sur
les pentes orientales de la chaîne qui sépare les bassins
du Nil et du Zaïre.Elle est
traversée par deux grand-routes goudronnées : la route de
Bujumbura à Gitega, qui la traverse d'ouest en est par le milieu
en passant par la capitale de la province, la ville de Muramvya, à
48 kilomètres de Bujumbura et la route vers Kayanza et le Rwanda,
qui bifurque vers le nord à Bugarama, à 13 kilomètres
à l'ouest de la ville de Muramvya.Une
autre grande artère, qui n'est pas goudronnée, va également
de Bujumbura à Gitega, traversant le sud de la province d'ouest
en est.Sur cette route, Mwaro, se
trouve une garnison de l'armée.La
province a une superficie de quelque 1 530 kilomètres carrés
et, d'après le recensement de 1990, elle comptait alors 440 000
habitants.On n'a pas pu obtenir
de chiffres concernant la proportion de Hutus par rapport aux Tutsis, mais
dans le sud et dans une partie de l'est de la province, il y a nettement
plus de 15 % de Tutsis, ce qui correspond aux chiffres estimatifs pour
l'ensemble du pays.La province compte
11 communes.Les trois dans lesquelles
la Commission a enquêté — Kiganda, Mbuye et Rutegama — se
trouvent toutes dans le nord-ouest de la province.Selon
les informations reçues, la partie sud de la province a été
relativement peu touchée par les massacres.
B.Assertions
et informations concernant les événements dans la province
319.Les
assertions et informations concernant les événements dans
les communes qui ont fait l'objet d'une enquête sont mentionnées
dans chaque cas.
C.Travaux
de la Commission
320.Après
une première mission en novembre 1995, la Commission a travaillé
sur le terrain du 27 février jusqu'au 31 mai 1996, avec quelques
interruptions parce que la route de Bujumbura étaient coupée.Elle
a entendu 285 témoins (169 Tutsis et 116 Hutus) y compris des prisonniers,
dans la prison locale et à Bujumbura.Dans
toutes les communes où elle a enquêté, elle s'est rendue
dans tous les camps de personnes déplacées et dans la plupart
des collines.
D.Commune
de Kiganda
a)Description
de la commune
321.La
commune de Kiganda jouxte au nord la commune de Mbuye, à l'ouest
la commune de Muramvya, au sud les communes de Rusaka et Ndava et à
l'est la commune de Rutegama.La
grand-route asphaltée qui va de Bujumbura à Gitega en longe
la limite nord, sur la rive droite du Mubarazi.La
commune est divisée en deux zones : Gatabo au nord et Kiremba au
sud.Le chef?lieu se trouve à
8 kilomètres environ au sud de la route principale et à une
quarantaine de kilomètres de la capitale de la province.La
garnison de l'armée à Mwaro se trouve à 23 kilomètres
au sud, elle est accessible par une route secondaire non goudronnée.
b)Assertions
et informations
c)Déroulement
des faits selon les témoignages
—Chef-lieu
324.Selon
tous les témoignages, il n'y a pas eu d'actes de violence dans le
chef?lieu le jeudi 21 octobre.Pendant
la journée, des Tutsis fuyant la commune voisine de Rutegama ont
commencé à arriver.Un
détachement de soldats de la garnison de Mwaro, dans le sud, est
arrivé dans la soirée.Le
lendemain, des Tutsis fuyant Rutegama ont continué à arriver
au chef?lieu.Le samedi 23 octobre,
deux Hutus ont été tués par des soldats et les Hutus
ont commencé à fuir la colline.
—Colline
Gahweza
325.Sur
la colline Gahweza, à 8 kilomètres environ au sud du chef?lieu,
on ne signale pas d'attaques contre les Tutsis.Le
jeudi 23 octobre et les jours suivants, selon des témoins hutus,
des civils tutsis armés de la colline, avec des Tutsis d'autres
collines, ont lancé des attaques contre les Hutus, tuant des hommes,
des femmes et des enfants.
—Autres
collines au sud du chef?lieu
326.Selon
tous les témoins, il n'y a pas eu d'actes de violence dirigés
contre les Tutsis sur les collines au sud du chef?lieu.
—Colline
Murambi
327.La
colline Murambi est délimitée au nord par le Mubarazi et
la route asphaltée principale, sur laquelle se trouve Gatabo, chef?lieu
de la zone Gatabo.Le reste de la
colline au sud est très escarpé.
328.Le
Gouverneur de Muramvya s'est arrêté à Gatabo au petit
jour le jeudi 21 octobre.Peu après
son passage, des Hutus menés par les dirigeants locaux du FRODEBU
ont commencé à abattre les arbres et à couper les
ponts pour bloquer les routes.Les
hommes tutsis ont été réunis et contraints de les
aider.Certains d'entre eux sont
revenus chez eux le jour même, d'autres ont été gardés
au chef?lieu jusqu'au samedi 23 octobre, puis ils ont été
libérés sains et saufs.
330.Sur
la colline Nyagisozi, à 3 kilomètres environ à l'ouest
de Gatabo, selon les témoins tutsis, des Hutus dirigés par
le chef de zone ont emmené les hommes tutsis de chez eux et les
ont tués.Ils en ont emmené
certains au bord du Mubarazi pour les tuer.
—Colline
Kivyeyi
331.Sur
la colline Kivyeyi, à 6 kilomètres environ au sud-ouest de
Gatabo, selon des témoins tutsis, des Hutus ont réuni des
hommes tutsis le jeudi 21 octobre et ils les ont forcés à
les aider à bloquer les routes.Ils
les ont gardés captifs la nuit et le lendemain, ils les ont emmenés
au bord du Mubarazi où ils ont été tués.Selon
un témoin hutu, on n'a pas tué de Tutsis sur la colline Kivyeyi.
—Colline
Martyazo
332.Sur
la colline Martyazo, à 3 kilomètres de Gatabo, selon des
témoins tutsis, le 23 octobre, des Hutus dirigés par le chef
de la colline ont réuni des hommes tutsis, les ont emmenés
au bord du Mubarazi pour les tuer et sont retournés piller et brûler
leurs maisons.
—Colline
Kanegwa
333.Sur
la colline Kanegwa, à 5 kilomètres de Gatabo, selon des témoins
tutsis, à la fois des Hutus et des Tutsis ont participé au
blocage des routes le jeudi 21 octobre.La
nuit cependant, les Hutus ont encerclé les maisons des Tutsis pour
les empêcher de fuir.Le lendemain,
les hommes, femmes et enfants tutsis on été capturés
et emmenés au bureau de l'UPRONA de la colline.Les
hommes et les enfants ont été emmenés près
d'une rivière voisine et tués, les femmes ont été
violées et tuées ensuite.
E.Commune
de Mbuye
a)Description
de la commune
334.La
commune de Mbuye jouxte au nord la province de Kayanza, à l'est
la province de Gitega, au sud les collines de Rutegama, Kiganda et Muramvya
et à l'ouest la commune de Muramvya.Le
chef-lieu se trouve près de la limite nord de la commune, sur la
colline Teka à une dizaine de kilomètres, par la route de
terre qui bifurque de la grand-route goudronnée de Kayanza, à
une trentaine de kilomètres de la ville de Muramvya.
b)Assertions
et informations
337.Des
rapports présentés par une autre association et par la SONERA
donnent la même description des événements.
338.Selon
un rapport du FRODEBU, le jeudi 21 octobre, sur la colline Kirembera, des
Tutsis de l'UPRONA, équipés d'armes à feu, ont tué
des résidents hutus et pillé leurs biens.
339.Le
dimanche 24 octobre, des unités militaires accompagnées par
des étudiants tutsis de l'UPRONA sont arrivées, tuant des
Hutus et détruisant leurs biens.À
la fin de novembre, une nouvelle vague de raids militaires a commencé
sur les collines Buyaga, Teka et Bigwana, tuant de nombreux Hutus, dont
certains ont été enterrés dans une fosse commune dans
les marécages près de Nyanza.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages
—Chef-lieu
340.Au
chef-lieu, sur la colline Teka, à côté du bureau de
l'Administrateur communal, il y a un "centre de négoce" — quelques
magasins, un marché, une école et une église.Quelques
policiers armés de revolvers gardaient le chef-lieu le jeudi 21
octobre.Selon des témoins
tutsis, ce jour, au petit matin, les résidents de la colline Teka
ont appris de l'Administrateur communal que l'armée s'était
emparée du Président Ndadaye.L'Administrateur
communal aurait porté la nouvelle aux collines voisines en motocyclette,
empruntant la route de Kibumbu, et traversant Buyaga, Bigwana, Kirika et
Kibumbu.Les chefs de zone et les
chefs de secteur auraient également circulé dans les collines
de la zone Gasura, traversant la colline Buhungura.Dans
la journée, les ponts ont été coupés et des
arbres ont été abattus pour bloquer les routes.
341.Dans
l'après-midi, des fonctionnaires et des enseignants se sont réunis
et ont formé deux groupes selon leur origine ethnique.Un
groupe de jeunes Hutus, qui aurait été organisé par
un maître d'école, est arrivé, armé de machettes
et de matraques et a patrouillé la colline jusqu'au soir.
342.Le
vendredi matin, un groupe de jeunes Hutus armés est arrivé
de la colline Buyaga et a commencé à attaquer des Tutsis.Il
y a eu un affrontement avec les Tutsis au chef-lieu, où le juge
local, un Tutsi, a été attaqué et blessé, puis
transporté à un hôpital voisin.Dans
l'après-midi, un maître d'école tutsi dénommé
Basile a été tué.La
police locale a tenté de maintenir l'ordre, allant jusqu'à
tirer en l'air mais elle était trop peu nombreuse pour être
efficace.Plus tard dans l'après-midi,
un autre Tutsi a été tué au chef-lieu.
345.Sur
l'autre versant de la colline Teka, de jeunes Hutus armés auraient
réuni les hommes tutsis dans une plantation d'eucalyptus et les
auraient tués, laissant leurs corps par terre.Ils
ont épargné les femmes et les enfants.
346.Selon
des sources militaires, une patrouille a réussi à gagner
le chef-lieu le vendredi 22 octobre et a trouvé des Hutus armés
réunis devant l'église mais ceux?ci se sont dispersés
pacifiquement.Les militaires ont
alors ouvert un camp pour les Tutsis déplacés sur la colline
voisine de Mbuye.Les jours suivants,
ils sont revenus au chef-lieu sans incident.Ce
récit a été confirmé par des témoins
indépendants.
—Colline
Bigwana
347.La
colline Bigwana se trouve à 5 kilomètres environ à
l'est du chef-lieu.Le jeudi 21
octobre, des Hutus ont abattu des arbres pour couper les routes.Ils
ont battu un soldat qui était en permission et l'ont empêché
de quitter la colline.
348.On
ne signale pas d'assassinats sur la colline vendredi.
349.Le
samedi, des hommes, femmes et enfants tutsis qui s'étaient réunis
en un seul groupe ont été attaqués par des Hutus.Beaucoup
ont été tués, dont le soldat qui avait été
battu jeudi.Des attaques contre
des Tutsis se sont poursuivies dimanche et lundi.Des
maisons appartenant à des Tutsis ont été brûlées.Les
attaques contre les Tutsis auraient été lancées à
l'instigation de Hutus de la commune de Rutegama, qui étaient arrivés
à Bigwana le vendredi soir.
—Colline
Buhangura
350.Sur
la colline Buhangura, à 4 kilomètres environ au sud du chef-lieu,
selon des témoins tutsis, les Hutus auraient tué des hommes
et adolescents tutsis le vendredi 22 octobre.Certains
des meurtriers venaient de Mubuga, la colline voisine.Les
témoins hutus ont décrit les événements comme
un affrontement violent entre les deux groupes ethniques, à la suite
de provocations des Tutsis, qui ont obligé de nombreux Hutus à
fuir et ce, jusqu'à l'arrivée des militaires le dimanche,
bien qu'on ne signale pas de victime hutue pendant ce temps.Ils
ont ajouté que les soldats tiraient sur la population à l'aveuglette,
tuant même des Tutsis.
—Colline
Buyaga
351.La
colline Buyaga se trouve à 3 kilomètres environ à
l'est du chef-lieu.
—Colline
Kibumbu
354.Sur
la colline Kibumbu, à 8 kilomètres environ au nord-est du
chef-lieu, selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal est
arrivé en motocyclette le jeudi 21 octobre le matin et a donné
ordre aux Hutus locaux de bloquer les routes.Le
soir, les Tutsis fuyant de la colline voisine Ngezi/Nete ont commencé
à arriver à Kibumbu.Le
vendredi soir, des Tutsis ont été attaqués par des
Hutus et beaucoup ont été tués.
355.Selon
un témoin hutu, un affrontement armé a éclaté
entre les Hutus et les Tutsis de la colline, avec des renforts de Tutsis
venus d'une autre colline.L'affrontement
s'est poursuivi jusqu'au dimanche 24 octobre quand les soldats sont arrivés,
tuant 18 Hutus.Ce témoin
cependant n'a pas pu identifier de victimes hutues de cet affrontement.
356.Selon
des sources militaires, une patrouille militaire est allée à
Kibumbu le mercredi 27 octobre pour saisir des armes.Des
témoins hutus ont affirmé que, ce jour, des militaires avaient
ouvert le feu sur un groupe de Hutus, faisant beaucoup de morts.
—Colline
Ngezi/Nete
357.Sur
la colline Ngezi/Nete, à une dizaine de kilomètres à
l'est du chef-lieu, selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal
est arrivé le jeudi 21 octobre et, peu de temps après, les
Hutus ont bloqué des routes avec des arbres abattus.Les
Tutsis se sont réunis pour se protéger et ils n'ont pas été
attaqués.Des Hutus, menés
par un dirigeant local du FRODEBU, ont pillé et brûlé
les maisons des Tutsis.Selon un
témoin hutu, ces actes auraient été commis par des
gens venant d'autres collines.
—Colline
Taba
358.Aucun
témoin tutsi des événements survenus sur la colline
Taba, à 10 kilomètres à l'est du chef-lieu, n'a été
entendu.Un témoin hutu qui
avait fui la colline le jeudi 21 octobre a déclaré qu'à
son retour le dimanche suivant des cadavres tutsis gisaient par terre et
les maisons appartenant à des Tutsis avaient été brûlées.Les
témoins hutus prétendent avoir été ailleurs
ou être restés chez eux et nient avoir assisté à
des actes de violence.Ils disent
que les militaires ont tué de nombreux Hutus à leur arrivée
sur la colline quelques jours plus tard.
F.Commune
de Rutegama
a)Description
de la commune
360.La
commune de Rutegama jouxte au nord la commune de Mbuye, à l'ouest
la commune de Kiganda, au sud la commune de Ndava et à l'est la
commune de Ndava et la province de Gitega.Elle
est traversée d'est en ouest, près de sa limite nord, par
la grand-route de Bujumbura à Gitega.Le
chef-lieu se trouve sur cette route, à 30 kilomètres de la
capitale de la province et à 35 kilomètres de la ville de
Gitega.
b)Assertions
et informations
361.Selon
le rapport de la FIHD, le Gouverneur a reconnu que des Tutsis avaient été
pris en otages le jeudi 21 octobre, réunis au chef-lieu et tués
dans la soirée et que des femmes et des enfants avaient été
tués le lendemain, estimant le nombre de morts à 200.Selon
le rapport, les sources tutsies estiment le nombre de morts à plus
de 1 000 et les sources médicales confirment que presque tous les
Tutsis de la commune ont été tués.Les
témoins tutsis disent que l'Administrateur communal a participé
aux assassinats.
362.Le
rapport précise que le dimanche 24 octobre, les militaires sont
arrivés de Mwaro et Gitega et ont nettoyé la colline pendant
plusieurs jours, tirant sur la population avec des mitrailleuses et faisant
des centaines de morts et de blessés.Ils
ont pillé et brûlé les boutiques au chef-lieu.
363.Selon
un rapport présenté par une association prétendant
représenter des victimes tutsies et hutues appartenant à
l'UPRONA, le Gouverneur de Muramvya serait venu tôt le jeudi 21 octobre
et aurait donné des instructions à l'Administrateur communal
et au dirigeant local du FRODEBU.À
l'aube, l'Administrateur communal a fait le tour de la commune, donnant
des instructions aux fonctionnaires locaux.Peu
de temps après, des arbres ont été abattus et des
ponts détruits pour bloquer les routes et une foule de Hutus armés,
dont des fonctionnaires et des membres de milices hutues, s'est réunie
au chef-lieu.L'Administrateur communal
a alors invité les Tutsis et les Hutus de l'UPRONA à se réunir
au chef-lieu pour une réunion de réconciliation.Ceux
qui sont venus ont été ligotés à 14 heures.Les
hommes ont été placés dans une salle communale et
dans des cellules, les femmes dans un bureau.Les
hommes ont été tués le jour même, les femmes
le lendemain.Les corps ont été
jetés dans des latrines ou enterrés dans des charniers.
366.Selon
un rapport du FRODEBU, 465 de ses membres ont été tués
en représailles, des maisons ont été brûlées
et des biens détruits dans toute la commune.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages
—Chef-lieu
367.Toutes
les sources sont d'accord pour dire que le Gouverneur est venu dans le
chef-lieu aux petites heures du jeudi 21 octobre, qu'il y a rencontré
l'Administrateur communal et que le matin les routes ont été
bloquées dans toute la commune.
368.Un
groupe de jeunes Hutus membres d'une milice du FRODEBU (INZARAGUHEMUKA)
d'une colline voisine, armés de machettes, seraient venus au chef-lieu
le jeudi matin et se seraient entretenus avec l'Administrateur avant de
retourner à leur colline.Selon
les rapports de témoins des Tutsis, généralement confirmés
par certains témoins hutus, les Tutsis du chef-lieu et des collines
environnantes ont été réunis et placés dans
des bureaux.Les hommes ont été
ligotés et mis dans la salle communale et des cellules, les femmes
et les enfants ont été mis dans un entrepôt.Dans
l'après-midi, les hommes ont été tués.Les
femmes et les enfants ont été tués le lendemain.
369.Certains
Hutus du FRODEBU qui ont été accusés d'avoir participé
à ces événements reconnaissent avoir été
présents pendant la matinée, mais disent être partis
quand ils ont vu que la situation se dégradait.
—Colline
Munanira
370.Sur
la colline Munanira, selon des témoins tutsis, des hommes, femmes
et enfants tutsis ont été réunis et enfermés
par des Hutus dans une école dans la soirée du jeudi 21 octobre.Le
lendemain matin, le toit de l'école a été mis à
feu et tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur ont été
tués lorsqu'ils essayaient de s'enfuir.Les
témoins hutus nient avoir assisté à ces événements.
371.La
Commission a entendu le témoignage de plusieurs personnes accusées
d'avoir participé à ce massacre.Elles
nient avoir vu le massacre ou y avoir pris part.
372.La
Commission n'a pas pu se rendre sur place au cours de son enquête,
car l'insécurité persistait dans la région.
—Colline
Cumba
374.Sur
la colline Cumba, à 2 kilomètres du chef-lieu, sur la route
principale, selon des témoins tutsis, des hommes tutsis ont été
réunis par des Hutus dans la matinée du jeudi 21 octobre
et ils ont été emmenés au chef-lieu, où ils
ont ensuite été tués.Le
vendredi, les hommes, les femmes et les enfants tutsis restants qui n'avaient
pas réussi à s'enfuir, ont été tués.
375.Selon
des témoins hutus, des soldats sont arrivés de Mwaru le samedi
23 octobre et ils ont ouvert le feu sur les Hutus.Un
témoin hutu a déclaré qu'ils ont de nouveau tué
des Hutus quatre jours plus tard.
—Colline
Nkonyovu
376.Sur
la colline Nkonyovu, à 5 kilomètres au nord-ouest du chef-lieu
sur la grand-route, selon des témoins tutsis, les Hutus ont invité
les hommes tutsis à les accompagner dans des patrouilles.Ils
les ont emmenés au chef-lieu, où ceux?ci ont ensuite été
tués.Beaucoup des Tutsis
restants se sont réunis dans un bar sur la grand-route.Là,
ils ont été attaqués par des Hutus, mais ils se sont
défendus et ont réussi à s'enfuir à Gatwaro,
dans la commune de Kiganda, à 2 kilomètres environ au nord-ouest
par la route.
377.Le
samedi 23 octobre, des soldats des véhicules blindés venant
du chef-lieu ont ouvert le feu sur les Hutus le long de la route, faisant
beaucoup de morts.Les soldats ont
de nouveau tué des Hutus le lundi suivant.
—Colline
Bubanda
378.Sur
la colline Bubanda, juste à l'ouest du chef-lieu, selon un témoin
tutsi, des hommes tutsis ont été capturés et emmenés
au chef-lieu le jeudi 21 octobre.
—Colline
Bupfunda
379.Selon
des témoins tutsis, l'Administrateur communal est venu à
la colline Bupfunda, à 5 kilomètres à l'ouest du chef-lieu
de bonne heure le jeudi 21 octobre.Le
même jour dans la soirée, les Tutsis ont été
attaqués par les Hutus de la colline, aidés par des Hutus
de la colline Bubanda.Les témoins
hutus de la colline disent avoir été ailleurs quand les événements
ont eu lieu ou n'avoir rien vu.
380.La
Commission a entendu plusieurs Hutus nommés par des témoins
tutsis comme ayant pris part aux massacres de Tutsis.Mais
un des témoins a nié s'être trouvé sur la colline
Bupfunda à l'époque des massacres.De
plus, la Commission a déterminé que les témoins hutus
de la colline évitaient de parler de ce qui s'était passé
pendant les trois jours qui ont suivi l'assassinat, du 21 au 24 octobre.Ils
prétendent n'avoir rien vu ou s'être enfuis le premier jour.
—Colline
Nyarukere
381.Sur
la colline Nyarukere, à 3 kilomètres au sud?ouest du chef?lieu,
selon des témoins tutsis, des hommes tutsis auraient été
capturés par des Hutus le jeudi 21 octobre et emmenés au
chef?lieu, où ils ont été tués.Dans
la soirée, des hommes, des femmes et des enfants tutsis ont été
tués chez eux et leurs cadavres ont été jetés
dans les latrines.Quelques femmes
tutsies ont été violées par des Hutus et des Twas
avant d'être tuées.Les
massacres de Tutsis se sont poursuivis jusqu'au dimanche 24 octobre.
—Colline
Nyakararo
382.Sur
la colline Nyakararo, à 5 kilomètres au sud?ouest du chef?lieu,
selon des témoins tutsis, des Hutus menés par les dirigeants
locaux du FRODEBU ont commencé à tuer des hommes, des femmes
et des enfants tutsis dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.Ils
ont continué à chercher les Tutsis qui s'étaient enfuis
et à les massacrer, jusqu'au samedi suivant.
383.Selon
des témoins hutus, des soldats sont arrivés le dimanche 24
octobre accompagnés de Tutsis de la colline Nyakararo, et ils ont
tué de nombreux Hutus.
—Colline
Muninya
384.Sur
la colline Muninya, à 3 kilomètres environ au sud?ouest du
chef?lieu, selon des témoins tutsis, des Hutus de la colline, aidés
par des Hutus de collines voisines, ont commencé à tuer les
Tutsis chez eux dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.
—Colline
Nyamitwenzi
385.Sur
la colline Nyamitwenzi, à 5 kilomètres environ à l'ouest
du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des hommes tutsis ont été
capturés chez eux par des Hutus et emmenés au chef?lieu,
où ils ont été tués.Les
attaques contre les Tutsis des deux sexes et de tous les âges se
sont poursuivies jusqu'au lundi suivant.Quelques
Tutsis ont réussi à survivre.Les
Hutus du chef?lieu ont pris part à ces attaques.L'armée
est arrivée deux semaines plus tard et a sauvé les survivants.
—Colline
Murinzi
386.Sur
la colline Murinzi, à 8 kilomètres environ du chef?lieu,
plusieurs soldats qui se trouvaient par hasard chez eux ont été
arrêtés le jeudi 21 octobre.Le
lendemain matin, un groupe de Hutus mené par un chef local du FRODEBU
a attaqué des Tutsis chez eux.Les
massacres de Tutsis se sont poursuivis jusqu'au samedi, avec la participation
de Hutus de la colline Nyakararo.
—Colline
Mushikamo
387.Sur
la colline Mushikamo, à une dizaine de kilomètres au sud?ouest
du chef?lieu, selon des témoins tutsis, dans l'après?midi
du jeudi 21 octobre, les autorités du FRODEBU ont arrêté
10 Tutsis et les ont détenus dans une cellule de la zone Mushikamo
jusqu'à ce que des soldats arrivés le lendemain les libèrent.D'autres
témoins tutsis ont déclaré que plus de 50 Tutsis auraient
été tués sur la colline par les Hutus.
—Colline
Gashingwa
388.Sur
la colline Gashingwa, à 5 kilomètres environ au sud du chef?lieu,
selon des témoins tutsis, des Hutus menés par des fonctionnaires
locaux du FRODEBU ont enlevé des hommes tutsis de chez eux le jeudi
21 octobre et les ont tués sur la route de Rutegama.Les
attaques contre les Tutsis restants se sont poursuivies jusqu'au lundi
suivant, avec la participation de Hutus et de Twas des collines voisines.L'armée
est arrivée deux semaines plus tard et a sauvé les survivants
tutsis.
IX.LA
PROVINCE DE NGOZI
A.Géographie
et population
389.La
province de Ngozi est bornée au nord par le Rwanda, à l'ouest
par la province de Kayanza, au sud par les provinces de Gitega et de Karuzi,
et à l'est par celles de Kirundo et de Muyinga.Elle
est située dans la zone montagneuse centrale, une région
de collines escarpées et de larges vallées.La
frontière avec le Rwanda suit le cours de la Kanyaru.La
province de Ngozi est traversée en son milieu, d'ouest en est, par
la principale route asphaltée, qui va de Bujumbura et de Kayanza
à Muyinga et à Kirundo.La
province est divisée en sept communes.Ngozi
compte environ 5 000 habitants; c'est la troisième ville du Burundi,
à 136 kilomètres de Bujumbura.La
superficie de la province est de 1 468 kilomètres carrés
et elle comptait 482 246 personnes en 1990.À
l'heure actuelle, presque tous les Tutsis vivent dans des camps de personnes
déplacées protégés par l'armée.Ngozi
est peuplée surtout de Tutsis.Il
existe dans la province plusieurs camps de réfugiés, qui
abritent environ 20 000 Hutus rwandais qui ont fui leur pays après
le génocide de 1994 et dont se chargent des organisations internationales.En
octobre 1993, un grand nombre de réfugiés rwandais tutsis,
rentrés depuis dans leur pays, vivaient dans l'ensemble de la province.
B.Assertions
et informations concernant les événements dans la province
C.Travail
de la Commission
392.Le
travail sur le terrain s'est poursuivi du 23 février au 28 mai.Le
Commissaire a dû travailler seul, jusqu'à ce que deux enquêteurs
soient dépêchés dans la province en avril; il a dû
aussi, à divers moments, accomplir un travail sur le terrain dans
d'autres provinces.Faute de fonds
suffisants et en raison de retards administratifs au siège, il n'a
pu obtenir qu'à la fin d'avril un logement permanent à Ngozi.Auparavant,
il devait venir sur place tous les jours.La
circulation sur les routes n'est possible que de jour, et le trajet entre
Bujumbura et Ngozi prenant près de trois heures, le temps qu'il
pouvait passer sur place était très limité.La
route a à plusieurs reprises été fermée, pour
des raisons de sécurité ou d'autres raisons.La
Commission a enquêté dans quatre communes, en entendant des
témoins dans les collines, dans cinq camps de personnes déplacées,
à Ngozi même, dans la prison et au Kenya.Le
Commissaire a entendu 127 témoins : 88 Tutsis, 34 Hutus, et 5 Twas.
393.Dans
la commune de Ruhororo, l'enquête est restée limitée. Les
zones proches de la commune étaient en effet le théâtre
d'actions fréquentes de la guérilla et de l'armée
durant le séjour de la Commission au Burundi.Pour
cette raison, les visites sur place ont été limitées
aux camps de personnes déplacées du chef?lieu.Même
au chef-lieu, après une manifestation dirigée contre les
Nations Unies à Bujumbura, les témoins qui avaient été
contactés par les enquêteurs ont refusé de coopérer
avec la Commission.Les témoignages
relatifs aux événements survenus à Ruhororo ont été
recueillis dans le camp et auprès des prisonniers et autres témoins
à Ngozi.
D.Commune
de Kiremba
a)Description
de la commune
394.La
commune de Kiremba est bornée au nord par celle de Marangara, à
l'ouest par celles de Nyamurenza et de Gashikanwa et au sud par la commune
de Kiremba; à l'est, elle est bornée par les provinces de
Muyinga et de Kirundo.La grand?route
asphaltée qui va de Ngozi à Muyinga traverse la commune,
en son milieu, d'ouest en est.Le
chef?lieu de la commune est relié par une route non revêtue
longue de 10 kilomètres environ à la route principale.La
bifurcation, sur la route principale, est à 20 kilomètres
de Ngozi.Après les événements
survenus en 1993, les Tutsis qui demeurent dans la commune sont à
présent regroupés dans deux camps, l'un au chef?lieu de la
commune et l'autre à Gakere, sur la grand?route, à 30 kilomètres
de Ngozi.Les collines sont habitées
uniquement par les Hutus.
b)Assertions
et informations
395.Selon
le rapport de la FIDH, après le coup d'État, des centaines
de personnes ont été massacrées à Kiremba.Dans
les collines Cayi, Ciri et Mufigi à elles seules, plus de 400 personnes
ont été tuées.Après
la visite du Gouverneur, le matin du jeudi 21 octobre, l'administrateur
communal a donné ordre de couper la route.Les
Hutus ont commencé à tuer les Tutsis le jour même après
une émission de Radio Rwanda.Une
famille tutsie a été brûlée vive sur la colline
Kidunda.Treize autres familles ont
été rassemblées et massacrées devant le lycée
du chef?lieu.
396.Les
soldats sont arrivés au chef?lieu le vendredi 22 octobre et ont
tué plusieurs personnes.Ils
sont ensuite attaqué la colline Gakere et ont tué 19 Hutus.Sur
la colline Musasa, les victimes ont été ensevelies dans une
fosse commune.De nombreux Hutus
ont été tués et laissés sans sépulture
autour du camp qui avait été ouvert pour les Tutsis déplacés.
397.Une
association tutsie relate que dans la commune de Kiremba tous les Tutsis
ont été massacrés, sauf quelques-uns qui ont réussi
à s'échapper.
398.Selon
une relation des faits favorable au FRODEBU, en dépit des efforts
de l'administrateur communal, qui s'est rendu dans les collines pour calmer
les esprits, certains Hutus enragés ont massacré leurs voisins
tutsis durant la nuit du 21 octobre, notamment dans les Zones Musasa et
Gakere, après avoir entendu des coups de feu tirés par des
soldats.
399.Quand
les soldats sont arrivés, le lendemain, ils ont commencé
à faire la chasse aux Hutus, en particulier les membres du FRODEBU,
et à les tuer.Cette chasse
à l'homme s'est poursuivie jusqu'en novembre.
400.Selon
la plainte d'un Hutu, l'administrateur communal aurait été
torturé et tué sur la place du marché, par des soldats,
le vendredi 22 octobre, avec les encouragements des Tutsis. Les
militaires auraient également massacré des femmes et des
enfants hutus qui avaient trouvé refuge à l'hôpital.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages suivants
—Colline
Kiremba
Chef?lieu
de Kiremba
401.Le
Gouverneur de la province, un Tutsi membre du FRODEBU, avait organisé
une réunion qui devait avoir lieu au chef?lieu le matin du jeudi
21 octobre.Le Gouverneur, ayant
été informé du coup d'État, est arrivé
au chef?lieu le jour même, vers 6 heures du matin, pour annuler la
réunion.Il a rencontré
alors des fonctionnaires et des dirigeants locaux du FRODEBU.Radio
Rwanda avait déjà annoncé le coup d'État survenu
à Bujumbura.
402.Bien
que les esprits soient très excités et que les autorités
locales aient déjà fait le tour des collines, aucun acte
de violence n'a eu lieu avant l'après?midi.
403.Vers
15 heures environ, le Gouverneur est revenu et a de nouveau rencontré
les autorités locales et les dirigeants locaux du FRODEBU.Après
avoir exhorté la population à se rendre à Ngozi pour
défendre la démocratie, il est reparti.
404.Vers
17 heures, des Hutus du FRODEBU ont commencé à abattre des
arbres pour couper les routes.Certains
magasins du centre ont été pillés.
405.Le
soir, Radio Rwanda a annoncé que le Président Ndadaye avait
été tué.
406.Selon
des témoins tutsis, au chef-lieu, des Hutus du FRODEBU se sont alors
saisis de 14 Tutsis dans la soirée.Les
corps de ces hommes ont été retrouvés le lendemain
dans un champ voisin, à l'exception de l'un d'eux, grièvement
blessé, qui a survécu.
407.Les
militaires sont arrivés le vendredi matin.Selon
un témoin hutu, ils ont ouvert le feu sur la population hutue.De
nombreux Hutus ont fui vers le Rwanda.
408.Plusieurs
témoins dont le témoignage a été recueilli
au camp du chef?lieu ont apparemment reçu pour instructions d'attribuer
la responsabilité des massacres à l'ancien Gouverneur.Quand
ils ont été interrogés, leurs déclarations
contenaient de nombreuses contradictions factuelles.
—Colline
Kibuye
409.Des
témoins tutsis ont déclaré que sur la colline Kibuye,
située à 5 kilomètres environ à l'est du chef?lieu,
des Tutsis ont été capturés par des Hutus, le jeudi
après?midi, et rassemblés en divers endroits.Dans
la soirée, après l'annonce par Radio Rwanda de la mort du
Président Ndadaye, ils ont été tués par des
Hutus.Une femme a indiqué
dans son témoignage qu'elle avait été violée,
puis blessée et laissée pour morte.Certains
survivants ont déclaré qu'ils devaient la vie à des
amis hutus.
410.Un
témoin tutsi et un témoin hutu ont indiqué que les
soldats, qui étaient arrivés le vendredi matin, ont ouvert
le feu sans distinction sur les Hutus.
—Colline
Gatwaro
411.Plusieurs
témoins, dont un Hutu, ont signalé que sur la colline Gatwaro,
située à 4 kilomètres environ à l'ouest du
chef?lieu, de nombreux Tutsis ont été tués le jeudi
soir.Une femme a déclaré
qu'elle avait été violée, tout comme d'autres femmes
tutsies, qui ont plus tard été tuées.
—Colline
Ngeramigongo
412.Cette
colline, à 4 kilomètres environ au sud?ouest du chef?lieu,
n'est accessible que par une route étroite non revêtue; des
témoins tutsis ont déclaré que des Hutus ont tué
des Tutsis la nuit du jeudi.Une
femme, de père tutsi et de mère hutue, signale dans son témoignage
qu'après avoir été blessée elle a été
sauvée par sa mère et par des parents hutus.
—Collines
Masasu et Musumba
413.Des
témoins tutsis, dans les collines Masasu et Musumba situées
sur la route non revêtue reliant le chef?lieu à la route asphaltée,
ont déclaré que l'administrateur communal de Kiremba avait
emprunté la route asphaltée, accompagné d'autres dirigeants
du FRODEBU, dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.Quelque
temps plus tard, des arbres ont été abattus afin de couper
les routes.Dans la soirée,
des Tutsis ont été attaqués par des Hutus.
—Colline
Kibande
414.Une
Tutsie, originaire de la colline Kibande à 23 kilomètres
de Ngozi sur la route principale, a déclaré dans son témoignage
avoir été attaquée à son domicile le jeudi
21 octobre, en début de soirée.Toute
sa famille a été massacrée et elle?même a été
gravement blessée et laissée pour morte.
—Colline
Kiremera
415.Selon
un témoin hutu, sur la colline Kiremera, située sur la grand?route
à 26 kilomètres de Ngozi, des Tutsis ont été
massacrés le soir du jeudi 21 octobre.Un
Hutu en a sauvé quelques?uns en les cachant dans une école.
—Colline
Gakere
416.Selon
des Tutsis survivants, originaires de la colline Gakere, située
sur la grand?route à 28 kilomètres de Ngozi, un grand nombre
de Tutsis se sont rassemblés dans la propriété d'un
Tutsi nommé Kinunda, et ont été attaqués le
jeudi soir mais ont réussi à repousser cette attaque.Le
lendemain, ils ont été entourés par un grand nombre
de Hutus armés qui les ont tués presque tous, quelques?uns
réussissant cependant à s'échapper.
—Colline
Kiyange
417.Sur
la colline Kiyange, à 30 kilomètres de Ngozi par la grand-route,
selon un témoin tutsi, des Tutsis ont été attaqués
le jeudi soir.La tuerie s'est poursuivie
le vendredi matin, jusqu'à l'arrivée des militaires en milieu
de matinée.
—Colline
Masoro
418.Sur
la colline Masoro, au sud de la colline Kiyange, à 2 kilomètres
de la route asphaltée, selon un témoin hutu, le massacre
des Tutsis a commencé le jeudi soir et s'est poursuivi les jours
suivants, car les militaires n'ont pas quitté la grand-route.
E.Commune
de Mwumba
a)Description
de la commune
419.La
commune de Mwumba est bornée au nord par le Rwanda dont elle est
séparée par la Kanyaru, à l'est par la province de
Kayanza, au sud par la commune de Ngozi et à l'ouest par celle de
Nyamurenza.Le chef-lieu est situé
sur la colline Buye, à 8 kilomètres de Ngozi par une route
non revêtue.La population
tutsie de la commune est concentrée dans deux camps de personnes
déplacées, l'un près du chef-lieu et l'autre à
Vyegwa, à 3 kilomètres environ dans la direction de Ngozi.
b)Assertions
et informations
420.Selon
le rapport de la FIDH, les Tutsis de la commune ont été rassemblés
et massacrés.Dans la moitié
des collines seulement, 712 Tutsis ont été tués.Les
représentants du FRODEBU sont venus par deux fois de Ngozi, le matin
du jeudi, pour couper les routes, et l'après-midi, pour arrêter
des Tutsis.Trente Tutsis ont été
rassemblés à Kiziba et massacrés.De
nombreux Tutsis ont été tués, leurs corps jetés
dans la Kanyaru.Les Hutus de l'UPRONA
qui avaient été également appréhendés
ont été remis en liberté.À
Vyegwa, 48 corps ont été découverts sur la colline
Rwabiriro.Sur cette colline, des
Tutsis ont été tués devant l'école primaire.Dans
certains cas, des Hutus ont aidé des Tutsis à s'échapper.Sur
certaines collines, aucun Tutsi n'a été tué.
421.Les
militaires sont arrivés dans la commune le vendredi 22 octobre ainsi
que le lendemain.À Kiziba,
ils ont rassemblé des Hutus, hommes, femmes et enfants, et les ont
tués.À Mushitsi,
une fosse commune a été remplie de leurs corps, et 160 corps
ont été découverts à Vyegwa.Des
Twas ont participé au massacre des Hutus.
422.Selon
une association tutsie, dans la Zone Mwumba, 50 Tutsis ont été
tués sur la colline Bakenke.Les
Tutsis ont été rassemblés et tués dans une
école de la colline Karungura et dans un "centre de négoce",
à Kiziba.Les Tutsis en fuite
ont été rassemblés dans une maison, à Vyegwa,
puis tués.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages suivants
—Colline
Buye
423.Selon
des témoins hutus et tutsis, sur la colline Buye où se trouve
le chef-lieu de la commune, les routes ont été coupées
dès le matin du jeudi 21 octobre.Pendant
l'après-midi, des Hutus dirigés par des fonctionnaires et
des dirigeants locaux du FRODEBU ont commencé à attaquer
les Tutsis et les Hutus membres de l'UPRONA.Certains
ont été bouclés dans la commune, mais le soir, après
que plusieurs d'entre eux ont été appelés, apparemment
pour être tués, les autres se sont échappés.Certains
ont réussi à fuir à la faveur de l'obscurité.
424.Quand
les Hutus ont commencé à attaquer les Tutsis près
du chef-lieu, nombreux sont ceux qui ont tenté de fuir à
travers champs jusqu'à Ngozi, au sud, en descendant des collines
puis en traversant le fond de la vallée de la Nkaka.
425.Nombreux
sont ceux qui ont été capturés dans la vallée
et conduits au domicile d'un Tutsi, Nazaire Nsabiyimana, qui était
absent; la maison est située à 1,5 kilomètre environ
de la route qui gagne Ngozi.Ils
ont été enfermés dans cette maison avec d'autres Tutsis
du voisinage qui avaient également été capturés.
426.Le
lendemain matin, les captifs ont été tués.Leurs
corps ont été jetés dans des fossés ou des
latrines où ils se trouveraient encore.Certains
Hutus du FRODEBU qui avaient également été capturés
n'ont pas été tués.
—Colline
Gitasi
427.La
colline Gitasi est longée par la route non revêtue qui relie
le chef?lieu de la commune à Ngozi.Selon
des témoins hutus, tutsis et twas, à Vyegwa, sur cette route,
où se trouvent plusieurs maisons et une station d'élevage
de chèvres, les Hutus se sont réunis le jeudi matin, à
l'instigation des dirigeants locaux du FRODEBU.Après
cette réunion, ils ont commencé à abattre des arbres
et à couper les ponts afin de bloquer la circulation sur les routes.
428.Plus
tard dans la journée, des Hutus ont commencé à rassembler
des otages tutsis du voisinage à Vyegwa, pour les conduire aux bureaux
de Zone Mwumba.Comme on l'indique
plus bas, ils ont par la suite été tués.
429.Une
Tutsie indique dans son témoignage qu'en haut de la colline, des
Tutsis ont été attaqués par des Hutus le même
jour.Elle a été frappée
à la tête au moyen d'un marteau et laissée pour morte.
—Colline
Mwumba
430.Les
bureaux de Zone Mwumba (à ne pas confondre avec le chef-lieu, situé
sur la colline Buye) sont situés sur la colline Mwumba, à
12 kilomètres environ de Ngozi.
431.Selon
des témoins hutus, tutsis et twas, le matin du jeudi 21 octobre,
des Hutus entraînés par des fonctionnaires et des dirigeants
du FRODEBU ont commencé à abattre des arbres pour couper
les routes et à détruire les ponts.Vers
midi, ils ont commencé à rassembler les Tutsis ainsi que
les Hutus et les Twas de l'UPRONA et les ont conduits aux bureaux de Zone
Mwumba, où ils ont été enfermés dans un bâtiment
qui servait de prison.Vers 21 heures,
ils ont appelé deux frères et les ont tués.Ils
ont ensuite appelé d'autres prisonniers, mais ceux-ci ont refusé
de sortir.Les Hutus ont alors lancé
des pierres à l'intérieur du bâtiment.Certains
captifs ont réussi à s'échapper, mais nombreux sont
ceux qui ont été tués.Les
corps auraient été enterrés près du cachot.
432.Plusieurs
témoins qui ont déclaré s'être échappés
du cachot, tout en s'accordant sur ces faits, se sont contredits sur plusieurs
aspects de leur témoignage.
433.Les
soldats sont arrivés le vendredi matin.Selon
un témoin hutu, ils ont commencé à tirer sans distinction
sur les Hutus, en en tuant un grand nombre.
—Colline
Nzove
434.Le
centre de négoce de Kiziba est situé sur la colline Nzove,
à 6 kilomètres environ du chef-lieu de la commune Mwumba
et à 15 kilomètres environ de Ngozi.Il
comprend une trentaine de maisons construites autour d'un marché
central et d'un abattoir.Les maisons,
toutes maintenant en ruines (sauf une récemment reconstruite), abritaient
des magasins et des bureaux.
435.Selon
des témoins hutus, tutsis et twas, le jeudi 21 octobre, après
avoir appris à la radio rwandaise l'arrestation du Président
Ndadaye par les militaires, des paysans hutus, entraînés par
des fonctionnaires et des dirigeants locaux du FRODEBU, ont abattu des
arbres pour couper les routes, et ont rassemblé les Tutsis des collines
voisines Nzove, Muremera et Gatsinda, y compris des réfugiés
rwandais, ont pillé leurs biens et les ont enfermés dans
un bâtiment, la "Maison de la société des maraîchers".
436.Vers
20 heures, ils ont commencé à les tuer.Ils
les ont fait sortir, les ont attachés trois par trois, les ont tués
et ont jeté leurs corps dans des fossés et des latrines.Les
corps y seraient toujours.La tuerie
s'est poursuivie jusqu'à trois heures du matin le vendredi.Certains
se sont échappés.Un
témoin raconte qu'il a soudoyé un Hutu qui l'a libéré.Deux
autres témoins ont indiqué qu'ils avaient été
laissés pour morts, inconscients, dans un fossé et qu'ils
ont repris conscience vers deux heures du matin le vendredi quand il a
commencé à pleuvoir.L'administrateur
communal de Mwumba serait passé en moto en route vers le Rwanda
le soir qui précède les tueries.Il
pleuvait.Un témoin twa signale
que l'administrateur communal a plaidé en vain pour la libération
des Rwandais.
437.Selon
des témoins hutus et twas, les soldats sont arrivés le lendemain
samedi.Les Hutus adultes du sexe
masculin avaient fui vers le Rwanda.Les
soldats ont rassemblé les vieillards et les femmes hutus qui restaient
sur place ainsi que les Twas et leur ont offert de la bière au débit
de boissons de Mbatari.Puis, ils
ont emmené les Hutus jusqu'au magasin d'un Hutu nommé Mudagi
qui s'était enfui.Ils les
ont ensuite massacrés.
—Colline
Karungura
438.Selon
des témoins tutsis, le jeudi après-midi, des Tutsis de la
colline Gakenke ont été emmenés par des Hutus entraînés
par des dirigeants et des permanents locaux du FRODEBU jusqu'à une
école, sur la colline Karungura.Ils
les auraient attachés, puis tués vers 21 heures.Leurs
corps seraient toujours enfouis dans la latrine.
439.Selon
des témoins tutsis et hutus, les Tutsis du clan Hima se sont rassemblés
et ont réussi à se défendre contre les Hutus qui les
attaquaient.
—Collines
Cahi et Gatsinda
440.Des
témoins tutsis des collines Cahi et Gatsinda, situées dans
la partie nord de la commune, ont déclaré qu'ils avaient
été arrêtés à leur domicile l'après-midi
du jeudi 21 octobre par des Hutus du FRODEBU, puis regroupés avec
d'autres Tutsis captifs et emmenés dans la soirée sur les
rives de la Kanyaru, qui fait la frontière avec le Rwanda, pour
y être tués.Tous les
témoins indiquent que, si de nombreux Tutsis ont été
tués, ils ont eux-mêmes été aidés par
des Hutus à s'échapper.Un
témoin hutu a confirmé que des Tutsis avaient été
tués sur les rives de la Kanyaru.
F.Commune
de Ruhororo
a)Description
de la commune
441.La
commune de Ruhororo est bornée au nord par les communes de Ngozi,
de Gashikanwa et de Tangara, au sud-est par la province de Kayanza, au
sud par la province de Gitega et au sud-ouest par celle de Karuzi.Son
chef-lieu se trouve dans le sud de son territoire, à 25 kilomètres
de Ngozi par une bonne route non revêtue qui mène à
Gitega.
b)Assertions
et informations
442.Selon
une association tutsie, l'administrateur communal de Ruhororo a fait arrêter
et rassembler des Tutsis pour les faire tuer.
443.Selon
un rapport favorable au FRODEBU, le vendredi 22 octobre, des soldats accompagnés
de civils tutsis ont appréhendé des Hutus dans les collines
Ntiba et Gitwe.Ils en ont tué
15, et plusieurs autres en chemin.Le
lendemain, ils ont tué huit Hutus sur la colline Banda.Le
dimanche, ils ont tué 26 personnes sur la colline Taba.Une
dizaine de Hutus ont été tués à Gisha le 7
novembre.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages suivants
—Colline
Rwamiko
Chef-lieu
444.Selon
des témoins tutsis, un dirigeant du FRODEBU venu de Ngozi serait
arrivé en fourgonnette au chef-lieu au début de l'après-midi
du jeudi 21 octobre et se serait entretenu avec l'administrateur communal.Peu
après, des Hutus du FRODEBU ont abattu des arbres pour couper les
routes.Des Tutsis des collines
voisines ont été rassemblés et détenus dans
le bâtiment administratif.Le
dirigeant du FRODEBU a admis avoir transporté des Tutsis jusqu'au
chef-lieu mais a dit que c'était pour leur protection.Le
soir, les Tutsis captifs ont été emmenés jusqu'à
la rive de la Ruvubu, à 500 mètres environ, puis tués.Certains
Hutus membres de l'UPRONA qui avaient également été
appréhendés n'ont pas été tués.
445.Les
militaires sont arrivés au chef-lieu dans l'après-midi du
lendemain après avoir dégagé au moyen d'un tracteur
la route coupée par des arbres abattus.Tout
le long du trajet, ils ont vu des morts ou des blessés tutsis.
446.Selon
des témoins hutus, ces militaires ont ouvert le feu sans distinction
sur les Hutus, le long du trajet, et au chef-lieu, en tuant un grand nombre.
447.Un
témoin hutu a déclaré que le jeudi 21 octobre et le
lendemain, les militaires ont continué à tuer des Hutus des
deux sexes et de tous âges dans les collines à l'écart
de la grand-route, notamment Cagura, Kabuye et les collines de Zone Mubanga
au nord.
—Colline
Bucamihigo
448.Selon
un témoin hutu, des Tutsis du sexe masculin de la colline Bucamihigo
ont été rassemblés, le jeudi, par des Hutus entraînés
par un dirigeant du FRODEBU, puis emmenés au chef-lieu où
ils ont plus tard été tués.
449.Selon
le même témoin, le lendemain, des soldats ont tué 41
Hutus sur la colline.
—Colline
Kabuye
450.La
colline Kabuye est à 4 kilomètres environ du chef-lieu.Selon
un témoin tutsi, des Tutsis du sexe masculin, parmi lesquels les
instituteurs, ont été appréhendés et emmenés
par des Hutus le jeudi 21 octobre.
451.Selon
un témoin hutu, les militaires ont tué de nombreux Hutus,
hommes, femmes et enfants, sur la colline, dans les jours qui ont suivi.
G.Commune
de Tangara
a)Description
de la commune
452.La
commune de Tangara est bornée au nord par la commune de Kiremba,
à l'ouest par celles de Gashikanwe et Ruhororo, au sud par la province
de Karuzi et à l'ouest par celle de Muyinga.Aucune
grand?route ne la dessert.Le chef?lieu
est situé à Musenyi, et est relié par 12 kilomètres
d'une route secondaire non revêtue, à travers la commune de
Kiremba, à la route asphaltée, à un point situé
à 30 kilomètres de Ngozi.
b)Assertions
et informations
453.Selon
le rapport de la FIDH, les tueries ont été rares dans le
territoire de la commune et ont été le fait surtout de personnes
venues de l'extérieur.Un
groupe de Hutus de la commune de Kiremba a tué 30 Tutsis; des Hutus
de la commune de Ruhororo ont tué huit Tutsis sur la colline Nyagesebeyi
le samedi 23 octobre; et des Hutus de la province de Karuzi ont tué
50 Tutsis environ sur les collines Ruyogoro, Gikingo et Murumba, le mercredi
suivant.
454.Le
samedi 23 octobre, les militaires ont tué 18 Hutus sur la colline
Nyagesebeyi.Le lundi suivant, ils
ont attaqué les collines Mugirampeke, Gasekanya et Bomba, tuant
58 personnes.
455.Selon
une association tutsie, dans la commune de Tangara, les tueurs venaient
des communes voisines, mais, de façon générale, grâce
aux efforts de l'administrateur communal, les Tutsis tués ont été
peu nombreux.
c)Déroulement
des faits selon les témoignages suivants
456.Contrairement
à ce qui s'est passé dans toutes les communes voisines, aucun
Tutsi n'a été tué en octobre 1993 dans la commune
de Tangara à l'exception de quelques collines proches d'autres communes
ou provinces.
—Chef-lieu
457.Le
21 octobre, l'administrateur communal, un Tutsi membre du FRODEBU (désormais
en prison à Ngozi), ayant appris le coup d'État en écoutant
Radio Rwanda, et dans l'incapacité de communiquer avec la capitale
de la province, a parcouru sa commune sur une moto le jeudi 21 octobre
en exhortant les habitants à rester calmes.Les
routes n'ont pas été coupées, aucune personne n'a
été prise en otage et personne n'a été tué
le jour même.Le vendredi,
les Tutsis qui avaient échappé aux nombreux massacres intervenus
dans la commune de Ruhororo ont commencé à arriver à
Musenyi.Les militaires sont arrivés
le vendredi soir.
—Collines
Bomba, Mugirampeke, Muramba et Ruyogoro
458.Selon
des témoins Tutsis, le vendredi 22 octobre et les deux jours suivants,
des Tutsis du sexe masculin et de tous âges ont été
tués sur les collines Bomba, Mugirampeke, Muramba et Ruyogoro, toutes
jouxtant la province de Karuzi, à l'instigation de Hutus venant
de cette province, où des massacres de Tutsis ont eu lieu en grand
nombre.Des femmes tutsies ont été
empêchées de quitter ces localités.
459.Les
soldats n'ont pu atteindre ces collines.L'arrivée
de Hutus armés, de Karuzi, à la colline Bomba a été
confirmée par un témoin Hutu.
—Colline
Butezi
460.Sur
la colline Butezi, qui jouxte la commune de Kiremba, des Tutsis de sexe
masculin ont été tués le samedi.Les
Tutsies ont là aussi été empêchées de
quitter les lieux.
—Colline
Nyagasebeyi
461.Selon
un témoin hutu, les militaires ont tiré sans distinction
sur les Hutus le samedi 23 octobre près de la limite de la commune
de Ruhororo.
462.À
l'exception des collines mentionnées ci?dessus et de certaines collines
éloignées, Tutsis et Hutus ont continué à vivre
côte à côte dans la commune.
X.ANALYSE
DES TÉMOIGNAGES
463.S'il
est vrai, comme il est dit plus haut, que la Commission été
contrariée par les circonstances à l'occasion de son enquête
et que la fiabilité des témoins était sujette à
caution, la montagne de témoignages recueillis lui a permis de déceler
une certaine constance dans les comportements et de dégager un certain
nombre de conclusions.
464.À
en juger non seulement par les dépositions de témoins appartenant
aux deux groupes ethniques, mais également par toutes les autres
informations recueillies, il est constant que dès le moment où
la nouvelle du coup d'État est parvenue à l'intérieur
du pays, des troncs d'arbres abattus ont été jetés
en travers de toutes les routes sur presque toute l'étendue du territoire
burundais et les ponts brisés.Il
n'est pas jusqu'à certains responsables locaux à l'époque,
maintenant écroués, qui n'aient fait état d'ordres
qu'ils avaient reçus de leurs supérieurs de pousser la population
à un tel comportement qui, autant que la Commission a pu en juger,
était sans précédent au Burundi.
465.Dans
la plupart des communes où l'enquête a été menée,
le barrage des routes a été suivi peu après dans les
localités sous le contrôle du Gouvernement hutu ou des responsables
communaux du FRODEBU, par la capture de tous les adultes tutsis de sexe
masculin et, dans certains cas, des Hutus partisans de l'UPRONA et leur
regroupement dans des endroits bien déterminés où
ils étaient retenus en otage.
466.Dans
la plupart des cas, le meurtre de ces otages a commencé dès
le moment où on apprenait, essentiellement par la radio rwandaise,
que le Président Ndadaye avait été tué.Ces
meurtres ont été perpétrés dans la nuit du
jeudi 21 octobre dans certains endroits cependant qu'ailleurs ils ne devaient
l'être que le lendemain à l'aube.Peu
nombreux ont été les otages de l'UPRONA tués.
467.Dans
les localités où les otages ont été tués,
le massacre s'est dans la plupart des cas vite étendu à toutes
les femmes et tous les enfants tutsis; les maisons des Tutsis ont également
été mises à sac et incendiées.Le
massacre d'hommes et de femmes tutsis de tous âges fit tache d'huile
à partir de ces localités.Dans
certains endroits, des femmes tutsies ont été épargnées,
encore qu'elles aient souvent été violées ou séquestrées.
468.Les
soldats et gendarmes, partis de leurs bases le jeudi 21 octobre, entreprirent
à grand?peine de dégager les routes principales et de construire
des ponts de fortune.Une fois sur
les lieux des massacres de Tutsis, ils ont porté secours aux survivants
et se sont pour la plupart livrés à un massacre aveugle de
Hutus, aidés souvent en cela par les survivants eux?mêmes.Ils
entreprirent ensuite, pendant plusieurs jours, de dégager les routes
secondaires, continuant de porter secours aux Tutsis et d'exercer une répression
aveugle sur la personne des Hutus.Les
soldats ne se sont jamais rendus sur certaines collines.
469.Au
fur et à mesure que l'armée se déployait à
partir de points situés sur les routes principales, nombre de Hutus
s'enfuyaient vers les collines encore inaccessibles.Les
tueurs dans leurs rangs étendaient le massacre des Tutsis aux collines
qui avaient jusque?là été épargnées
par la violence tant et si bien que pendant quelques jours à partir
du vendredi 22 octobre, les massacres de Tutsis par les Hutus d'une part
et de Hutus par les soldats d'autre part se généralisaient
simultanément.
470.Les
témoignages recueillis concordent dans leur quasi?totalité
: dans les communes où l'enquête a été menée,
Hutus et Tutsis coexistaient dans la paix sur le colline depuis le 21 octobre
même si la campagne électorale et le remplacement de la plupart
des responsables locaux de l'UPRONA par des membres du FRODEBU avaient
suscité quelque tension entre les ethnies.Les
rapports sociaux étaient normaux et les mariages mixtes fréquents.Un
pourcentage considérable de survivants tutsis ont reconnu n'avoir
dû leur salut qu'à des parents, voisins ou amis hutus qui
les avaient protégés souvent au risque de leur propre vie.
471.Si
de nombreux témoins hutus ont évoqué la persécution
sanglante dont les membres de leur ethnie furent victimes en 1972, aucun
d'entre eux n'a accusé ses voisins tutsis d'y avoir personnellement
pris part.La persécution
et la répression politique perpétrées contre les Hutus
avaient été le fait de dictatures militaires et les agriculteurs
tutsis locaux eux?mêmes n'y avaient pas joué un rôle
important.
472.S'il
est indéniable que les Hutus constituent une classe de citoyens
de second ordre sur les plans social, économique et dans l'enseignement,
les disparités de statut, de richesse et de niveau d'instruction
entre Tutsis et Hutus vivant de l'agriculture de subsistance sur la même
colline étaient négligeables.
473.Autant
de considérations qui amènent la Commission à conclure
que le massacre systématique d'hommes, de femmes et d'enfants tutsis
sur les collines dans l'ensemble du pays ne saurait être mis sur
le compte de réactions spontanées, simultanées, de
la masse des agriculteurs hutus dirigées contre leurs voisins.Le
fait — établi par les éléments de preuve recueillis
— que nombre de simples agriculteurs hutus aient pris part au massacre
ne peut être attribué qu'à l'incitation de leurs dirigeants
et à l'exemple donné par ces derniers, dont la présence
et les activités partout où des massacres ont été
perpétrés sont attestée par des preuves surabondantes.
474.La
question se pose de savoir comment des agriculteurs hutus par nature pacifiques
ont pu être convaincus de prendre part au massacre de leurs voisins
tutsis.Pour la Commission, la soif
de terres n'était pas — tant s'en faut — une motivation étrangère
à un tel comportement.
475.Le
Burundi qui est — faut?il le rappeler? — le pays le plus surpeuplé
d'Afrique, voit sa population s'accroître tous les ans à un
taux de plus de 2,5 %.Plus de 90
% de la population vit de la terre.Les
familles occupent de minuscules lopins de terre qui ne sont plus en mesure
d'accueillir les nombreux descendants et leurs propres enfants.Il
n'existe pratiquement aucune possibilité d'emploi en dehors de l'agriculture.Le
moindre pouce de terre arable fait l'objet d'une exploitation intensive
et il n'y a pas de terres où l'on puisse s'installer.Les
chances d'émigrer sont pratiquement nulles.Dans
la moitié septentrionale du pays, où la quasi-totalité
des massacres avaient eu lieu, les anciens pâturages sont maintenant
presque entièrement voués aux cultures de sorte que les Tutsis
se sont, pour la plupart, eux aussi consacrés à l'agriculture.Certains
Tutsis et Hutus étaient encore propriétaires d'un petit cheptel
mais essentiellement pour se conférer quelque statut.
476.L'immense
pression résultant de cet état de choses a pu susciter chez
les agriculteurs voués à la misère la forte tentation
de s'approprier les biens de leurs voisins et d'accaparer leurs lopins
de terre, tentation que leurs dirigeants ont pu exploiter.On
relèvera à cet égard que le pillage des biens tutsis
a commencé presque partout dès le moment où les otages
étaient capturés, avant que les massacres n'aient eu lieu.
477.Quant
à savoir ce qui a pu inspirer ceux qui, jusqu'au niveau local, ont
été à la tête de ces massacres, la Commission
estime qu'il ne faudrait pas perdre de vue l'exemple rwandais que Hutus
et Tutsis burundais ne sont pas près d'oublier.Au
Rwanda, le régime hutu en place depuis l'indépendance et
au pouvoir à l'époque des événements du Burundi,
avait massacré les Tutsis à plusieurs reprises.L'attitude
des Hutus rwandais au pouvoir vis?à?vis des Tutsis devait s'offrir
en spectacle tragique à l'opinion internationale à l'occasion
du génocide perpétré l'année suivante, et dont
on sait maintenant qu'il avait été mûri à l'avance.Les
dirigeants du FRODEBU à tous les échelons, y compris les
fondateurs de cette organisation, avaient vécu des années
en exil au Rwanda après 1972.Le
FRODEBU était fortement appuyé depuis sa création
par le Président rwandais et son parti.Toutes
choses qui ne pouvaient manquer d'influencer les responsables hutus du
FRODEBU y compris au niveau local.
478.Une
montagne de dépositions et autres éléments de preuve
tendent à désigner certains militants et dirigeants hutus
du FRODEBU, y compris au niveau des communes comme les instigateurs des
massacres de Tutsis partout où la Commission a été
conduite par son enquête.Quant
à savoir si ceux?ci avait agi de leur propre chef ou s'ils obéissaient
à des ordres ou à un plan préétabli, les éléments
de preuve disponibles n'autorisent nullement à se prononcer.Aucune
preuve directe ne permet de conclure dans un sens ou dans l'autre et les
éléments de preuve indirecte peuvent être interprétés
dans un sens comme dans l'autre.En
effet, si d'une part, on peut en conclure que les responsables locaux avaient
agi sur des ordres précédemment émis par leurs supérieurs,
il n'est pas inconcevable d'autre part que les responsables en cause, ayant
appris au terme d'une journée de tension indescriptible que le Président
Ndadaye avait été tué et croyant leur gouvernement
irrémédiablement condamné, aient entrepris de leur
propre chef de massacrer les otages tutsis en différentes parties
du pays.Entre l'exécution
des otages et le massacre systématique des femmes et des enfants,
il n'y avait qu'un petit pas à franchir.
479.On
ne peut pas en dire autant des actes de prise d'otages qui, autant que
la Commission ait pu en juger, constituent un phénomène sans
précédent au Burundi, voire au Rwanda.Ces
actes ont été perpétrés simultanément
en différents endroits non reliés par le moindre moyen de
communication.Ils étaient
invariablement dirigés contre tout homme ou jeune tutsi quelle que
soit son affiliation politique.Ils
ont été perpétrés peu après que les
militants et responsables locaux du FRODEBU ont appris la nouvelle du coup
d'État militaire et de l'arrestation du Président et avant
qu'ils aient pu savoir si le coup d'État avait réussi ou
si le Président était encore en vie ou non.On
ne peut pas croire qu'il se soit agi là d'un phénomène
local spontané qui se serait produit en même temps en divers
endroits.
480.Au
surplus, il est impossible de trouver aux actes de prise d'otages une explication
cohérente au niveau local proprement dit.Par
définition, on prend des otages pour contraindre un adversaire à
agir de telle ou telle façon.Un
dirigeant local n'avait personne avec qui négocier.La
cessation du coup d'État militaire ou la libération du Président
Ndadaye ne pouvaient être négociées qu'à Bujumbura.À
cette fin, seule une campagne de prise d'otages d'envergure menée
en même temps sur toute l'étendue du territoire national pouvait
offrir des pions aux fins de négociations.
481.Les
massacres de Tutsis, loin de constituer uniquement une manifestation d'hostilité
de la part d'un groupe politique ou ethnique contre un autre groupe étaient
une tentative d'extermination totale de l'ethnie tutsie.Les
Tutsis n'ont pas été massacrés dans un accès
de violence, mais systématiquement traqués.Que
l'on ait dans certains cas laissé la vie sauve à des femmes
tutsies peut s'expliquer par le fait qu'au Burundi la femme ne perpétue
pas l'ethnie car l'enfant appartient à l'ethnie de son père.Parfois,
des Hutus ont été pris en otages en même temps que
les Tutsis, mais il s'agissait uniquement de Hutus dont l'affiliation à
l'UPRONA était notoire, alors que dans le cas des Tutsis l'affiliation
politique était indifférente.La
plupart des Hutus de l'UPRONA ont certes subi de graves sévices,
mais ils n'ont pas été tués.Les
dirigeants qui avaient donné le coup d'envoi des massacres ici ou
là n'ont cessé, dans leur fuite, de les susciter dans les
endroits qui en étaient encore épargnés.
482.Aux
termes de l'article II de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, le génocide s'entend
du meurtre de membres d'un groupe ethnique commis dans l'intention de détruire
ce groupe en tout ou en partie.Le
fait que le Burundi n'ait pas ratifié cette convention est sans
pertinence puisque ses dispositions font maintenant partie du droit international
coutumier et ont valeur de jus cogens.
XI.CONCLUSIONS
483.La
Commission estime que les éléments de preuve dont elle dispose
suffisent à établir que des actes de génocide ont
été perpétrés au Burundi contre la minorité
tutsie le 21 octobre 1993 et les jours suivants à l'instigation
et avec la participation de certains militants et responsables hutus du
FRODEBU, y compris au niveau des communes.
484.La
Commission estime que les éléments de preuve ne lui permettent
pas de déterminer si ces actes avaient été planifiés
ou ordonnés ou non par des dirigeants au niveau supérieur.
485.La
Commission considère que, même si elle n'a pas recueilli de
preuves — et on ne pouvait pas non plus attendre d'elle qu'elle en recueille
vu les circonstances — de témoignages directs ni de preuves matérielles
à l'appui, les éléments de preuve indirecte dont elle
dispose l'autorise à conclure que certains membres haut placés
du FRODEBU avaient planifié à l'avance une riposte face à
l'éventualité bien réelle d'un coup d'État
de l'armée, que cette riposte consistait notamment à barrer
les routes et à armer les Hutus, à prendre en otages des
hommes et des jeunes hommes tutsis et que ce plan avait été
connu d'avance de certains membres locaux du FRODEBU occupant des postes
de responsabilité, y compris au niveau des communes.
486.La
Commission estime qu'il est établi que des éléments
de l'armée et de la gendarmerie burundaises et des civils tutsis
ont perpétré un massacre aveugle d'hommes, de femmes et d'enfants
hutus. Si l'on n'a pas rapporté
la preuve que la répression avait été planifiée
ou ordonnée par les autorités centrales, il est constant
que les autorités militaires à tous les échelons de
la hiérarchie n'ont fait aucun effort pour prévenir, arrêter,
réprimer de tels actes ou ouvrir une enquête sur ce sujet.La
Commission considère que pour n'avoir pas agi, les autorités
militaires en question voient leur responsabilité engagée
vis?à?vis de ces actes.
487.La
Commission estime que les éléments de preuve dont elle dispose
ne lui permettent pas d'identifier nommément les individus qui doivent
répondre des actes visés dans les présentes conclusions
devant la justice.