QUATRIÈME PARTIE : ENQUÊTE SUR LES MASSACRES ET AUTRES ACTES DE 
VIOLENCE GRAVES Y RELATIFS

I.CHAMP DE L'ENQUÊTE SUR LES MASSACRES ET AUTRES

ACTES DE VIOLENCE

214.Conformément à son mandat, la Commission a mené une enquête sur les massacres et autres actes de violence graves qui ont suivi l'assassinat du Président Ndadaye.Étant donné que la violence au Burundi n'a jamais cessé depuis l'assassinat et en est la conséquence, la première tâche que la Commission a dû accomplir a consisté à définir le cadre temporel de l'enquête.


215.Comme on l'a déjà déclaré, à la suite du putsch du jeudi 21 octobre 1993 au cours duquel le Président Ndadaye a été assassiné, le gouvernement civil a été privé de l'exercice du pouvoir depuis cette date jusqu'au dimanche 24 octobre, ses membres ayant été tués, s'étant réfugiés dans des ambassades étrangères ou s'étant enfuis.Le pouvoir effectif a été assuré par un comité qui a ordonné le 21 octobre à tous les commandants militaires provinciaux de se substituer aux gouverneurs.Ce n'est que le samedi dans la soirée qu'un membre du comité a annoncé le rétablissement du gouvernement constitutionnel.C'est au cours de cette période du 21 au 24 octobre que la plupart des actes de violence ont été commis.La première mesure du gouvernement a été de procéder à la pacification du pays au moyen d'un effort entrepris conjointement sur l'ensemble du territoire par les autorités civiles, les dirigeants politiques et les militaires.Cet effort a réussi à faire cesser la plupart des massacres à grande échelle, bien que la violence se soit poursuivie dans des zones auxquelles le gouvernement n'avait pas accès et qu'elle n'ait en fait jamais vraiment cessé.Une période de coexistence relativement calme a suivi cet effort de pacification avant que la situation ne recommence à se détériorer gravement en 1995.La Commission a donc estimé que son enquête devrait mettre l'accent sur cette période de violence, d'une durée de quelques jours, qui a immédiatement suivi l'assassinat.
216.L'enquête a porté sur les actes commis contre les Tutsis et certains Hutus de l'UPRONA par des membres de la population hutue et sur ceux qui ont été commis contre les Hutus par les militaires et par les civils tutsis.

217.En ce qui concerne la nature de l'enquête, la Commission, comme on l'a déclaré, a conclu que son mandat ne pouvait être interprété comme exigeant qu'elle enquête sur chacun des actes de violence et en détermine le ou les auteurs.Elle s'est donc attachée avant tout à déterminer si ces actes, dirigés contre des Tutsis ou des Hutus, faisaient apparaître une tendance susceptible d'indiquer la présence de plans, d'ordres, d'encouragements ou de négligences criminelles de la part de supérieurs, ou s'ils pouvaient avoir été le résultat d'initiatives spontanées ou purement locales.

218.Étant donné qu'au moment où ces actes de violence se sont produits, aucune possibilité de communication n'existait entre les civils au niveau des communes ou à un échelon inférieur — les téléphones et la station de radio ne fonctionnant pas — la similitude de comportements inhabituels dans des endroits très éloignés les uns des autres pouvait constituer un indice de préméditation.La manière dont ces actes ont été commis pouvait également indiquer si la violence avait uniquement des motifs politiques ou si elle visait délibérément à exterminer un groupe ethnique.

219.Ayant cet objectif en vue et compte tenu des limites imposées par l'insuffisance des moyens mis à sa disposition, la Commission s'est employée à choisir certaines communes de province qui pouvaient être considérées comme représentatives à l'égard des événements en question.


220.Selon toutes les informations disponibles, les provinces du pays n'ont pas toutes été pareillement touchées par les actes de violence commis durant la période examinée.La violence a relativement épargné certaines zones, en particulier au sud, où les Tutsis sont relativement plus nombreux.La Commission n'a pas pu avoir accès à la plupart des provinces gravement touchées en raison des actes de violence que continuaient apparemment de commettre les rebelles et l'armée.Tel était le cas des provinces voisines du Zaïre et de la République-Unie de Tanzanie, ainsi que de la province de Karuzi.Les provinces frontalières de la République Unie de Tanzanie posaient un problème supplémentaire, à savoir que leur éloignement de Bujumbura excluait des missions d'une journée par voie terrestre.
221.Ces considérations ont limité le choix de la Commission à cinq provinces, parmi lesquelles elle en a retenu quatre : Gitega, Kirundo, Muramvya et Ngozi.Les enquêtes menées à Kirundo ont dû être interrompues après deux missions pour la raison énoncée ci-après.

222.Dans chacune de ces provinces, certaines communes représentatives ont été choisies : Bugendana, Giheta et Gitega dans la province de Gitega; Mbuye, Kiganda et Rutegama dans la province de Muramvya; Kiremba, Mwumba, Tangara et Ruhororo dans la province de Ngozi; Vumbi et Kirundo dans la province de Kirundo.

II.MÉTHODOLOGIE

223.Après avoir annoncé publiquement qu'elle arrivait au Burundi, la Commission a reçu de divers particuliers, groupes et organisations un certain nombre de documents ayant trait aux actes de violence commis dans les provinces.Elle a analysé ces documents afin d'y rechercher des indices concernant des événements ou des témoins précis, mais elle ne les a nullement traités comme des éléments de preuve et ne s'est pas limitée à en vérifier les sources.

224.La Commission a effectué son enquête sur le terrain essentiellement par l'audition de témoins.Ceux-ci ont été entendus séparément, certains à Bujumbura mais la plupart dans les capitales des provinces ou ailleurs, dans des lieux à l'abri des oreilles indiscrètes.

225.Les témoins ont été recherchés dans les camps de personnes déplacées, dans les collines et dans les prisons.Comme on pouvait s'y attendre, les témoignages ont parfois abouti à l'identification d'autres témoins éventuels.

226.La Commission a recherché sans grand succès des éléments de preuve écrits susceptibles d'intéresser l'enquête.Elle a entendu ou fait traduire des enregistrements d'émissions radiophoniques burundaises et rwandaises diffusées au moment des événements et a vu des films réalisés peu après les événements par les médias ou par des particuliers.Des photographies ont été prises le cas échéant.

227.La Commission a essayé de déterminer l'existence et l'emplacement de charniers et de fosses communes.Elle n'a toutefois pas cherché à faire procéder à des exhumations.Outre le fait qu'elle n'avait pas les moyens voulus à cet effet, l'existence de charniers est dans la plupart des cas un fait incontesté et des exhumations n'étaient guère nécessaires au stade actuel de l'enquête.

228.Les membres de la Commission ont effectué une première mission à Gitega et à Muramvya en novembre 1995.En janvier 1996, étant donné qu'aucun enquêteur n'avait encore été nommé, la Commission a décidé que certains de ses membres, même en l'absence d'aide, devaient mener des activités sur le terrain.


229.La province de Muramvya a été confiée au commissaire El Moumni, et la province de Gitega aux commissaires Herrera et Maurice.À la fin de février et au début de mars, les provinces de Ngozi et de Kirundo ont été confiées au commissaire Herrera, et le commissaire Maurice a poursuivi seul l'enquête à Gitega.Le 24 avril, en raison de l'absence du commissaire Güney, le commissaire Maurice a dû être affecté à l'enquête sur l'assassinat du Président Ndadaye et le commissaire Herrera s'est occupé de Gitega et de Ngozi.Les travaux dans la province de Kirundo ont dû être interrompus.Au retour du commissaire Güney, le 9 mai 1996, le commissaire Maurice a de nouveau été seul à s'occuper de Gitega, mais a été une fois de plus obligé de se consacrer exclusivement à l'enquête sur l'assassinat, le commissaire Güney ayant démissionné le 16 mai.La province de Gitega, en même temps que celle de Ngozi, a été de nouveau confiée au commissaire Herrera Marcano.
230.Le commissaire chargé de Muramvya a été aidé par le juriste, qui s'est porté volontaire pour faire fonction d'enquêteur, tandis que les deux commissaires affectés à Gitega ont travaillé dans un premier temps sans assistance.

231.Les activités dans chaque province ont été menées par une équipe qui, en plus des commissaires, comprenait au moins deux interprètes qui travaillaient à tour de rôle et étaient également chargés de transcrire les témoignages qu'ils avaient interprétés, un ou deux agents de sécurité des Nations Unies et une escorte de quatre gendarmes burundais au maximum.Lorsque les enquêteurs ont commencé à arriver après le 12 mars, deux au maximum ont été affectés à chaque équipe.

232.Après janvier 1996, à la suite d'un arrangement conclu entre le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies et le Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine, des officiers de la Mission internationale d'observation pour le Burundi (MIOB) ont fourni aux équipes sur le terrain une assistance en matière de sécurité.Ces officiers, provenant de l'armée du Burkina Faso, de la Guinée et du Mali, étaient en poste sur place depuis plus d'un an.Leurs connaissances des conditions locales et du terrain et leur acceptation par toutes les composantes de la population ainsi que par l'armée et la gendarmerie ont été d'une aide précieuse pour la Commission.

III.POSSIBILITÉS D'ACCÈS AUX ÉLÉMENTS DE PREUVE

233.Plusieurs facteurs ont rendu difficile l'accès aux éléments de preuve.

A.Insécurité


234.Les provinces et communes dans lesquelles la Commission a effectué son enquête sont situées dans la partie centrale et septentrionale des hauts plateaux du centre du Burundi.Comme on l'a déjà souligné, il existe à l'heure actuelle une séparation ethnique et un affrontement généralisé dans la région, qui est également caractérisée par une activité de guérilla et des répressions brutales.Il ne s'est guère écoulé de journée sans que soit signalés des incidents violents et des victimes civiles, chaque partie en rejetant la responsabilité sur l'autre.Cette situation a lourdement pesé sur la conduite de l'enquête.L'ensemble de la province de Gitega a été inaccessible pendant plusieurs semaines.La commune de Bugendana n'a pu être atteinte que vers la fin de la mission.Les régions du nord de Gitega et de Muramvya ont été la scène d'activités constantes de la guérilla et de l'armée.La Commission a dû se reposer pour sa sécurité sur la gendarmerie burundaise, elle-même engagée dans des opérations.Les équipes d'enquête n'ont pas pu, sans s'exposer à un risque extrême de violence de l'une ou de l'autre partie, se rendre dans des régions jugées peu sûres par la gendarmerie.
B.Séparation ethnique

235.La séparation ethnique virtuelle existe maintenant dans toutes les communes visitées.Les Tutsis vivent dans la capitale des provinces et dans les camps de personnes déplacées, sous la protection de l'armée.Dans la plupart des communes, seuls les Hutus demeurent dans la campagne.Les Hutus qui habitent toujours dans les villes ou qui se rendent dans les marchés manifestent une peur constante.Les Tutsis des camps sortent dans la journée pour cultiver les champs des collines voisines (certaines ayant été débarrassés des Hutus) et reviennent avant la tombée de la nuit.Certains cultivateurs hutus appartenant à l'UPRONA vivent également dans les camps.

236.La Commission a pu accéder sans entrave aux camps de personnes déplacées. Les camps eux-mêmes sont placés sous l'autorité d'un chef de camp et du commandant du détachement de protection de l'armée.L'accès aux personnes déplacées a été la plupart du temps obtenu par l'entremise du chef de camp, qui est souvent aussi un dirigeant politique local.Très peu de résidents des camps sont venus témoigner de leur propre initiative.

237.Il a été très difficile d'avoir accès aux Hutus, sauf à ceux qui se trouvaient en prison.Dans les villes, les Hutus se sentaient étroitement surveillés et craignaient de subir des représailles pour s'être simplement mis en rapport avec la Commission.Sur le terrain, la Commission s'est trouvée devant un dilemme : d'une part, si elle se déplaçait avec des gendarmes, leur présence alarmerait les Hutus; d'autre part, si elle se passait de protection, elle risquait de provoquer des incidents susceptibles d'être commis par l'une ou l'autre des parties.Néanmoins, en écartant son escorte militaire et en bénéficiant de l'appui précieux des officiers de la MIOB, la Commission a réussi à établir des contacts limités avec des cultivateurs hutus.On a cru toutefois savoir que certains Hutus qui avaient contacté la Commission avaient été par la suite harcelés, ce qui a posé à la Commission non seulement un problème pratique mais également un cas de conscience.

C.Absence de pouvoirs judiciaires


238.L'enquête a été considérablement entravée par le fait que la Commission manquait de tout pouvoir de contrainte pour convoquer les témoins ou amener les autorités à en produire, pour procéder à des inspections directes et faire traduire les dossiers et les archives, et pour exiger la présentation des documents.Bien que la Commission ait constamment bénéficié de la coopération polie des autorités judiciaires locales (procureurs et juges) et qu'elle ait pu avoir accès sans restrictions aux prisonniers, elle dépendait entièrement de ces autorités pour obtenir des informations concernant toutes les procédures pénales.Les pièces des procès et des tribunaux étaient pour la plupart écrites en langue kirundi et, en raison des règles de confidentialité, la Commission n'a pas pu en établir des copies ou les faire traduire par son propre personnel.Elle a donc dû se fier aux traductions orales des juges et des procureurs burundais eux-mêmes.Une demande faite au Ministère de la défense afin d'obtenir les enregistrements des communications militaires durant la période examinée n'a pas abouti.
IV.FIABILITÉ DES ÉlÉMENTS DE PREUVE

239.La Commission a dû tenir compte de plusieurs facteurs qui ont contribué au manque de fiabilité des éléments de preuve.

A.Loyauté ethnique

240.L'affrontement ethnique général qui sévit actuellement au Burundi ne se limite pas aux dirigeants politiques et militaires, mais pénètre dans chaque couche de la société.Cet affrontement est même encore plus accentué dans les camps et les collines des hauts plateaux du centre et du nord, où pratiquement chaque famille hutue et tutsie a perdu des membres à cause de la violence ethnique.Même les plus pauvres des cultivateurs des deux ethnies pensent que leur vie et celle des membres de leur famille dépendent de l'issue du combat.Les Tutsis des camps sont convaincus que si leur ethnie perd le monopole de la force armée, ils seront exterminés par leurs voisins, tandis que les cultivateurs hutus des collines sont pour leur part certains que, tant que ce monopole subsistera, ils courront le danger permanent de représailles aveugles et n'auront aucun espoir d'avoir un pouvoir effectif dans le domaine politique ou économique.Il n'est donc pas surprenant, dans ce climat, que les témoignages concernant les actes commis par les membres de l'une ou de l'autre ethnie aient été largement dénaturés, censurés ou fabriqués.

B.Temps écoulé

241.Pour les raisons indiquées dans l'introduction, le temps qui s'est écoulé depuis les événements a eu un effet négatif sur la fiabilité des témoignages.Cet effet a sensiblement plus marqué les témoins des zones rurales qui sont souvent illettrés.

C.Manipulation

242.La propagande de même que les activistes politiques, qui étaient présents à tous les niveaux et connaissaient le mandat de la Commission, ont sans aucun doute exercé une très forte influence sur les témoins.À plusieurs reprises, la Commission a pu constater que des listes de noms de personnes à incriminer étaient fournies aux témoins.Dans d'autres cas, des témoins du même camp ont mentionné des noms ou des événements identiques qui, comme on a pu le vérifier en les interrogeant, leur étaient inconnus.Ainsi qu'il a été dit, les chefs de camps étaient chargés la plupart du temps de présenter les témoins à la Commission et il leur était facile de produire un témoin ou de n'en pas produire.


D.Insécurité
243.Dans les conditions d'insécurité et d'impunité totales qui existent à l'heure actuelle au Burundi, on peut comprendre que les assurances données à la Commission en ce qui concerne la confidentialité des témoignages aient été accueillies avec scepticisme.Dans le cas des témoins qui ne pouvaient pas s'exprimer en français (pratiquement tous les cultivateurs des camps et des collines), la présence inévitable de deux interprètes burundais d'ethnie différente a sans aucun doute renforcé ce scepticisme.La Commission n'a eu aucun moyen d'offrir aux témoins une protection quelconque ni une immunité totale ou partielle en échange de leur coopération.Cette situation n'a nullement encouragé les témoins à faire preuve de franchise.

E.Caractéristiques culturelles

244.Il convient de se rappeler que dans leur grande majorité, les témoins des massacres et autres actes de violence étaient des cultivateurs pratiquant une agriculture de subsistance qui ne parlent que le kirundi.Nombre d'entre eux sont illettrés.Leur seule source d'information extérieure est généralement le bouche à oreille ou l'unique radio nationale (et parfois aussi la radio rwandaise et celle des rebelles).Pour leur part, les commissaires et les enquêteurs ignoraient le kirundi et n'avaient qu'une connaissance extrêmement superficielle de la culture et des us et coutumes du pays.La communication par le truchement des interprètes de l'élite éduquée, qui visait à franchir ce fossé culturel, a été pour le moins difficile et incertaine.Il faut ajouter le fait que, suivant toutes les sources nationales et étrangères, les Burundais présentent le trait caractéristique d'être fiers de pouvoir cacher leurs pensées et leurs sentiments.D'une manière générale, la franchise est considérée comme une faiblesse, tandis que la duplicité est socialement acceptée.En conséquence, les témoins ont décrit avec une impassibilité apparente les actes de violence les plus horribles (meurtres, viols, tortures, mutilations, etc.) qui ont été infligés à eux-mêmes ou à des membres de leur famille.

V.CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES COMMUNES VISITÉES

245.Les communes partagent de nombreuses caractéristiques en matière de géographie et de population qui intéressent les événements en question.

246.Toutes les communes présentent le relief typique des hauts plateaux du centre : des collines escarpées séparées par des vallées souvent marécageuses.Même les véhicules militaires dont disposent les forces armées burundaises circulent difficilement dans ce terrain.

247.Les communes en question comptent parmi les plus peuplées du pays, avec une densité supérieure à 400 habitants au kilomètre carré.Aucune parcelle n'est laissée sans emploi.Les terrains sont surtout consacrés à l'agriculture intensive.Les pâturages n'en occupent qu'une très faible partie et sont pour la plupart accolés aux fermes, le reste étant constitué par des "reboisements" qui représentent la seule source de bois pour la cuisine, la construction et le mobilier.


248.Les familles vivent sur leur parcelle et il n'existe pratiquement aucun village.Les églises et les écoles sont souvent isolées dans la campagne.Les chefs-lieux des communes et des zones ainsi que les centres de négoce comprennent pour la plupart quelques maisons qui servent de bureaux administratifs ou de boutiques.La population ne se rassemble normalement que les jours de marché ou à l'église.
VI.PROVINCE DE GITEGA

A.Géographie et population

249.La province de Gitega jouxte la province de Ngozi au nord, les provinces de Kayanza et de Muramvya à l'ouest, les provinces de Bururi et de Rutana au sud, et les provinces de Karuzi et de Ruyigi à l'est.Sa superficie est d'environ 1 989 kilomètres carrés.Sa capitale, Gitega, d'environ 15 000 habitants, est la deuxième ville du pays et accueille une importante garnison de l'armée et de la gendarmerie.Deux grandes routes asphaltées aboutissent à Gitega, l'une partant de Bujumbura, à 100 kilomètres à l'ouest, et l'autre de Rutana au sud.Des routes importantes non revêtues relient la ville à Ngozi, Bururi et Karuzi.La province comptait environ 565 174 habitants en 1990.

B.Assertions et informations concernant les événements dans la province

250.Conformément au rapport de la FIDH, le Gouverneur a appris le coup d'État aux environs de 2 h 30, dans la nuit du jeudi 21 octobre, peu après son déclenchement.Il a téléphoné deux fois au Gouverneur de Muramvya.Ils ont décidé d'établir un barrage sur la route principale.Le Gouverneur a ensuite fait le tour de la province en ordonnant de barrer toutes les routes.Dans l'après-midi, il est parti pour la province de Karuzi, à l'est, et y a été tué en même temps que le Gouverneur de cette province.

251.Aucun acte de violence grave ne s'est déroulé dans la ville de Gitega le jeudi 21 octobre.Le vendredi, alors que parvenaient des informations concernant le meurtre de Tutsis, des groupes de cette ethnie ont commencé à attaquer les Hutus et à piller leurs biens.Certains Hutus éduqués ont été tués par les soldats.Ceux-ci ont tiré au hasard contre les Hutus dans les rues.Des étudiants tutsis ont tué des Hutus dans leurs écoles et dans d'autres endroits, avec la complicité passive ou active des militaires.

252.Le rapport décrit les massacres de Tutsis et la répression aveugle des Hutus par les troupes qui se sont produits dans huit des 10 communes de la province.

253.Selon des informations provenant du FRODEBU, des soldats et des civils tutsis ont tué au hasard des Hutus dans la capitale de la province durant les journées qui ont suivi le coup d'État.

C.Travaux de la Commission


254.Après une première visite le 29 novembre 1995, deux commissaires ont travaillé sans aide sur le terrain du 29 janvier 1996 jusqu'à la fin de février, où l'un d'eux s'est vu confier d'autres activités.Un seul commissaire a donc travaillé sans assistance jusqu'à la mi-mars, date à laquelle deux enquêteurs se sont joints à lui.
255.L'enquête de la Commission dans la province de Gitega a été entravée par le fait que, comme on l'a signalé plus haut, le commissaire concerné a dû être affecté à d'autres activités et remplacé plusieurs fois par un autre commissaire.Pendant deux semaines durant le mois d'avril, les travaux sur le terrain ont dû être interrompus en raison de troubles graves dans la capitale et dans l'ensemble de la province.

256.L'enquête a été menée dans trois communes : Bugendana, Giheta et Gitega.Toutefois, dans la commune de Gitega, faute de personnel, aucune activité sur le terrain n'a pu être effectuée à l'extérieur de la capitale, où des témoins ont été entendus dans quatre camps de personnes déplacées.À Bugendana, en raison des conditions de sécurité, la Commission n'a pu travailler sur le terrain qu'après la mi-mai et ses déplacements ont de toute manière été limités.

257.La Commission a entendu 145 témoins, 119 Tutsis et 26 Hutus.Les auditions ont eu lieu sur les collines, dans des centres religieux, dans sept camps de personnes déplacées, dans la capitale de la province, dans la prison et à Bujumbura.

D.Commune de Bugendana

a)Description de la commune

258.La commune de Bugendana jouxte la commune de Mutaho au nord, la province de Muramvya à l'ouest, la commune de Giheta au sud, et la province de Karuzi à l'ouest.Elle est traversée du sud au nord par la route principale non revêtue reliant Gitega à Ngozi.Son chef-lieu, Bugendana, sur la colline Mukoro, se trouve sur la route principale à 27 kilomètres au nord de Gitega.

b)Assertions et informations

259.Selon le rapport de la FIDH, des Hutus ont commencé, au chef-lieu, à ligoter des Tutsis aux alentours de 15 heures, le jeudi 21 octobre.Ils en ont tués certains durant cette même journée.Le vendredi et le jour suivant, des Tutsis ont été pourchassés et tués dans les environs.Des foyers tutsis ont été pillés.

260.Lorsque les soldats sont arrivés, ils ont tué certains individus ayant commis des actes de pillage.

261.Dans la paroisse de Mutoyi, 150 adultes ont été tués.Quatre cents Tutsis en fuite qui s'étaient abrités dans l'église n'ont pas été attaqués.Les Hutus ont déclaré que les autorités de la commune leur avaient ordonné de tuer les Tutsis.De nombreux Tutsis ont été sauvés par des voisins hutus.Les soldats n'ont pas atteint Mutoyi durant cette période.


262.Conformément à des informations de source tutsie, une foule menée par un fonctionnaire local a attaqué des Tutsis aux alentours du chef-lieu vers 17 heures, le jeudi 21 octobre.À 19 heures, les massacres de Tutsis ont commencé et se sont poursuivis jusqu'au dimanche suivant.
c)Déroulement des faits suivant les témoignages

Colline Mukoro

Chef-lieu

263.L'Administrateur communal a effectué une tournée à motocyclette dans les différentes communes le jeudi 21 octobre.Dans l'après-midi, une réunion des Hutus du FRODEBU s'est déroulée dans la commune.Les routes ont été barrées à la fin de l'après-midi et, dans la soirée, des Hutus se sont rendus dans les collines voisines pour regrouper les hommes tutsis en différents points.Aucun témoignage fiable n'a pu être obtenu en ce qui concerne les événements qui se sont déroulés au chef-lieu ce soir-là.

264.Les soldats sont arrivés le lundi suivant.Selon un témoin hutu, ils ont tué de nombreux Hutus au chef-lieu et dans les collines voisines.

265.Selon des témoignages tutsis, des Hutus du FRODEBU ont capturé des Tutsis au nord de la colline le vendredi 22 octobre et les ont tués après les avoir regroupés dans une maison.

Colline Bitare

266.La colline Bitare est située au sud du chef-lieu.Un centre de négoce se trouve dans sa partie méridionale, à environ 6 kilomètres du chef-lieu.Selon des témoins tutsis, les Hutus ont barré les routes dans l'après-midi du jeudi 21 octobre.Le vendredi matin, ils ont commencé à capturer des Tutsis et à les regrouper en différents points afin de les tuer.Certains ont été abattus près de la rivière Mubarazi.Les Tutsis ont continué à être pourchassés jusqu'à l'arrivée des soldats.

Colline Mwurire

267.La colline Mwurire se trouve à 1 kilomètre du chef-lieu.Elle est de grande dimension et son terrain est escarpé.Selon des témoins tutsis, des Hutus menés par des dirigeants locaux du FRODEBU ont barré les routes dans l'après-midi du jeudi 21 octobre.Dans la soirée, ils ont capturé des Tutsis et les ont regroupés dans plusieurs endroits.Certains ont été tués cette nuit-là, d'autres le matin suivant.Les Tutsis ont continué à être pourchassés durant toute la journée du vendredi.Des Hutus de l'UPRONA ont été battus mais n'ont pas été tués.Durant les jours suivants, des femmes tutsies ont été également tuées.Le lundi, un groupe de femmes et d'enfants tutsis a été regroupé dans l'église sur la colline puis a été abattu à l'extérieur.


Colline Rwingiri
Kirimbi

268.Sur la colline Rwingiri, un centre éducatif et religieux est situé sur la route principale à Kirimbi, à une dizaine de kilomètres au sud du chef-lieu et à 17 kilomètres au nord de la ville de Gitega.

269.Selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal est arrivé à motocyclette et a tenu une réunion à Kirimbi le jeudi 21 octobre.Peu après, des Hutus menés par des fonctionnaires locaux du FRODEBU ont barré les routes avec des arbres abattus.Dans l'après-midi, ils ont capturé et ligoté des hommes et des jeunes gens tutsis des collines voisines et les ont regroupés à Kirimbi.Ils les ont enfermés dans la salle de l'école voisine de l'église.Un Hutu de l'UPRONA a été également capturé.

270.Vers 21 heures, les Tutsis ont été conduits en dehors de la salle et ont été tués.Certains ont réussi à s'enfuir dans l'obscurité.Plusieurs témoins tutsis ont déclaré qu'ils avaient été sauvés par des Hutus.

271.Le vendredi, les Tutsis ont continué à être pourchassés dans les collines.Certains ont été conduits à Kirimbi et ont été tués.Des témoins hutus ont confirmé que des Tutsis avaient été tués à Kirimbi le jeudi et le vendredi.

272.Le samedi 23 et les jours suivants, des femmes et des enfants tutsis qui ne s'étaient pas enfuis ont été tués.

273.Les soldats sont arrivés à Kirimbi le lundi et ont poursuivi vers le nord en direction du chef-lieu.Selon un témoin hutu, ils ont tué de nombreux Hutus ce jour-là et les jours suivants.

Collines Runyeri, Carire, Gitongo et Kibasi

274.Les collines Runyeri, Carire, Gitongo et Kibasi se trouvent à l'est de la commune.Une route secondaire non revêtue traverse cette région, reliant le chef-lieu à Kibimba dans la commune de Giheta, au sud-est.

Colline Runyeri

275.Sur la colline Runyeri à 10 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu, selon des témoignages tutsis, des Tutsis ont été capturés le vendredi 11 octobre et ont été rassemblés sur une place centrale où ils ont été tués.Des témoins ont déclaré qu'ils avaient été sauvés par des Hutus.

Colline Gitongo


276.Selon des témoins tutsis, sur la colline Gitongo à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest du chef-lieu, des Hutus menés par des dirigeants locaux du FRODEBU ont capturé des Tutsis le jeudi 21 octobre, les ont laissés sur la route jusqu'au soir et les ont conduits ensuite près de la rivière Kaniga où ils les ont abattus.Le jour suivant, ils ont tué des femmes et des enfants tutsis.Des témoins hutus ont confirmé que des massacres de Tutsis s'étaient déroulés sur cette colline et ailleurs, mais ont affirmé ne pas y avoir participé.Des témoins tutsis ont déclaré qu'ils avaient été sauvés par des Hutus.
Colline Carire

277.Selon des témoins hutus, sur la colline Carire à 10 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu, des Tutsis ont été rassemblés le jeudi 21 octobre et détenus sur une place centrale.Ils ont été tués dans la soirée.Le jour suivant, des femmes et des enfants tutsis ont été tués.

Colline Kibasi

278.Sur la colline Kibasi à une douzaine de kilomètres au sud-est du chef-lieu, suivant des témoins tutsis, l'Administrateur communal de Bugendana est arrivé à motocyclette dans la matinée du jeudi 21 octobre, s'est entretenu avec les dirigeants locaux du FRODEBU et est reparti.Peu après, les routes ont été barrées.Des Tutsis ont été capturés, ligotés et emmenés dans un autocar à l'arrêt sur la route.Dans la soirée, ils ont été conduits à la rivière Mubarazi et ont été abattus.Le jour suivant, des femmes et des enfants tutsis ont été tués.Certains témoins ont déclaré qu'ils avaient été sauvés par des Hutus.

Collines Gitora et Rushanga

279.Les collines Gitora et Rushanga se trouvent au sud-ouest de la commune.

Colline Gitora

280.Sur la colline Gitora, qui est atteinte par des routes secondaires et se trouve à une dizaine de kilomètres de la route principale, un centre éducatif et religieux est situé à Mugera.Selon des témoins tutsis, le jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par un instituteur hutu ont barré un pont sur la rivière Ruvubu à environ 6 kilomètres.Selon des témoins tutsis, des Tutsis des environs se sont réfugiés à Mugera, sous la protection d'un prêtre, et n'ont pas été attaqués.Dans les collines autour de Mugera, selon des témoins tutsis, des Tutsis ont été capturés et tués par des Hutus.Le samedi, un hélicoptère de l'armée a survolé Mugera mais n'a pas atterri.Les soldats ne sont pas arrivés à Gitora durant la période examinée.

Colline Rushanga

281.La colline Rushanga se trouve immédiatement à l'est de la colline Gitora, à environ 13 kilomètres de la route principale.Selon des témoins tutsis, le vendredi 22 octobre, des Hutus conduits par des dirigeants locaux ont capturé des Tutsis à Rushanga et les ont tués.

E.Commune de Giheta

a)Description de la commune


282.La commune de Giheta jouxte la commune de Bugendana au nord, la province de Muramvya à l'ouest, la commune de Gitega au sud et la province de Karuzi à l'est.La grand-route asphaltée de Bujumbura à Gitega traverse ces deux communes du sud-ouest au nord-ouest sur une vingtaine de kilomètres.Une autre route principale non revêtue traverse sa partie est du sud au nord, relient la ville de Gitega à celle de Ngozi.La commune est divisée en trois zones, Kabanga, Giheta et Kiriba, situées dans cet ordre d'ouest en est.Le chef-lieu se trouve sur la colline Giheta, à 1 kilomètre environ de la grand-route asphaltée et à 12 kilomètres de la capitale de la province; la plupart des collines de la commune ne sont pas reliées par de bonnes routes.
b)Assertions et informations

283.Selon le rapport de la FIDH, le jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par des dirigeants du FRODEBU ont capturé des Tutsis et les ont enfermés dans un entrepôt au chef-lieu.Ils en ont pris certains dans la soirée et les ont tués.Les survivants se sont barricadés à l'intérieur jusqu'à l'arrivée des soldats.D'autres Tutsis ont été tués et jetés dans des fossés.

284.Les soldats sont arrivés dans la soirée du même jour.Durant les journées qui ont suivi, ils ont pourchassé et tué de nombreux Hutus et ont tiré au hasard sur la population hutue des collines voisines.

285.Ce même jeudi, à Kibimba, des étudiants tutsis capturés par des Hutus ont été enfermés dans une station-service désaffectée et y ont été brûlés vifs.

286.Les soldats sont arrivés à Kibimba au début de la matinée du lendemain.Ils ont massacré des Hutus sur les collines voisines et ont pillé le centre de négoce.

287.Les informations de sources tutsies coïncident généralement avec le rapport de la FIDH concernant les massacres de Tutsis.

288.Dans les informations qu'il a fournies, le FRODEBU admet que des étudiants ont été brûlés vifs à Kibimba et confirme le rapport de la FIDH concernant les massacres de Hutus par les troupes, ajoutant que des véhicules blindés ont été utilisés pour tirer au hasard sur la population hutue.

c)Déroulement des faits suivant les témoignages

289.Selon tous les témoins, à l'aube du jeudi 21 octobre, le Gouverneur de la province est arrivé de Gitega par la route principale et a donné des instructions aux fonctionnaires locaux.L'Administrateur communal, qui est maintenant en prison et dont le procès est en cours, a témoigné que ces instructions consistaient à abattre des arbres pour barrer les routes et qu'il en avait parlé avec les chefs de zone de Giheta et de Kabanga.

Colline Giheta

Chef-lieu

290.Dans la matinée, tandis que des barrages routiers étaient mis en place, un soldat en permission a été capturé, menotté et détenu au chef-lieu.


291.Suivant les témoignages de Tutsis et de Hutus, dans l'après-midi du jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par les autorités du FRODEBU ont capturé près de la route principale et d'un centre éducatif et religieux des Tutsis venant des collines ainsi que des femmes, enseignantes et fonctionnaires tutsies, et les ont regroupés dans la salle de réunion du chef-lieu.L'Administrateur communal a déclaré que cette mesure avait été prise afin de les protéger.
292.Vers 15 heures, les Tutsis ont été transférés par groupes, les hommes en premier, dans un bâtiment en parpaing muni de portes en fer qui servait d'entrepôt d'engrais et de semences, à environ 80 mètres de la salle de réunion, plus bas sur la colline.Ils ont été escortés entre deux rangs de Hutus armés qui les auraient battus durant le parcours.Ils ont été enfermés dans le bâtiment qui était dépourvu de fenêtres et n'avait que quelques ouvertures de ventilation munies de barreaux près du toit.Par la suite, aucun autre Tutsi n'a été conduit dans cet entrepôt.

293.Selon le témoignage d'un survivant tutsi, ceux qui ont été ultérieurement pris et conduits au chef-lieu ont été tués et jetés dans des fossés.

294.Selon des témoins tutsis, vers 21 heures, on a fait sortir de l'entrepôt un premier groupe dont les membres ont été appelés par leur nom.Deux témoins qui déclarent avoir survécu disent qu'ils ont été conduits au pont de la rivière Ruvironza, à environ 8 kilomètres du chef-lieu.Les femmes ont été violées, tuées et jetées dans la rivière.Les hommes ont été tués et leur cadavre a été jeté à l'eau.Un témoin de sexe masculin, qui avait été seulement blessé, a réussi à survivre après avoir été jeté dans la rivière.Un autre témoin, de sexe féminin, déclare que l'un de ses anciens élèves hutus l'a aidée à s'enfuir.Un deuxième groupe a été appelé environ une heure plus tard.Un témoin de sexe féminin, qui a dit avoir survécu après avoir été gravement blessée (elle a perdu une main et est couverte de cicatrices), a déclaré que les autres personnes avaient été tuées près de la route, à environ 1 kilomètre du chef-lieu.Un troisième groupe a été appelé une heure après le deuxième.Certains membres de ce groupe ont été tués à portée d'ouïe de ceux qui étaient enfermés dans l'entrepôt.Lorsque ces derniers se sont rendu compte que les groupes étaient appelés pour être tués, ils ont barricadé la porte de l'entrepôt avec des sacs d'engrais.Vers 2 heures, ils ont aperçu par les trous de ventilation la lumière d'un projecteur sur la route principale, environ 500 mètres plus bas sur la colline.Ils ont crié pour appeler l'attention.Des soldats sont arrivés peu après et leur ont dit de rester barricadés jusqu'au matin.Les militaires les ont délivrés dans la matinée.Certains survivants ont été trouvés parmi ceux qui avaient été jetés dans des fossés.Certains corps se trouveraient encore dans les fossés.L'Administrateur communal a déclaré qu'il était absent lorsque les massacres ont eu lieu, étant allé se reposer chez lui après avoir laissé des instructions expresses pour la sûreté des captifs.Il s'est enfui le matin suivant dans la direction de la colline Kanyinya en empruntant une route de terre battue conduisant à Bugendana.

295.Selon des témoins hutus, les militaires ont exercé des représailles aveugles contre les Hutus sur la route principale, aux alentours du chef-lieu et dans le centre éducatif et religieux.Le vendredi et les jours suivants, ils ont tiré sur les Hutus des coups de mitraillette et ont utilisé la mitrailleuse d'un véhicule blindé.


— Colline Kibimba
296.Le centre de négoce de Bubu sur la colline Kibimba, dans la zone de Kabanga, comprend un groupe de boutiques sur la grand-route asphaltée près de la frontière de la province de Muramvya et se trouve à une vingtaine de kilomètres de la ville de Gitega.

297.Au début de la matinée du jeudi 21 octobre, des Hutus conduits par des fonctionnaires du FRODEBU ont barré toutes les routes avec des arbres abattus.

298.Vers midi, selon des témoins tutsis et hutus, les Hutus ont commencé à regrouper les Tutsis de la campagne environnante et les enseignants tutsis de l'école secondaire dans le centre religieux voisin et les ont enfermés dans une station-service en construction au milieu des boutiques à Bubu, sur la route principale de Muramvya à Gitega.Par la suite, ils ont également enfermé les étudiants tutsis.

299.Dans la soirée, de l'essence a été versée par les fenêtres et du bois et de la paille enflammés ont été jetés à partir du toit.De nombreux occupants ont été brûlés vifs.Certains témoins ont déclaré avoir survécu à l'intérieur du bâtiment et avoir été délivrés le vendredi matin.D'autres déclarent s'être échappés durant la nuit par une fenêtre.Certains ont des cicatrices de brûlures graves.Les déclarations des témoins concernant les détails font apparaître de nombreuses contradictions. 

300.Un Hutu du FRODEBU, qui était à l'époque fonctionnaire, a admis que des Tutsis avaient été pris en otages à Kibimba et que d'autres avaient été massacrés sur les 14 collines de la zone de Kabanda.Il a déclaré qu'il avait circulé dans la zone le jeudi en essayant de calmer la population.

Colline Muremera

301.Sur la colline Muremera, à une dizaine de kilomètres de la route asphaltée, des arbres ont été abattus et des ponts ont été coupés afin de barrer les routes dans la matinée du jeudi 21 octobre.Des témoins tutsis de différentes parties de la colline ont déclaré que des Hutus, conduits par des dirigeants locaux de FRODEBU, avaient commencé à capturer et à tuer des Tutsis vers 8 heures le lendemain matin.Deux témoins ont déclaré avoir été sauvés par des voisins hutus.

Colline Kiriba

302.La colline se trouve à l'extrémité est de la commune, à environ 3 kilomètres à l'est de la route non revêtue qui relie Gitega à Ngozi.Le vendredi 22 octobre, des Hutus de la colline, accompagnés de Hutus d'autres collines, ont capturé des Tutsis et les ont tués.Un témoin a déclaré avoir été sauvé par un voisin hutu.

Colline Rubarasi


303.Selon un témoin tutsi, sur la colline Rubarasi, à la limite de la commune de Gitega, les routes ont été barrées le jeudi 21 octobre.Dans la matinée du jour suivant, des Hutus de Rubarasi et d'autres collines se sont rassemblés puis se sont mis à pourchasser les Tutsis et à les tuer.Les deux frères du témoin ont été tués.
Colline Gwingiri

304.Sur la colline Gwingiri, près de la route principale non revêtue reliant Gigeta à Ngozi, un témoin tutsi de sexe féminin a déclaré que des Hutus du FRODEBU avaient attaqué et tué des Tutsis le jeudi 11 octobre.Elle-même avait été grièvement blessée et sauvée par un voisin hutu, qui avait également sauvé d'autres Tutsies blessées.

Colline Nyarunazi

305.Les événements qui se sont déroulés sur la colline Nyarunazi, à l'écart des deux routes principales, offrent un tableau moins sombre.Un seul Tutsi, marié à une Hutue et ayant lui-même une parenté hutue, vivait sur la colline.Aucune violence n'a eu lieu à Nyarunazi le jeudi 21 octobre.Le lendemain, des groupes hutus d'autres collines sont arrivés en recherchant les Tutsis pour les tuer.Au péril de leur vie, les Hutus ont caché le résident tutsi et sa famille ainsi que d'autres Tutsis qui s'étaient échappés des massacres commis dans la commune voisine de Bugendana.Ce témoignage a été fait par les résidents de la colline ainsi que par un survivant tutsi de Bugendana qui leur doit d'avoir eu la vie sauve.Le vendredi, la population a vu des cadavres flotter sur la rivière Ruvironza qui coule au sud de la colline.

F.Commune de Gitega

a)Description de la commune

306.La commune de Gitega, au centre de laquelle se trouve la capitale de la province, jouxte la commune de Giheta au nord, la province de Muramvya à l'ouest, les communes de Gishubi et Makebuko au sud et les provinces de Karuzi et de Ruyigi à l'est.

b)Faits suivants les témoignages

307.Les témoignages sont entièrement partiaux étant donné que, pour la raison citée plus haut, la Commission a uniquement entendu — à l'exception d'un seul prisonnier hutu — des témoins tutsis des camps de personnes déplacées.Dans ces conditions, on ne donnera ci-après qu'un résumé général.


308.Selon des témoins tutsis, sur les collines Bukwazo, Mirama, Mukanda, Murirwe, Nyakibingo, Rubamvyi et Songa, toutes situées dans la partie est de la commune, des Hutus conduits par les dirigeants locaux du FRODEBU ont barré toutes les routes le jeudi 21 octobre.Des Tutsis auraient été capturés sur certaines de ces collines.Dans toutes les collines, des hommes, femmes et enfants tutsis ont été tués par les Hutus.Certains de ces massacres ont commencé le jeudi soir, la plupart ont eu lieu le vendredi et, sur certaines collines les plus éloignées de la capitale de la province, ne se sont produits que le samedi.Les massacres se sont poursuivis pendant plusieurs journées dans certains endroits.Un témoin hutu a déclaré qu'il n'avait vu aucun Tutsi tué sur la colline Rubamvi, proche de la grand-route asphaltée qui conduit à Rutana, mais que des soldats étaient arrivés sur la route dans la soirée du jeudi 21 octobre et avaient tiré au hasard sur les Hutus, en utilisant même la mitrailleuse d'un véhicule blindé.
VII.LA PROVINCE DE KIRUNDO

A.Géographie et population

309.La province de Kirundo jouxte le Rwanda au nord et à l'ouest, les provinces de Ngozi et Muyinga au sud et la province de Muyinga à l'ouest.Elle est divisée en sept communes.Sa superficie est de 1 711 kilomètres carrés.Sa capitale, Kirundo, qui n'est guère plus qu'un village, se trouve près du centre de la province.Une route asphaltée y accède depuis Ngozi.En 1990, la province avait 407 103 habitants.

B.Assertions et informations concernant les événements dans la province

310.Selon le rapport de la FIDH, il y a eu relativement peu d'actes de violence dans la province car la population avait gardé le souvenir des massacres qui avaient eu lieu dans la commune de Ntega en 1988 et les gens ont cherché des lieux de refuge.Le jeudi 21 octobre au matin, le Gouverneur a rencontré l'Administrateur communal de Busoni.Il a été démis de ses fonctions dans l'après-midi par le commandant militaire, sur instructions de Bujumbura.

C.Les travaux de la Commission

311.Pour les raisons exposées ailleurs dans le présent rapport, il a très vite fallu suspendre les travaux sur le terrain dans la province de Kirundo.La Commission n'y a travaillé que trois jours.Au cours de ces trois jours, elle a visité deux camps de personnes déplacées dans les communes de Kirundo et Vumbi et elle a entendu 31 témoins, dont des Hutus ou des Twas déplacés qui avaient appartenu à l'UPRONA.Il n'y a pas eu d'autres travaux sur le terrain.

D.Les communes de Kirundo et Vumbi

a)Description des communes

312.La commune de Kirundo est centrée autour de la capitale de la province.La commune de Vumbi, au sud de la précédente, est traversée par la grand-route de Ngozi.C'est sur cette route, à 9 kilomètres de la capitale de la province, que se trouve le chef?lieu, Vumbi.

b)Assertions et informations

313.Selon un document présentant les vues des Tutsis, 103 Tutsis ont été tués dans la commune de Kirungo, sous la conduite des autorités du FRODEBU et des dirigeants.Dans la commune de Vumbi, le massacre des Tutsis a commencé le jeudi 21 octobre et s'est poursuivi jusqu'au dimanche suivant.Des listes de victimes et de responsables ont été fournies.


c)Les faits d'après les témoignages

314.Pour les raisons exposées plus haut, la Commission n'ayant entendu des témoignages ne présentant que les vues de l'une des parties sur les événements survenus pendant la période sur laquelle porte l'enquête, on ne trouvera ci-après qu'un résumé général.

315.Selon des témoins tutsis et hutus et twas déplacés, la population hutue locale, menée par les dirigeants locaux du FRODEBU ont bloqué toutes les routes dans la matinée du jeudi 21 octobre, sur les collines Cumba, Gakana, Gihosha, Mataka, Mutara, Mwenya, Rambo et Rugero dans la commune de Kirundo et sur les collines Kabuye, Kavumu, Mutoyi, Nyarikenke, Rugeri et Vumbi dans la commune de Vumbi.Sur certaines de ces collines, les Tutsis et les Hutus de l'UPRONA ont été pris en otage.Les massacres de Tutsis et de Hutus de l'UPRONA et de Twas déplacés ont commencé sur certaines collines le jeudi soir, après l'annonce de l'assassinat du Président Ndadaye sur Radio Rwanda, ailleurs le vendredi.Ils se sont poursuivis pendant plusieurs jours.

VIII.LA PROVINCE DE MURAMVYA

A.Géographie et population

316.La province de Muramvya jouxte les provinces suivantes : Kirundo au nord, Bubanza et Bujumbura à l'ouest, Gitega à l'est, et Bururi au sud.Elle s'étend sur les hauteurs centrales, avec une partie escarpée à l'ouest, sur les pentes orientales de la chaîne qui sépare les bassins du Nil et du Zaïre.Elle est traversée par deux grand-routes goudronnées : la route de Bujumbura à Gitega, qui la traverse d'ouest en est par le milieu en passant par la capitale de la province, la ville de Muramvya, à 48 kilomètres de Bujumbura et la route vers Kayanza et le Rwanda, qui bifurque vers le nord à Bugarama, à 13 kilomètres à l'ouest de la ville de Muramvya.Une autre grande artère, qui n'est pas goudronnée, va également de Bujumbura à Gitega, traversant le sud de la province d'ouest en est.Sur cette route, Mwaro, se trouve une garnison de l'armée.La province a une superficie de quelque 1 530 kilomètres carrés et, d'après le recensement de 1990, elle comptait alors 440 000 habitants.On n'a pas pu obtenir de chiffres concernant la proportion de Hutus par rapport aux Tutsis, mais dans le sud et dans une partie de l'est de la province, il y a nettement plus de 15 % de Tutsis, ce qui correspond aux chiffres estimatifs pour l'ensemble du pays.La province compte 11 communes.Les trois dans lesquelles la Commission a enquêté — Kiganda, Mbuye et Rutegama — se trouvent toutes dans le nord-ouest de la province.Selon les informations reçues, la partie sud de la province a été relativement peu touchée par les massacres.

B.Assertions et informations concernant les événements dans la province


317.La Commission a reçu plusieurs documents concernant les événements survenus à Muramvya pendant la période sur laquelle porte l'enquête, certains traitant de l'ensemble de la province, d'autres consacrés à certaines localités.Certains contiennent des listes de victimes ou de responsables.Des rapports ont été présentés par les deux principaux partis politiques, l'UPRONA et le FRODEBU, et par des groupes associés, des organisations burundaises des droits de l'homme et diverses associations prétendant représenter les victimes et les survivants.
318.Selon le rapport de la FIDH, le Gouverneur de Muramvya, un Tutsi qui appartient au FRODEBU, a déclaré avoir été réveillé le jeudi 21 octobre à 2 h 30 par un coup de téléphone du Gouverneur de Gitega l'informant qu'un coup d'État était en cours.Après avoir vainement tenté de contacter par téléphone les autorités supérieures à Bujumbura, il a rappelé le Gouverneur de Gitega et tous deux ont convenu de faire bloquer les routes.Il est donc sorti à 3 heures du matin sur la route principale qui relie Bujumbura à Gitega, d'abord dans la direction de Rutegama puis dans l'autre direction, vers Bugarama, en s'arrêtant en route pour donner des instructions.De retour dans la capitale de la province, le Gouverneur est resté dans son bureau, où il a parlé avec des responsables locaux.Les officiers locaux ne soutenaient pas le coup d'État.Dans l'après?midi, ayant été prévenu que des soldats étaient venus de Bujumbura avec l'ordre de le tuer, il s'est caché jusqu'au 26 octobre.Selon lui, malgré de fortes tensions politiques et ethniques, il n'y a pas eu de massacre dans la capitale de la province le jeudi.

319.Les assertions et informations concernant les événements dans les communes qui ont fait l'objet d'une enquête sont mentionnées dans chaque cas.

C.Travaux de la Commission

320.Après une première mission en novembre 1995, la Commission a travaillé sur le terrain du 27 février jusqu'au 31 mai 1996, avec quelques interruptions parce que la route de Bujumbura étaient coupée.Elle a entendu 285 témoins (169 Tutsis et 116 Hutus) y compris des prisonniers, dans la prison locale et à Bujumbura.Dans toutes les communes où elle a enquêté, elle s'est rendue dans tous les camps de personnes déplacées et dans la plupart des collines.

D.Commune de Kiganda

a)Description de la commune

321.La commune de Kiganda jouxte au nord la commune de Mbuye, à l'ouest la commune de Muramvya, au sud les communes de Rusaka et Ndava et à l'est la commune de Rutegama.La grand-route asphaltée qui va de Bujumbura à Gitega en longe la limite nord, sur la rive droite du Mubarazi.La commune est divisée en deux zones : Gatabo au nord et Kiremba au sud.Le chef?lieu se trouve à 8 kilomètres environ au sud de la route principale et à une quarantaine de kilomètres de la capitale de la province.La garnison de l'armée à Mwaro se trouve à 23 kilomètres au sud, elle est accessible par une route secondaire non goudronnée.

b)Assertions et informations


322.Selon des rapports de la SONERA et une association prétendant représenter les victimes, des Tutsis ont été attaqués et massacrés par des Hutus le jeudi 21 octobre et les jours suivants.Ces rapports ne contiennent pas de description détaillée des événements mais ils donnent des listes de responsables présumés et des victimes.Ils traitent tous les deux de la zone Gatabo dans le nord.On ne signale pas de massacres dans la zone de Kiremba.
323.Selon le récit des événements publié par le FRODEBU, le vendredi 22 octobre et les jours suivants, des Hutus ont été invités à des rencontres par des personnalités tutsies puis fusillés par l'armée.Selon le même rapport, les attaques de civils par l'armée se seraient poursuivies pendant un mois.Les noms de certains responsables et des victimes de ces actes sont donnés.

c)Déroulement des faits selon les témoignages

Chef-lieu

324.Selon tous les témoignages, il n'y a pas eu d'actes de violence dans le chef?lieu le jeudi 21 octobre.Pendant la journée, des Tutsis fuyant la commune voisine de Rutegama ont commencé à arriver.Un détachement de soldats de la garnison de Mwaro, dans le sud, est arrivé dans la soirée.Le lendemain, des Tutsis fuyant Rutegama ont continué à arriver au chef?lieu.Le samedi 23 octobre, deux Hutus ont été tués par des soldats et les Hutus ont commencé à fuir la colline.

Colline Gahweza

325.Sur la colline Gahweza, à 8 kilomètres environ au sud du chef?lieu, on ne signale pas d'attaques contre les Tutsis.Le jeudi 23 octobre et les jours suivants, selon des témoins hutus, des civils tutsis armés de la colline, avec des Tutsis d'autres collines, ont lancé des attaques contre les Hutus, tuant des hommes, des femmes et des enfants.

Autres collines au sud du chef?lieu

326.Selon tous les témoins, il n'y a pas eu d'actes de violence dirigés contre les Tutsis sur les collines au sud du chef?lieu.

Colline Murambi

327.La colline Murambi est délimitée au nord par le Mubarazi et la route asphaltée principale, sur laquelle se trouve Gatabo, chef?lieu de la zone Gatabo.Le reste de la colline au sud est très escarpé.

328.Le Gouverneur de Muramvya s'est arrêté à Gatabo au petit jour le jeudi 21 octobre.Peu après son passage, des Hutus menés par les dirigeants locaux du FRODEBU ont commencé à abattre les arbres et à couper les ponts pour bloquer les routes.Les hommes tutsis ont été réunis et contraints de les aider.Certains d'entre eux sont revenus chez eux le jour même, d'autres ont été gardés au chef?lieu jusqu'au samedi 23 octobre, puis ils ont été libérés sains et saufs.


329.Sur la hauteur au sud de Gatabo, les Tutsis n'ont pas été mis à mal le jeudi 21 et le vendredi 22 octobre.Toutefois, le samedi 23 octobre des Hutus qui avaient participé aux massacres dans la commune voisine de Rutegama et qui sont arrivés à Murambi en fuyant les soldats et, sous leur direction, les Hutus locaux ont rassemblé les Tutsis dans la maison d'une coopérative, puis les ont emmené au bord du Mubarazi pour les tuer.
Colline Nyagisozi

330.Sur la colline Nyagisozi, à 3 kilomètres environ à l'ouest de Gatabo, selon les témoins tutsis, des Hutus dirigés par le chef de zone ont emmené les hommes tutsis de chez eux et les ont tués.Ils en ont emmené certains au bord du Mubarazi pour les tuer. 

Colline Kivyeyi

331.Sur la colline Kivyeyi, à 6 kilomètres environ au sud-ouest de Gatabo, selon des témoins tutsis, des Hutus ont réuni des hommes tutsis le jeudi 21 octobre et ils les ont forcés à les aider à bloquer les routes.Ils les ont gardés captifs la nuit et le lendemain, ils les ont emmenés au bord du Mubarazi où ils ont été tués.Selon un témoin hutu, on n'a pas tué de Tutsis sur la colline Kivyeyi.

Colline Martyazo

332.Sur la colline Martyazo, à 3 kilomètres de Gatabo, selon des témoins tutsis, le 23 octobre, des Hutus dirigés par le chef de la colline ont réuni des hommes tutsis, les ont emmenés au bord du Mubarazi pour les tuer et sont retournés piller et brûler leurs maisons.

Colline Kanegwa

333.Sur la colline Kanegwa, à 5 kilomètres de Gatabo, selon des témoins tutsis, à la fois des Hutus et des Tutsis ont participé au blocage des routes le jeudi 21 octobre.La nuit cependant, les Hutus ont encerclé les maisons des Tutsis pour les empêcher de fuir.Le lendemain, les hommes, femmes et enfants tutsis on été capturés et emmenés au bureau de l'UPRONA de la colline.Les hommes et les enfants ont été emmenés près d'une rivière voisine et tués, les femmes ont été violées et tuées ensuite.

E.Commune de Mbuye

a)Description de la commune

334.La commune de Mbuye jouxte au nord la province de Kayanza, à l'est la province de Gitega, au sud les collines de Rutegama, Kiganda et Muramvya et à l'ouest la commune de Muramvya.Le chef-lieu se trouve près de la limite nord de la commune, sur la colline Teka à une dizaine de kilomètres, par la route de terre qui bifurque de la grand-route goudronnée de Kayanza, à une trentaine de kilomètres de la ville de Muramvya.

b)Assertions et informations


335.Un rapport présenté par une association prétendant représenter les victimes et les survivants précise que le jeudi 21 octobre, l'Administrateur communal a tenu une réunion au chef-lieu à 10 heures du matin avec d'autres dirigeants du FRODEBU, après quoi des groupes hutus ont commencé à bloquer des routes et à empêcher les Tutsis de circuler librement.
336.Le vendredi après-midi, des Hutus armés ont attaqué des Tutsis sous la direction du chef de zone de la zone de Gasura.Le massacre s'est poursuivi jusqu'au samedi.

337.Des rapports présentés par une autre association et par la SONERA donnent la même description des événements.

338.Selon un rapport du FRODEBU, le jeudi 21 octobre, sur la colline Kirembera, des Tutsis de l'UPRONA, équipés d'armes à feu, ont tué des résidents hutus et pillé leurs biens.

339.Le dimanche 24 octobre, des unités militaires accompagnées par des étudiants tutsis de l'UPRONA sont arrivées, tuant des Hutus et détruisant leurs biens.À la fin de novembre, une nouvelle vague de raids militaires a commencé sur les collines Buyaga, Teka et Bigwana, tuant de nombreux Hutus, dont certains ont été enterrés dans une fosse commune dans les marécages près de Nyanza.

c)Déroulement des faits selon les témoignages

Chef-lieu

340.Au chef-lieu, sur la colline Teka, à côté du bureau de l'Administrateur communal, il y a un "centre de négoce" — quelques magasins, un marché, une école et une église.Quelques policiers armés de revolvers gardaient le chef-lieu le jeudi 21 octobre.Selon des témoins tutsis, ce jour, au petit matin, les résidents de la colline Teka ont appris de l'Administrateur communal que l'armée s'était emparée du Président Ndadaye.L'Administrateur communal aurait porté la nouvelle aux collines voisines en motocyclette, empruntant la route de Kibumbu, et traversant Buyaga, Bigwana, Kirika et Kibumbu.Les chefs de zone et les chefs de secteur auraient également circulé dans les collines de la zone Gasura, traversant la colline Buhungura.Dans la journée, les ponts ont été coupés et des arbres ont été abattus pour bloquer les routes.

341.Dans l'après-midi, des fonctionnaires et des enseignants se sont réunis et ont formé deux groupes selon leur origine ethnique.Un groupe de jeunes Hutus, qui aurait été organisé par un maître d'école, est arrivé, armé de machettes et de matraques et a patrouillé la colline jusqu'au soir.

342.Le vendredi matin, un groupe de jeunes Hutus armés est arrivé de la colline Buyaga et a commencé à attaquer des Tutsis.Il y a eu un affrontement avec les Tutsis au chef-lieu, où le juge local, un Tutsi, a été attaqué et blessé, puis transporté à un hôpital voisin.Dans l'après-midi, un maître d'école tutsi dénommé Basile a été tué.La police locale a tenté de maintenir l'ordre, allant jusqu'à tirer en l'air mais elle était trop peu nombreuse pour être efficace.Plus tard dans l'après-midi, un autre Tutsi a été tué au chef-lieu.


343.Un groupe de Tutsis, formé de femmes, d'enfants et de vieillards, a cherché refuge dans l'église paroissiale.Quelques-uns des enseignants et fonctionnaires tutsis ont réussi à s'enfuir dans la nuit jusqu'à la capitale de la province.
344.Le samedi 23 octobre, les massacres de Tutsis se sont poursuivis.Un groupe de Hutus armés est arrivé, a menacé les prêtres et a fouillé l'église mais non le presbytère où étaient cachés les Tutsis.

345.Sur l'autre versant de la colline Teka, de jeunes Hutus armés auraient réuni les hommes tutsis dans une plantation d'eucalyptus et les auraient tués, laissant leurs corps par terre.Ils ont épargné les femmes et les enfants.

346.Selon des sources militaires, une patrouille a réussi à gagner le chef-lieu le vendredi 22 octobre et a trouvé des Hutus armés réunis devant l'église mais ceux?ci se sont dispersés pacifiquement.Les militaires ont alors ouvert un camp pour les Tutsis déplacés sur la colline voisine de Mbuye.Les jours suivants, ils sont revenus au chef-lieu sans incident.Ce récit a été confirmé par des témoins indépendants. 

Colline Bigwana

347.La colline Bigwana se trouve à 5 kilomètres environ à l'est du chef-lieu.Le jeudi 21 octobre, des Hutus ont abattu des arbres pour couper les routes.Ils ont battu un soldat qui était en permission et l'ont empêché de quitter la colline.

348.On ne signale pas d'assassinats sur la colline vendredi.

349.Le samedi, des hommes, femmes et enfants tutsis qui s'étaient réunis en un seul groupe ont été attaqués par des Hutus.Beaucoup ont été tués, dont le soldat qui avait été battu jeudi.Des attaques contre des Tutsis se sont poursuivies dimanche et lundi.Des maisons appartenant à des Tutsis ont été brûlées.Les attaques contre les Tutsis auraient été lancées à l'instigation de Hutus de la commune de Rutegama, qui étaient arrivés à Bigwana le vendredi soir.

Colline Buhangura

350.Sur la colline Buhangura, à 4 kilomètres environ au sud du chef-lieu, selon des témoins tutsis, les Hutus auraient tué des hommes et adolescents tutsis le vendredi 22 octobre.Certains des meurtriers venaient de Mubuga, la colline voisine.Les témoins hutus ont décrit les événements comme un affrontement violent entre les deux groupes ethniques, à la suite de provocations des Tutsis, qui ont obligé de nombreux Hutus à fuir et ce, jusqu'à l'arrivée des militaires le dimanche, bien qu'on ne signale pas de victime hutue pendant ce temps.Ils ont ajouté que les soldats tiraient sur la population à l'aveuglette, tuant même des Tutsis.

Colline Buyaga

351.La colline Buyaga se trouve à 3 kilomètres environ à l'est du chef-lieu.


352.Selon des témoins hutus, il n'y a pas eu de massacres à Buyaga le jeudi ou le vendredi, même si des Hutus venus de la colline Rango ont brûlé quelques maisons tutsies.
353.Selon des sources militaires, une patrouille de 24 hommes venus du chef?lieu le samedi 23 octobre a dû ouvrir le feu sur des Hutus qui défendaient un barrage routier, faisant trois morts, dont une femme.Selon un témoin hutu cependant, les militaires ont réuni les Hutus et ont ensuite tiré dans le tas.Il faisait état de plus de 100 morts hutus et il a montré à la Commission l'emplacement d'un charnier où des ossements humains se trouvaient près de la surface.

Colline Kibumbu

354.Sur la colline Kibumbu, à 8 kilomètres environ au nord-est du chef-lieu, selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal est arrivé en motocyclette le jeudi 21 octobre le matin et a donné ordre aux Hutus locaux de bloquer les routes.Le soir, les Tutsis fuyant de la colline voisine Ngezi/Nete ont commencé à arriver à Kibumbu.Le vendredi soir, des Tutsis ont été attaqués par des Hutus et beaucoup ont été tués.

355.Selon un témoin hutu, un affrontement armé a éclaté entre les Hutus et les Tutsis de la colline, avec des renforts de Tutsis venus d'une autre colline.L'affrontement s'est poursuivi jusqu'au dimanche 24 octobre quand les soldats sont arrivés, tuant 18 Hutus.Ce témoin cependant n'a pas pu identifier de victimes hutues de cet affrontement.

356.Selon des sources militaires, une patrouille militaire est allée à Kibumbu le mercredi 27 octobre pour saisir des armes.Des témoins hutus ont affirmé que, ce jour, des militaires avaient ouvert le feu sur un groupe de Hutus, faisant beaucoup de morts.

Colline Ngezi/Nete

357.Sur la colline Ngezi/Nete, à une dizaine de kilomètres à l'est du chef-lieu, selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal est arrivé le jeudi 21 octobre et, peu de temps après, les Hutus ont bloqué des routes avec des arbres abattus.Les Tutsis se sont réunis pour se protéger et ils n'ont pas été attaqués.Des Hutus, menés par un dirigeant local du FRODEBU, ont pillé et brûlé les maisons des Tutsis.Selon un témoin hutu, ces actes auraient été commis par des gens venant d'autres collines.

Colline Taba

358.Aucun témoin tutsi des événements survenus sur la colline Taba, à 10 kilomètres à l'est du chef-lieu, n'a été entendu.Un témoin hutu qui avait fui la colline le jeudi 21 octobre a déclaré qu'à son retour le dimanche suivant des cadavres tutsis gisaient par terre et les maisons appartenant à des Tutsis avaient été brûlées.Les témoins hutus prétendent avoir été ailleurs ou être restés chez eux et nient avoir assisté à des actes de violence.Ils disent que les militaires ont tué de nombreux Hutus à leur arrivée sur la colline quelques jours plus tard.


Colline Masama
359.Sur la colline Masama, à 10 kilomètres environ au sud du chef-lieu, selon des témoins tutsis, dans la soirée du jeudi 21 octobre, des Hutus ont capturé des hommes tutsis chez eux et les ont emmenés au bord du Mubarazi, qui coule à proximité, et les ont tués.Le lendemain, les Hutus, auxquels se sont joints quelques Twas, ont violé des femmes tutsies et les ont tuées, ainsi que leurs enfants.Certaines ont été brûlées dans leur maison.L'emplacement de ce qui serait un charnier a été montré à la Commission.Certains Hutus ont aidé des voisins tutsis à s'enfuir.

F.Commune de Rutegama

a)Description de la commune

360.La commune de Rutegama jouxte au nord la commune de Mbuye, à l'ouest la commune de Kiganda, au sud la commune de Ndava et à l'est la commune de Ndava et la province de Gitega.Elle est traversée d'est en ouest, près de sa limite nord, par la grand-route de Bujumbura à Gitega.Le chef-lieu se trouve sur cette route, à 30 kilomètres de la capitale de la province et à 35 kilomètres de la ville de Gitega.

b)Assertions et informations

361.Selon le rapport de la FIHD, le Gouverneur a reconnu que des Tutsis avaient été pris en otages le jeudi 21 octobre, réunis au chef-lieu et tués dans la soirée et que des femmes et des enfants avaient été tués le lendemain, estimant le nombre de morts à 200.Selon le rapport, les sources tutsies estiment le nombre de morts à plus de 1 000 et les sources médicales confirment que presque tous les Tutsis de la commune ont été tués.Les témoins tutsis disent que l'Administrateur communal a participé aux assassinats.

362.Le rapport précise que le dimanche 24 octobre, les militaires sont arrivés de Mwaro et Gitega et ont nettoyé la colline pendant plusieurs jours, tirant sur la population avec des mitrailleuses et faisant des centaines de morts et de blessés.Ils ont pillé et brûlé les boutiques au chef-lieu.

363.Selon un rapport présenté par une association prétendant représenter des victimes tutsies et hutues appartenant à l'UPRONA, le Gouverneur de Muramvya serait venu tôt le jeudi 21 octobre et aurait donné des instructions à l'Administrateur communal et au dirigeant local du FRODEBU.À l'aube, l'Administrateur communal a fait le tour de la commune, donnant des instructions aux fonctionnaires locaux.Peu de temps après, des arbres ont été abattus et des ponts détruits pour bloquer les routes et une foule de Hutus armés, dont des fonctionnaires et des membres de milices hutues, s'est réunie au chef-lieu.L'Administrateur communal a alors invité les Tutsis et les Hutus de l'UPRONA à se réunir au chef-lieu pour une réunion de réconciliation.Ceux qui sont venus ont été ligotés à 14 heures.Les hommes ont été placés dans une salle communale et dans des cellules, les femmes dans un bureau.Les hommes ont été tués le jour même, les femmes le lendemain.Les corps ont été jetés dans des latrines ou enterrés dans des charniers.


364.Sur la colline Munanira, un groupe d'hommes, de femmes et d'enfants tutsis a été réuni par des Hutus et conduit à l'école primaire de Kirehe.Les Hutus ont alors retiré les tuiles du toit et jeté du bois allumé, brûlant certains et en asphyxiant d'autres.Les corps ont été mutilés et jetés dans les latrines de l'école.
365.Un rapport présenté par la SONERA confirme généralement ces accusations et en attribue la responsabilité directe au Gouverneur.

366.Selon un rapport du FRODEBU, 465 de ses membres ont été tués en représailles, des maisons ont été brûlées et des biens détruits dans toute la commune.

c)Déroulement des faits selon les témoignages

Chef-lieu

367.Toutes les sources sont d'accord pour dire que le Gouverneur est venu dans le chef-lieu aux petites heures du jeudi 21 octobre, qu'il y a rencontré l'Administrateur communal et que le matin les routes ont été bloquées dans toute la commune.

368.Un groupe de jeunes Hutus membres d'une milice du FRODEBU (INZARAGUHEMUKA) d'une colline voisine, armés de machettes, seraient venus au chef-lieu le jeudi matin et se seraient entretenus avec l'Administrateur avant de retourner à leur colline.Selon les rapports de témoins des Tutsis, généralement confirmés par certains témoins hutus, les Tutsis du chef-lieu et des collines environnantes ont été réunis et placés dans des bureaux.Les hommes ont été ligotés et mis dans la salle communale et des cellules, les femmes et les enfants ont été mis dans un entrepôt.Dans l'après-midi, les hommes ont été tués.Les femmes et les enfants ont été tués le lendemain.

369.Certains Hutus du FRODEBU qui ont été accusés d'avoir participé à ces événements reconnaissent avoir été présents pendant la matinée, mais disent être partis quand ils ont vu que la situation se dégradait.

Colline Munanira

370.Sur la colline Munanira, selon des témoins tutsis, des hommes, femmes et enfants tutsis ont été réunis et enfermés par des Hutus dans une école dans la soirée du jeudi 21 octobre.Le lendemain matin, le toit de l'école a été mis à feu et tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur ont été tués lorsqu'ils essayaient de s'enfuir.Les témoins hutus nient avoir assisté à ces événements.

371.La Commission a entendu le témoignage de plusieurs personnes accusées d'avoir participé à ce massacre.Elles nient avoir vu le massacre ou y avoir pris part.

372.La Commission n'a pas pu se rendre sur place au cours de son enquête, car l'insécurité persistait dans la région.


Colline Nyarunazi
373.Sur la colline Nyarunazi, immédiatement au nord du chef-lieu, selon des témoins tutsis, les Tutsis ont été réunis par des Hutus de la colline aidés par des Twas et ils ont été emmenés au chef-lieu, où ils ont été tués plus tard.Des Tutsis ont également été tués à l'école de Kirehe.

Colline Cumba

374.Sur la colline Cumba, à 2 kilomètres du chef-lieu, sur la route principale, selon des témoins tutsis, des hommes tutsis ont été réunis par des Hutus dans la matinée du jeudi 21 octobre et ils ont été emmenés au chef-lieu, où ils ont ensuite été tués.Le vendredi, les hommes, les femmes et les enfants tutsis restants qui n'avaient pas réussi à s'enfuir, ont été tués.

375.Selon des témoins hutus, des soldats sont arrivés de Mwaru le samedi 23 octobre et ils ont ouvert le feu sur les Hutus.Un témoin hutu a déclaré qu'ils ont de nouveau tué des Hutus quatre jours plus tard.

Colline Nkonyovu

376.Sur la colline Nkonyovu, à 5 kilomètres au nord-ouest du chef-lieu sur la grand-route, selon des témoins tutsis, les Hutus ont invité les hommes tutsis à les accompagner dans des patrouilles.Ils les ont emmenés au chef-lieu, où ceux?ci ont ensuite été tués.Beaucoup des Tutsis restants se sont réunis dans un bar sur la grand-route.Là, ils ont été attaqués par des Hutus, mais ils se sont défendus et ont réussi à s'enfuir à Gatwaro, dans la commune de Kiganda, à 2 kilomètres environ au nord-ouest par la route.

377.Le samedi 23 octobre, des soldats des véhicules blindés venant du chef-lieu ont ouvert le feu sur les Hutus le long de la route, faisant beaucoup de morts.Les soldats ont de nouveau tué des Hutus le lundi suivant.

Colline Bubanda

378.Sur la colline Bubanda, juste à l'ouest du chef-lieu, selon un témoin tutsi, des hommes tutsis ont été capturés et emmenés au chef-lieu le jeudi 21 octobre.

Colline Bupfunda

379.Selon des témoins tutsis, l'Administrateur communal est venu à la colline Bupfunda, à 5 kilomètres à l'ouest du chef-lieu de bonne heure le jeudi 21 octobre.Le même jour dans la soirée, les Tutsis ont été attaqués par les Hutus de la colline, aidés par des Hutus de la colline Bubanda.Les témoins hutus de la colline disent avoir été ailleurs quand les événements ont eu lieu ou n'avoir rien vu.

380.La Commission a entendu plusieurs Hutus nommés par des témoins tutsis comme ayant pris part aux massacres de Tutsis.Mais un des témoins a nié s'être trouvé sur la colline Bupfunda à l'époque des massacres.De plus, la Commission a déterminé que les témoins hutus de la colline évitaient de parler de ce qui s'était passé pendant les trois jours qui ont suivi l'assassinat, du 21 au 24 octobre.Ils prétendent n'avoir rien vu ou s'être enfuis le premier jour.

Colline Nyarukere

381.Sur la colline Nyarukere, à 3 kilomètres au sud?ouest du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des hommes tutsis auraient été capturés par des Hutus le jeudi 21 octobre et emmenés au chef?lieu, où ils ont été tués.Dans la soirée, des hommes, des femmes et des enfants tutsis ont été tués chez eux et leurs cadavres ont été jetés dans les latrines.Quelques femmes tutsies ont été violées par des Hutus et des Twas avant d'être tuées.Les massacres de Tutsis se sont poursuivis jusqu'au dimanche 24 octobre.

Colline Nyakararo

382.Sur la colline Nyakararo, à 5 kilomètres au sud?ouest du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des Hutus menés par les dirigeants locaux du FRODEBU ont commencé à tuer des hommes, des femmes et des enfants tutsis dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.Ils ont continué à chercher les Tutsis qui s'étaient enfuis et à les massacrer, jusqu'au samedi suivant.

383.Selon des témoins hutus, des soldats sont arrivés le dimanche 24 octobre accompagnés de Tutsis de la colline Nyakararo, et ils ont tué de nombreux Hutus.

Colline Muninya

384.Sur la colline Muninya, à 3 kilomètres environ au sud?ouest du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des Hutus de la colline, aidés par des Hutus de collines voisines, ont commencé à tuer les Tutsis chez eux dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.

Colline Nyamitwenzi

385.Sur la colline Nyamitwenzi, à 5 kilomètres environ à l'ouest du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des hommes tutsis ont été capturés chez eux par des Hutus et emmenés au chef?lieu, où ils ont été tués.Les attaques contre les Tutsis des deux sexes et de tous les âges se sont poursuivies jusqu'au lundi suivant.Quelques Tutsis ont réussi à survivre.Les Hutus du chef?lieu ont pris part à ces attaques.L'armée est arrivée deux semaines plus tard et a sauvé les survivants.

Colline Murinzi

386.Sur la colline Murinzi, à 8 kilomètres environ du chef?lieu, plusieurs soldats qui se trouvaient par hasard chez eux ont été arrêtés le jeudi 21 octobre.Le lendemain matin, un groupe de Hutus mené par un chef local du FRODEBU a attaqué des Tutsis chez eux.Les massacres de Tutsis se sont poursuivis jusqu'au samedi, avec la participation de Hutus de la colline Nyakararo.

Colline Mushikamo

387.Sur la colline Mushikamo, à une dizaine de kilomètres au sud?ouest du chef?lieu, selon des témoins tutsis, dans l'après?midi du jeudi 21 octobre, les autorités du FRODEBU ont arrêté 10 Tutsis et les ont détenus dans une cellule de la zone Mushikamo jusqu'à ce que des soldats arrivés le lendemain les libèrent.D'autres témoins tutsis ont déclaré que plus de 50 Tutsis auraient été tués sur la colline par les Hutus.

Colline Gashingwa

388.Sur la colline Gashingwa, à 5 kilomètres environ au sud du chef?lieu, selon des témoins tutsis, des Hutus menés par des fonctionnaires locaux du FRODEBU ont enlevé des hommes tutsis de chez eux le jeudi 21 octobre et les ont tués sur la route de Rutegama.Les attaques contre les Tutsis restants se sont poursuivies jusqu'au lundi suivant, avec la participation de Hutus et de Twas des collines voisines.L'armée est arrivée deux semaines plus tard et a sauvé les survivants tutsis.

IX.LA PROVINCE DE NGOZI

A.Géographie et population

389.La province de Ngozi est bornée au nord par le Rwanda, à l'ouest par la province de Kayanza, au sud par les provinces de Gitega et de Karuzi, et à l'est par celles de Kirundo et de Muyinga.Elle est située dans la zone montagneuse centrale, une région de collines escarpées et de larges vallées.La frontière avec le Rwanda suit le cours de la Kanyaru.La province de Ngozi est traversée en son milieu, d'ouest en est, par la principale route asphaltée, qui va de Bujumbura et de Kayanza à Muyinga et à Kirundo.La province est divisée en sept communes.Ngozi compte environ 5 000 habitants; c'est la troisième ville du Burundi, à 136 kilomètres de Bujumbura.La superficie de la province est de 1 468 kilomètres carrés et elle comptait 482 246 personnes en 1990.À l'heure actuelle, presque tous les Tutsis vivent dans des camps de personnes déplacées protégés par l'armée.Ngozi est peuplée surtout de Tutsis.Il existe dans la province plusieurs camps de réfugiés, qui abritent environ 20 000 Hutus rwandais qui ont fui leur pays après le génocide de 1994 et dont se chargent des organisations internationales.En octobre 1993, un grand nombre de réfugiés rwandais tutsis, rentrés depuis dans leur pays, vivaient dans l'ensemble de la province.

B.Assertions et informations concernant les événements dans la province


390.Selon le rapport de la FIDH, le coup d'État a été annoncé par Radio Rwanda le jeudi 21 octobre, vers 6 heures du matin.Le Gouverneur de la province, qui en avait lui?même été informé peu avant, s'est rendu dans certaines communes, notamment Gashikanwa et Kiremba.Il est rentré dans l'après?midi, en demandant à la population de manifester contre le coup d'État.Dans l'après?midi du même jour, un militaire des forces aéroportées, venu en hélicoptère de Bujumbura, s'est entretenu avec les autorités militaires locales.Le Gouverneur a été assigné à domicile vers 17 h 30 environ.Rétabli dans ses fonctions le samedi après?midi, il s'est déplacé dans la province, les jours suivants, pour s'efforcer de calmer les esprits.
391.L'agglomération de Ngozi, qui compte deux camps militaires, l'un de l'armée et l'autre de la gendarmerie, a servi de refuge aux Tutsis en fuite.Pendant les jours qui ont suivi le coup d'État, des civils tutsis ont tué ouvertement de nombreux Hutus, en présence des militaires.Ceux?ci auraient eux?mêmes tué des Hutus dans la ville.

C.Travail de la Commission

392.Le travail sur le terrain s'est poursuivi du 23 février au 28 mai.Le Commissaire a dû travailler seul, jusqu'à ce que deux enquêteurs soient dépêchés dans la province en avril; il a dû aussi, à divers moments, accomplir un travail sur le terrain dans d'autres provinces.Faute de fonds suffisants et en raison de retards administratifs au siège, il n'a pu obtenir qu'à la fin d'avril un logement permanent à Ngozi.Auparavant, il devait venir sur place tous les jours.La circulation sur les routes n'est possible que de jour, et le trajet entre Bujumbura et Ngozi prenant près de trois heures, le temps qu'il pouvait passer sur place était très limité.La route a à plusieurs reprises été fermée, pour des raisons de sécurité ou d'autres raisons.La Commission a enquêté dans quatre communes, en entendant des témoins dans les collines, dans cinq camps de personnes déplacées, à Ngozi même, dans la prison et au Kenya.Le Commissaire a entendu 127 témoins : 88 Tutsis, 34 Hutus, et 5 Twas.

393.Dans la commune de Ruhororo, l'enquête est restée limitée. Les zones proches de la commune étaient en effet le théâtre d'actions fréquentes de la guérilla et de l'armée durant le séjour de la Commission au Burundi.Pour cette raison, les visites sur place ont été limitées aux camps de personnes déplacées du chef?lieu.Même au chef-lieu, après une manifestation dirigée contre les Nations Unies à Bujumbura, les témoins qui avaient été contactés par les enquêteurs ont refusé de coopérer avec la Commission.Les témoignages relatifs aux événements survenus à Ruhororo ont été recueillis dans le camp et auprès des prisonniers et autres témoins à Ngozi.

D.Commune de Kiremba

a)Description de la commune

394.La commune de Kiremba est bornée au nord par celle de Marangara, à l'ouest par celles de Nyamurenza et de Gashikanwa et au sud par la commune de Kiremba; à l'est, elle est bornée par les provinces de Muyinga et de Kirundo.La grand?route asphaltée qui va de Ngozi à Muyinga traverse la commune, en son milieu, d'ouest en est.Le chef?lieu de la commune est relié par une route non revêtue longue de 10 kilomètres environ à la route principale.La bifurcation, sur la route principale, est à 20 kilomètres de Ngozi.Après les événements survenus en 1993, les Tutsis qui demeurent dans la commune sont à présent regroupés dans deux camps, l'un au chef?lieu de la commune et l'autre à Gakere, sur la grand?route, à 30 kilomètres de Ngozi.Les collines sont habitées uniquement par les Hutus.

b)Assertions et informations

395.Selon le rapport de la FIDH, après le coup d'État, des centaines de personnes ont été massacrées à Kiremba.Dans les collines Cayi, Ciri et Mufigi à elles seules, plus de 400 personnes ont été tuées.Après la visite du Gouverneur, le matin du jeudi 21 octobre, l'administrateur communal a donné ordre de couper la route.Les Hutus ont commencé à tuer les Tutsis le jour même après une émission de Radio Rwanda.Une famille tutsie a été brûlée vive sur la colline Kidunda.Treize autres familles ont été rassemblées et massacrées devant le lycée du chef?lieu.

396.Les soldats sont arrivés au chef?lieu le vendredi 22 octobre et ont tué plusieurs personnes.Ils sont ensuite attaqué la colline Gakere et ont tué 19 Hutus.Sur la colline Musasa, les victimes ont été ensevelies dans une fosse commune.De nombreux Hutus ont été tués et laissés sans sépulture autour du camp qui avait été ouvert pour les Tutsis déplacés.

397.Une association tutsie relate que dans la commune de Kiremba tous les Tutsis ont été massacrés, sauf quelques-uns qui ont réussi à s'échapper.

398.Selon une relation des faits favorable au FRODEBU, en dépit des efforts de l'administrateur communal, qui s'est rendu dans les collines pour calmer les esprits, certains Hutus enragés ont massacré leurs voisins tutsis durant la nuit du 21 octobre, notamment dans les Zones Musasa et Gakere, après avoir entendu des coups de feu tirés par des soldats.

399.Quand les soldats sont arrivés, le lendemain, ils ont commencé à faire la chasse aux Hutus, en particulier les membres du FRODEBU, et à les tuer.Cette chasse à l'homme s'est poursuivie jusqu'en novembre.

400.Selon la plainte d'un Hutu, l'administrateur communal aurait été torturé et tué sur la place du marché, par des soldats, le vendredi 22 octobre, avec les encouragements des Tutsis. Les militaires auraient également massacré des femmes et des enfants hutus qui avaient trouvé refuge à l'hôpital.

c)Déroulement des faits selon les témoignages suivants

Colline Kiremba

Chef?lieu de Kiremba

401.Le Gouverneur de la province, un Tutsi membre du FRODEBU, avait organisé une réunion qui devait avoir lieu au chef?lieu le matin du jeudi 21 octobre.Le Gouverneur, ayant été informé du coup d'État, est arrivé au chef?lieu le jour même, vers 6 heures du matin, pour annuler la réunion.Il a rencontré alors des fonctionnaires et des dirigeants locaux du FRODEBU.Radio Rwanda avait déjà annoncé le coup d'État survenu à Bujumbura.

402.Bien que les esprits soient très excités et que les autorités locales aient déjà fait le tour des collines, aucun acte de violence n'a eu lieu avant l'après?midi.

403.Vers 15 heures environ, le Gouverneur est revenu et a de nouveau rencontré les autorités locales et les dirigeants locaux du FRODEBU.Après avoir exhorté la population à se rendre à Ngozi pour défendre la démocratie, il est reparti.

404.Vers 17 heures, des Hutus du FRODEBU ont commencé à abattre des arbres pour couper les routes.Certains magasins du centre ont été pillés.

405.Le soir, Radio Rwanda a annoncé que le Président Ndadaye avait été tué.

406.Selon des témoins tutsis, au chef-lieu, des Hutus du FRODEBU se sont alors saisis de 14 Tutsis dans la soirée.Les corps de ces hommes ont été retrouvés le lendemain dans un champ voisin, à l'exception de l'un d'eux, grièvement blessé, qui a survécu.

407.Les militaires sont arrivés le vendredi matin.Selon un témoin hutu, ils ont ouvert le feu sur la population hutue.De nombreux Hutus ont fui vers le Rwanda.

408.Plusieurs témoins dont le témoignage a été recueilli au camp du chef?lieu ont apparemment reçu pour instructions d'attribuer la responsabilité des massacres à l'ancien Gouverneur.Quand ils ont été interrogés, leurs déclarations contenaient de nombreuses contradictions factuelles.

Colline Kibuye

409.Des témoins tutsis ont déclaré que sur la colline Kibuye, située à 5 kilomètres environ à l'est du chef?lieu, des Tutsis ont été capturés par des Hutus, le jeudi après?midi, et rassemblés en divers endroits.Dans la soirée, après l'annonce par Radio Rwanda de la mort du Président Ndadaye, ils ont été tués par des Hutus.Une femme a indiqué dans son témoignage qu'elle avait été violée, puis blessée et laissée pour morte.Certains survivants ont déclaré qu'ils devaient la vie à des amis hutus.

410.Un témoin tutsi et un témoin hutu ont indiqué que les soldats, qui étaient arrivés le vendredi matin, ont ouvert le feu sans distinction sur les Hutus.

Colline Gatwaro

411.Plusieurs témoins, dont un Hutu, ont signalé que sur la colline Gatwaro, située à 4 kilomètres environ à l'ouest du chef?lieu, de nombreux Tutsis ont été tués le jeudi soir.Une femme a déclaré qu'elle avait été violée, tout comme d'autres femmes tutsies, qui ont plus tard été tuées.

Colline Ngeramigongo

412.Cette colline, à 4 kilomètres environ au sud?ouest du chef?lieu, n'est accessible que par une route étroite non revêtue; des témoins tutsis ont déclaré que des Hutus ont tué des Tutsis la nuit du jeudi.Une femme, de père tutsi et de mère hutue, signale dans son témoignage qu'après avoir été blessée elle a été sauvée par sa mère et par des parents hutus.

Collines Masasu et Musumba

413.Des témoins tutsis, dans les collines Masasu et Musumba situées sur la route non revêtue reliant le chef?lieu à la route asphaltée, ont déclaré que l'administrateur communal de Kiremba avait emprunté la route asphaltée, accompagné d'autres dirigeants du FRODEBU, dans l'après?midi du jeudi 21 octobre.Quelque temps plus tard, des arbres ont été abattus afin de couper les routes.Dans la soirée, des Tutsis ont été attaqués par des Hutus.

Colline Kibande

414.Une Tutsie, originaire de la colline Kibande à 23 kilomètres de Ngozi sur la route principale, a déclaré dans son témoignage avoir été attaquée à son domicile le jeudi 21 octobre, en début de soirée.Toute sa famille a été massacrée et elle?même a été gravement blessée et laissée pour morte.

Colline Kiremera

415.Selon un témoin hutu, sur la colline Kiremera, située sur la grand?route à 26 kilomètres de Ngozi, des Tutsis ont été massacrés le soir du jeudi 21 octobre.Un Hutu en a sauvé quelques?uns en les cachant dans une école.

Colline Gakere

416.Selon des Tutsis survivants, originaires de la colline Gakere, située sur la grand?route à 28 kilomètres de Ngozi, un grand nombre de Tutsis se sont rassemblés dans la propriété d'un Tutsi nommé Kinunda, et ont été attaqués le jeudi soir mais ont réussi à repousser cette attaque.Le lendemain, ils ont été entourés par un grand nombre de Hutus armés qui les ont tués presque tous, quelques?uns réussissant cependant à s'échapper.

Colline Kiyange

417.Sur la colline Kiyange, à 30 kilomètres de Ngozi par la grand-route, selon un témoin tutsi, des Tutsis ont été attaqués le jeudi soir.La tuerie s'est poursuivie le vendredi matin, jusqu'à l'arrivée des militaires en milieu de matinée.

Colline Masoro

418.Sur la colline Masoro, au sud de la colline Kiyange, à 2 kilomètres de la route asphaltée, selon un témoin hutu, le massacre des Tutsis a commencé le jeudi soir et s'est poursuivi les jours suivants, car les militaires n'ont pas quitté la grand-route.

E.Commune de Mwumba

a)Description de la commune

419.La commune de Mwumba est bornée au nord par le Rwanda dont elle est séparée par la Kanyaru, à l'est par la province de Kayanza, au sud par la commune de Ngozi et à l'ouest par celle de Nyamurenza.Le chef-lieu est situé sur la colline Buye, à 8 kilomètres de Ngozi par une route non revêtue.La population tutsie de la commune est concentrée dans deux camps de personnes déplacées, l'un près du chef-lieu et l'autre à Vyegwa, à 3 kilomètres environ dans la direction de Ngozi.

b)Assertions et informations

420.Selon le rapport de la FIDH, les Tutsis de la commune ont été rassemblés et massacrés.Dans la moitié des collines seulement, 712 Tutsis ont été tués.Les représentants du FRODEBU sont venus par deux fois de Ngozi, le matin du jeudi, pour couper les routes, et l'après-midi, pour arrêter des Tutsis.Trente Tutsis ont été rassemblés à Kiziba et massacrés.De nombreux Tutsis ont été tués, leurs corps jetés dans la Kanyaru.Les Hutus de l'UPRONA qui avaient été également appréhendés ont été remis en liberté.À Vyegwa, 48 corps ont été découverts sur la colline Rwabiriro.Sur cette colline, des Tutsis ont été tués devant l'école primaire.Dans certains cas, des Hutus ont aidé des Tutsis à s'échapper.Sur certaines collines, aucun Tutsi n'a été tué.

421.Les militaires sont arrivés dans la commune le vendredi 22 octobre ainsi que le lendemain.À Kiziba, ils ont rassemblé des Hutus, hommes, femmes et enfants, et les ont tués.À Mushitsi, une fosse commune a été remplie de leurs corps, et 160 corps ont été découverts à Vyegwa.Des Twas ont participé au massacre des Hutus.

422.Selon une association tutsie, dans la Zone Mwumba, 50 Tutsis ont été tués sur la colline Bakenke.Les Tutsis ont été rassemblés et tués dans une école de la colline Karungura et dans un "centre de négoce", à Kiziba.Les Tutsis en fuite ont été rassemblés dans une maison, à Vyegwa, puis tués.

c)Déroulement des faits selon les témoignages suivants

Colline Buye

423.Selon des témoins hutus et tutsis, sur la colline Buye où se trouve le chef-lieu de la commune, les routes ont été coupées dès le matin du jeudi 21 octobre.Pendant l'après-midi, des Hutus dirigés par des fonctionnaires et des dirigeants locaux du FRODEBU ont commencé à attaquer les Tutsis et les Hutus membres de l'UPRONA.Certains ont été bouclés dans la commune, mais le soir, après que plusieurs d'entre eux ont été appelés, apparemment pour être tués, les autres se sont échappés.Certains ont réussi à fuir à la faveur de l'obscurité.

424.Quand les Hutus ont commencé à attaquer les Tutsis près du chef-lieu, nombreux sont ceux qui ont tenté de fuir à travers champs jusqu'à Ngozi, au sud, en descendant des collines puis en traversant le fond de la vallée de la Nkaka.

425.Nombreux sont ceux qui ont été capturés dans la vallée et conduits au domicile d'un Tutsi, Nazaire Nsabiyimana, qui était absent; la maison est située à 1,5 kilomètre environ de la route qui gagne Ngozi.Ils ont été enfermés dans cette maison avec d'autres Tutsis du voisinage qui avaient également été capturés.

426.Le lendemain matin, les captifs ont été tués.Leurs corps ont été jetés dans des fossés ou des latrines où ils se trouveraient encore.Certains Hutus du FRODEBU qui avaient également été capturés n'ont pas été tués.

Colline Gitasi

427.La colline Gitasi est longée par la route non revêtue qui relie le chef?lieu de la commune à Ngozi.Selon des témoins hutus, tutsis et twas, à Vyegwa, sur cette route, où se trouvent plusieurs maisons et une station d'élevage de chèvres, les Hutus se sont réunis le jeudi matin, à l'instigation des dirigeants locaux du FRODEBU.Après cette réunion, ils ont commencé à abattre des arbres et à couper les ponts afin de bloquer la circulation sur les routes.

428.Plus tard dans la journée, des Hutus ont commencé à rassembler des otages tutsis du voisinage à Vyegwa, pour les conduire aux bureaux de Zone Mwumba.Comme on l'indique plus bas, ils ont par la suite été tués.

429.Une Tutsie indique dans son témoignage qu'en haut de la colline, des Tutsis ont été attaqués par des Hutus le même jour.Elle a été frappée à la tête au moyen d'un marteau et laissée pour morte.

Colline Mwumba

430.Les bureaux de Zone Mwumba (à ne pas confondre avec le chef-lieu, situé sur la colline Buye) sont situés sur la colline Mwumba, à 12 kilomètres environ de Ngozi.

431.Selon des témoins hutus, tutsis et twas, le matin du jeudi 21 octobre, des Hutus entraînés par des fonctionnaires et des dirigeants du FRODEBU ont commencé à abattre des arbres pour couper les routes et à détruire les ponts.Vers midi, ils ont commencé à rassembler les Tutsis ainsi que les Hutus et les Twas de l'UPRONA et les ont conduits aux bureaux de Zone Mwumba, où ils ont été enfermés dans un bâtiment qui servait de prison.Vers 21 heures, ils ont appelé deux frères et les ont tués.Ils ont ensuite appelé d'autres prisonniers, mais ceux-ci ont refusé de sortir.Les Hutus ont alors lancé des pierres à l'intérieur du bâtiment.Certains captifs ont réussi à s'échapper, mais nombreux sont ceux qui ont été tués.Les corps auraient été enterrés près du cachot.

432.Plusieurs témoins qui ont déclaré s'être échappés du cachot, tout en s'accordant sur ces faits, se sont contredits sur plusieurs aspects de leur témoignage.

433.Les soldats sont arrivés le vendredi matin.Selon un témoin hutu, ils ont commencé à tirer sans distinction sur les Hutus, en en tuant un grand nombre.

Colline Nzove

434.Le centre de négoce de Kiziba est situé sur la colline Nzove, à 6 kilomètres environ du chef-lieu de la commune Mwumba et à 15 kilomètres environ de Ngozi.Il comprend une trentaine de maisons construites autour d'un marché central et d'un abattoir.Les maisons, toutes maintenant en ruines (sauf une récemment reconstruite), abritaient des magasins et des bureaux.

435.Selon des témoins hutus, tutsis et twas, le jeudi 21 octobre, après avoir appris à la radio rwandaise l'arrestation du Président Ndadaye par les militaires, des paysans hutus, entraînés par des fonctionnaires et des dirigeants locaux du FRODEBU, ont abattu des arbres pour couper les routes, et ont rassemblé les Tutsis des collines voisines Nzove, Muremera et Gatsinda, y compris des réfugiés rwandais, ont pillé leurs biens et les ont enfermés dans un bâtiment, la "Maison de la société des maraîchers".

436.Vers 20 heures, ils ont commencé à les tuer.Ils les ont fait sortir, les ont attachés trois par trois, les ont tués et ont jeté leurs corps dans des fossés et des latrines.Les corps y seraient toujours.La tuerie s'est poursuivie jusqu'à trois heures du matin le vendredi.Certains se sont échappés.Un témoin raconte qu'il a soudoyé un Hutu qui l'a libéré.Deux autres témoins ont indiqué qu'ils avaient été laissés pour morts, inconscients, dans un fossé et qu'ils ont repris conscience vers deux heures du matin le vendredi quand il a commencé à pleuvoir.L'administrateur communal de Mwumba serait passé en moto en route vers le Rwanda le soir qui précède les tueries.Il pleuvait.Un témoin twa signale que l'administrateur communal a plaidé en vain pour la libération des Rwandais.

437.Selon des témoins hutus et twas, les soldats sont arrivés le lendemain samedi.Les Hutus adultes du sexe masculin avaient fui vers le Rwanda.Les soldats ont rassemblé les vieillards et les femmes hutus qui restaient sur place ainsi que les Twas et leur ont offert de la bière au débit de boissons de Mbatari.Puis, ils ont emmené les Hutus jusqu'au magasin d'un Hutu nommé Mudagi qui s'était enfui.Ils les ont ensuite massacrés.

Colline Karungura

438.Selon des témoins tutsis, le jeudi après-midi, des Tutsis de la colline Gakenke ont été emmenés par des Hutus entraînés par des dirigeants et des permanents locaux du FRODEBU jusqu'à une école, sur la colline Karungura.Ils les auraient attachés, puis tués vers 21 heures.Leurs corps seraient toujours enfouis dans la latrine.

439.Selon des témoins tutsis et hutus, les Tutsis du clan Hima se sont rassemblés et ont réussi à se défendre contre les Hutus qui les attaquaient.

Collines Cahi et Gatsinda

440.Des témoins tutsis des collines Cahi et Gatsinda, situées dans la partie nord de la commune, ont déclaré qu'ils avaient été arrêtés à leur domicile l'après-midi du jeudi 21 octobre par des Hutus du FRODEBU, puis regroupés avec d'autres Tutsis captifs et emmenés dans la soirée sur les rives de la Kanyaru, qui fait la frontière avec le Rwanda, pour y être tués.Tous les témoins indiquent que, si de nombreux Tutsis ont été tués, ils ont eux-mêmes été aidés par des Hutus à s'échapper.Un témoin hutu a confirmé que des Tutsis avaient été tués sur les rives de la Kanyaru.

F.Commune de Ruhororo

a)Description de la commune

441.La commune de Ruhororo est bornée au nord par les communes de Ngozi, de Gashikanwa et de Tangara, au sud-est par la province de Kayanza, au sud par la province de Gitega et au sud-ouest par celle de Karuzi.Son chef-lieu se trouve dans le sud de son territoire, à 25 kilomètres de Ngozi par une bonne route non revêtue qui mène à Gitega.

b)Assertions et informations

442.Selon une association tutsie, l'administrateur communal de Ruhororo a fait arrêter et rassembler des Tutsis pour les faire tuer.

443.Selon un rapport favorable au FRODEBU, le vendredi 22 octobre, des soldats accompagnés de civils tutsis ont appréhendé des Hutus dans les collines Ntiba et Gitwe.Ils en ont tué 15, et plusieurs autres en chemin.Le lendemain, ils ont tué huit Hutus sur la colline Banda.Le dimanche, ils ont tué 26 personnes sur la colline Taba.Une dizaine de Hutus ont été tués à Gisha le 7 novembre.

c)Déroulement des faits selon les témoignages suivants

Colline Rwamiko

Chef-lieu

444.Selon des témoins tutsis, un dirigeant du FRODEBU venu de Ngozi serait arrivé en fourgonnette au chef-lieu au début de l'après-midi du jeudi 21 octobre et se serait entretenu avec l'administrateur communal.Peu après, des Hutus du FRODEBU ont abattu des arbres pour couper les routes.Des Tutsis des collines voisines ont été rassemblés et détenus dans le bâtiment administratif.Le dirigeant du FRODEBU a admis avoir transporté des Tutsis jusqu'au chef-lieu mais a dit que c'était pour leur protection.Le soir, les Tutsis captifs ont été emmenés jusqu'à la rive de la Ruvubu, à 500 mètres environ, puis tués.Certains Hutus membres de l'UPRONA qui avaient également été appréhendés n'ont pas été tués.

445.Les militaires sont arrivés au chef-lieu dans l'après-midi du lendemain après avoir dégagé au moyen d'un tracteur la route coupée par des arbres abattus.Tout le long du trajet, ils ont vu des morts ou des blessés tutsis.

446.Selon des témoins hutus, ces militaires ont ouvert le feu sans distinction sur les Hutus, le long du trajet, et au chef-lieu, en tuant un grand nombre.

447.Un témoin hutu a déclaré que le jeudi 21 octobre et le lendemain, les militaires ont continué à tuer des Hutus des deux sexes et de tous âges dans les collines à l'écart de la grand-route, notamment Cagura, Kabuye et les collines de Zone Mubanga au nord.

Colline Bucamihigo

448.Selon un témoin hutu, des Tutsis du sexe masculin de la colline Bucamihigo ont été rassemblés, le jeudi, par des Hutus entraînés par un dirigeant du FRODEBU, puis emmenés au chef-lieu où ils ont plus tard été tués.

449.Selon le même témoin, le lendemain, des soldats ont tué 41 Hutus sur la colline.

Colline Kabuye

450.La colline Kabuye est à 4 kilomètres environ du chef-lieu.Selon un témoin tutsi, des Tutsis du sexe masculin, parmi lesquels les instituteurs, ont été appréhendés et emmenés par des Hutus le jeudi 21 octobre.

451.Selon un témoin hutu, les militaires ont tué de nombreux Hutus, hommes, femmes et enfants, sur la colline, dans les jours qui ont suivi.

G.Commune de Tangara

a)Description de la commune

452.La commune de Tangara est bornée au nord par la commune de Kiremba, à l'ouest par celles de Gashikanwe et Ruhororo, au sud par la province de Karuzi et à l'ouest par celle de Muyinga.Aucune grand?route ne la dessert.Le chef?lieu est situé à Musenyi, et est relié par 12 kilomètres d'une route secondaire non revêtue, à travers la commune de Kiremba, à la route asphaltée, à un point situé à 30 kilomètres de Ngozi.

b)Assertions et informations

453.Selon le rapport de la FIDH, les tueries ont été rares dans le territoire de la commune et ont été le fait surtout de personnes venues de l'extérieur.Un groupe de Hutus de la commune de Kiremba a tué 30 Tutsis; des Hutus de la commune de Ruhororo ont tué huit Tutsis sur la colline Nyagesebeyi le samedi 23 octobre; et des Hutus de la province de Karuzi ont tué 50 Tutsis environ sur les collines Ruyogoro, Gikingo et Murumba, le mercredi suivant.

454.Le samedi 23 octobre, les militaires ont tué 18 Hutus sur la colline Nyagesebeyi.Le lundi suivant, ils ont attaqué les collines Mugirampeke, Gasekanya et Bomba, tuant 58 personnes.

455.Selon une association tutsie, dans la commune de Tangara, les tueurs venaient des communes voisines, mais, de façon générale, grâce aux efforts de l'administrateur communal, les Tutsis tués ont été peu nombreux.

c)Déroulement des faits selon les témoignages suivants

456.Contrairement à ce qui s'est passé dans toutes les communes voisines, aucun Tutsi n'a été tué en octobre 1993 dans la commune de Tangara à l'exception de quelques collines proches d'autres communes ou provinces.

Chef-lieu

457.Le 21 octobre, l'administrateur communal, un Tutsi membre du FRODEBU (désormais en prison à Ngozi), ayant appris le coup d'État en écoutant Radio Rwanda, et dans l'incapacité de communiquer avec la capitale de la province, a parcouru sa commune sur une moto le jeudi 21 octobre en exhortant les habitants à rester calmes.Les routes n'ont pas été coupées, aucune personne n'a été prise en otage et personne n'a été tué le jour même.Le vendredi, les Tutsis qui avaient échappé aux nombreux massacres intervenus dans la commune de Ruhororo ont commencé à arriver à Musenyi.Les militaires sont arrivés le vendredi soir.

Collines Bomba, Mugirampeke, Muramba et Ruyogoro

458.Selon des témoins Tutsis, le vendredi 22 octobre et les deux jours suivants, des Tutsis du sexe masculin et de tous âges ont été tués sur les collines Bomba, Mugirampeke, Muramba et Ruyogoro, toutes jouxtant la province de Karuzi, à l'instigation de Hutus venant de cette province, où des massacres de Tutsis ont eu lieu en grand nombre.Des femmes tutsies ont été empêchées de quitter ces localités.

459.Les soldats n'ont pu atteindre ces collines.L'arrivée de Hutus armés, de Karuzi, à la colline Bomba a été confirmée par un témoin Hutu.

Colline Butezi

460.Sur la colline Butezi, qui jouxte la commune de Kiremba, des Tutsis de sexe masculin ont été tués le samedi.Les Tutsies ont là aussi été empêchées de quitter les lieux.

Colline Nyagasebeyi

461.Selon un témoin hutu, les militaires ont tiré sans distinction sur les Hutus le samedi 23 octobre près de la limite de la commune de Ruhororo.

462.À l'exception des collines mentionnées ci?dessus et de certaines collines éloignées, Tutsis et Hutus ont continué à vivre côte à côte dans la commune.

X.ANALYSE DES TÉMOIGNAGES

463.S'il est vrai, comme il est dit plus haut, que la Commission été contrariée par les circonstances à l'occasion de son enquête et que la fiabilité des témoins était sujette à caution, la montagne de témoignages recueillis lui a permis de déceler une certaine constance dans les comportements et de dégager un certain nombre de conclusions.

464.À en juger non seulement par les dépositions de témoins appartenant aux deux groupes ethniques, mais également par toutes les autres informations recueillies, il est constant que dès le moment où la nouvelle du coup d'État est parvenue à l'intérieur du pays, des troncs d'arbres abattus ont été jetés en travers de toutes les routes sur presque toute l'étendue du territoire burundais et les ponts brisés.Il n'est pas jusqu'à certains responsables locaux à l'époque, maintenant écroués, qui n'aient fait état d'ordres qu'ils avaient reçus de leurs supérieurs de pousser la population à un tel comportement qui, autant que la Commission a pu en juger, était sans précédent au Burundi.

465.Dans la plupart des communes où l'enquête a été menée, le barrage des routes a été suivi peu après dans les localités sous le contrôle du Gouvernement hutu ou des responsables communaux du FRODEBU, par la capture de tous les adultes tutsis de sexe masculin et, dans certains cas, des Hutus partisans de l'UPRONA et leur regroupement dans des endroits bien déterminés où ils étaient retenus en otage.

466.Dans la plupart des cas, le meurtre de ces otages a commencé dès le moment où on apprenait, essentiellement par la radio rwandaise, que le Président Ndadaye avait été tué.Ces meurtres ont été perpétrés dans la nuit du jeudi 21 octobre dans certains endroits cependant qu'ailleurs ils ne devaient l'être que le lendemain à l'aube.Peu nombreux ont été les otages de l'UPRONA tués.

467.Dans les localités où les otages ont été tués, le massacre s'est dans la plupart des cas vite étendu à toutes les femmes et tous les enfants tutsis; les maisons des Tutsis ont également été mises à sac et incendiées.Le massacre d'hommes et de femmes tutsis de tous âges fit tache d'huile à partir de ces localités.Dans certains endroits, des femmes tutsies ont été épargnées, encore qu'elles aient souvent été violées ou séquestrées.

468.Les soldats et gendarmes, partis de leurs bases le jeudi 21 octobre, entreprirent à grand?peine de dégager les routes principales et de construire des ponts de fortune.Une fois sur les lieux des massacres de Tutsis, ils ont porté secours aux survivants et se sont pour la plupart livrés à un massacre aveugle de Hutus, aidés souvent en cela par les survivants eux?mêmes.Ils entreprirent ensuite, pendant plusieurs jours, de dégager les routes secondaires, continuant de porter secours aux Tutsis et d'exercer une répression aveugle sur la personne des Hutus.Les soldats ne se sont jamais rendus sur certaines collines.

469.Au fur et à mesure que l'armée se déployait à partir de points situés sur les routes principales, nombre de Hutus s'enfuyaient vers les collines encore inaccessibles.Les tueurs dans leurs rangs étendaient le massacre des Tutsis aux collines qui avaient jusque?là été épargnées par la violence tant et si bien que pendant quelques jours à partir du vendredi 22 octobre, les massacres de Tutsis par les Hutus d'une part et de Hutus par les soldats d'autre part se généralisaient simultanément.

470.Les témoignages recueillis concordent dans leur quasi?totalité : dans les communes où l'enquête a été menée, Hutus et Tutsis coexistaient dans la paix sur le colline depuis le 21 octobre même si la campagne électorale et le remplacement de la plupart des responsables locaux de l'UPRONA par des membres du FRODEBU avaient suscité quelque tension entre les ethnies.Les rapports sociaux étaient normaux et les mariages mixtes fréquents.Un pourcentage considérable de survivants tutsis ont reconnu n'avoir dû leur salut qu'à des parents, voisins ou amis hutus qui les avaient protégés souvent au risque de leur propre vie.

471.Si de nombreux témoins hutus ont évoqué la persécution sanglante dont les membres de leur ethnie furent victimes en 1972, aucun d'entre eux n'a accusé ses voisins tutsis d'y avoir personnellement pris part.La persécution et la répression politique perpétrées contre les Hutus avaient été le fait de dictatures militaires et les agriculteurs tutsis locaux eux?mêmes n'y avaient pas joué un rôle important.

472.S'il est indéniable que les Hutus constituent une classe de citoyens de second ordre sur les plans social, économique et dans l'enseignement, les disparités de statut, de richesse et de niveau d'instruction entre Tutsis et Hutus vivant de l'agriculture de subsistance sur la même colline étaient négligeables.

473.Autant de considérations qui amènent la Commission à conclure que le massacre systématique d'hommes, de femmes et d'enfants tutsis sur les collines dans l'ensemble du pays ne saurait être mis sur le compte de réactions spontanées, simultanées, de la masse des agriculteurs hutus dirigées contre leurs voisins.Le fait — établi par les éléments de preuve recueillis — que nombre de simples agriculteurs hutus aient pris part au massacre ne peut être attribué qu'à l'incitation de leurs dirigeants et à l'exemple donné par ces derniers, dont la présence et les activités partout où des massacres ont été perpétrés sont attestée par des preuves surabondantes.

474.La question se pose de savoir comment des agriculteurs hutus par nature pacifiques ont pu être convaincus de prendre part au massacre de leurs voisins tutsis.Pour la Commission, la soif de terres n'était pas — tant s'en faut — une motivation étrangère à un tel comportement.

475.Le Burundi qui est — faut?il le rappeler? — le pays le plus surpeuplé d'Afrique, voit sa population s'accroître tous les ans à un taux de plus de 2,5 %.Plus de 90 % de la population vit de la terre.Les familles occupent de minuscules lopins de terre qui ne sont plus en mesure d'accueillir les nombreux descendants et leurs propres enfants.Il n'existe pratiquement aucune possibilité d'emploi en dehors de l'agriculture.Le moindre pouce de terre arable fait l'objet d'une exploitation intensive et il n'y a pas de terres où l'on puisse s'installer.Les chances d'émigrer sont pratiquement nulles.Dans la moitié septentrionale du pays, où la quasi-totalité des massacres avaient eu lieu, les anciens pâturages sont maintenant presque entièrement voués aux cultures de sorte que les Tutsis se sont, pour la plupart, eux aussi consacrés à l'agriculture.Certains Tutsis et Hutus étaient encore propriétaires d'un petit cheptel mais essentiellement pour se conférer quelque statut.

476.L'immense pression résultant de cet état de choses a pu susciter chez les agriculteurs voués à la misère la forte tentation de s'approprier les biens de leurs voisins et d'accaparer leurs lopins de terre, tentation que leurs dirigeants ont pu exploiter.On relèvera à cet égard que le pillage des biens tutsis a commencé presque partout dès le moment où les otages étaient capturés, avant que les massacres n'aient eu lieu.

477.Quant à savoir ce qui a pu inspirer ceux qui, jusqu'au niveau local, ont été à la tête de ces massacres, la Commission estime qu'il ne faudrait pas perdre de vue l'exemple rwandais que Hutus et Tutsis burundais ne sont pas près d'oublier.Au Rwanda, le régime hutu en place depuis l'indépendance et au pouvoir à l'époque des événements du Burundi, avait massacré les Tutsis à plusieurs reprises.L'attitude des Hutus rwandais au pouvoir vis?à?vis des Tutsis devait s'offrir en spectacle tragique à l'opinion internationale à l'occasion du génocide perpétré l'année suivante, et dont on sait maintenant qu'il avait été mûri à l'avance.Les dirigeants du FRODEBU à tous les échelons, y compris les fondateurs de cette organisation, avaient vécu des années en exil au Rwanda après 1972.Le FRODEBU était fortement appuyé depuis sa création par le Président rwandais et son parti.Toutes choses qui ne pouvaient manquer d'influencer les responsables hutus du FRODEBU y compris au niveau local.

478.Une montagne de dépositions et autres éléments de preuve tendent à désigner certains militants et dirigeants hutus du FRODEBU, y compris au niveau des communes comme les instigateurs des massacres de Tutsis partout où la Commission a été conduite par son enquête.Quant à savoir si ceux?ci avait agi de leur propre chef ou s'ils obéissaient à des ordres ou à un plan préétabli, les éléments de preuve disponibles n'autorisent nullement à se prononcer.Aucune preuve directe ne permet de conclure dans un sens ou dans l'autre et les éléments de preuve indirecte peuvent être interprétés dans un sens comme dans l'autre.En effet, si d'une part, on peut en conclure que les responsables locaux avaient agi sur des ordres précédemment émis par leurs supérieurs, il n'est pas inconcevable d'autre part que les responsables en cause, ayant appris au terme d'une journée de tension indescriptible que le Président Ndadaye avait été tué et croyant leur gouvernement irrémédiablement condamné, aient entrepris de leur propre chef de massacrer les otages tutsis en différentes parties du pays.Entre l'exécution des otages et le massacre systématique des femmes et des enfants, il n'y avait qu'un petit pas à franchir.

479.On ne peut pas en dire autant des actes de prise d'otages qui, autant que la Commission ait pu en juger, constituent un phénomène sans précédent au Burundi, voire au Rwanda.Ces actes ont été perpétrés simultanément en différents endroits non reliés par le moindre moyen de communication.Ils étaient invariablement dirigés contre tout homme ou jeune tutsi quelle que soit son affiliation politique.Ils ont été perpétrés peu après que les militants et responsables locaux du FRODEBU ont appris la nouvelle du coup d'État militaire et de l'arrestation du Président et avant qu'ils aient pu savoir si le coup d'État avait réussi ou si le Président était encore en vie ou non.On ne peut pas croire qu'il se soit agi là d'un phénomène local spontané qui se serait produit en même temps en divers endroits.

480.Au surplus, il est impossible de trouver aux actes de prise d'otages une explication cohérente au niveau local proprement dit.Par définition, on prend des otages pour contraindre un adversaire à agir de telle ou telle façon.Un dirigeant local n'avait personne avec qui négocier.La cessation du coup d'État militaire ou la libération du Président Ndadaye ne pouvaient être négociées qu'à Bujumbura.À cette fin, seule une campagne de prise d'otages d'envergure menée en même temps sur toute l'étendue du territoire national pouvait offrir des pions aux fins de négociations.

481.Les massacres de Tutsis, loin de constituer uniquement une manifestation d'hostilité de la part d'un groupe politique ou ethnique contre un autre groupe étaient une tentative d'extermination totale de l'ethnie tutsie.Les Tutsis n'ont pas été massacrés dans un accès de violence, mais systématiquement traqués.Que l'on ait dans certains cas laissé la vie sauve à des femmes tutsies peut s'expliquer par le fait qu'au Burundi la femme ne perpétue pas l'ethnie car l'enfant appartient à l'ethnie de son père.Parfois, des Hutus ont été pris en otages en même temps que les Tutsis, mais il s'agissait uniquement de Hutus dont l'affiliation à l'UPRONA était notoire, alors que dans le cas des Tutsis l'affiliation politique était indifférente.La plupart des Hutus de l'UPRONA ont certes subi de graves sévices, mais ils n'ont pas été tués.Les dirigeants qui avaient donné le coup d'envoi des massacres ici ou là n'ont cessé, dans leur fuite, de les susciter dans les endroits qui en étaient encore épargnés.

482.Aux termes de l'article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le génocide s'entend du meurtre de membres d'un groupe ethnique commis dans l'intention de détruire ce groupe en tout ou en partie.Le fait que le Burundi n'ait pas ratifié cette convention est sans pertinence puisque ses dispositions font maintenant partie du droit international coutumier et ont valeur de jus cogens.

XI.CONCLUSIONS

483.La Commission estime que les éléments de preuve dont elle dispose suffisent à établir que des actes de génocide ont été perpétrés au Burundi contre la minorité tutsie le 21 octobre 1993 et les jours suivants à l'instigation et avec la participation de certains militants et responsables hutus du FRODEBU, y compris au niveau des communes.

484.La Commission estime que les éléments de preuve ne lui permettent pas de déterminer si ces actes avaient été planifiés ou ordonnés ou non par des dirigeants au niveau supérieur.

485.La Commission considère que, même si elle n'a pas recueilli de preuves — et on ne pouvait pas non plus attendre d'elle qu'elle en recueille vu les circonstances — de témoignages directs ni de preuves matérielles à l'appui, les éléments de preuve indirecte dont elle dispose l'autorise à conclure que certains membres haut placés du FRODEBU avaient planifié à l'avance une riposte face à l'éventualité bien réelle d'un coup d'État de l'armée, que cette riposte consistait notamment à barrer les routes et à armer les Hutus, à prendre en otages des hommes et des jeunes hommes tutsis et que ce plan avait été connu d'avance de certains membres locaux du FRODEBU occupant des postes de responsabilité, y compris au niveau des communes.

486.La Commission estime qu'il est établi que des éléments de l'armée et de la gendarmerie burundaises et des civils tutsis ont perpétré un massacre aveugle d'hommes, de femmes et d'enfants hutus. Si l'on n'a pas rapporté la preuve que la répression avait été planifiée ou ordonnée par les autorités centrales, il est constant que les autorités militaires à tous les échelons de la hiérarchie n'ont fait aucun effort pour prévenir, arrêter, réprimer de tels actes ou ouvrir une enquête sur ce sujet.La Commission considère que pour n'avoir pas agi, les autorités militaires en question voient leur responsabilité engagée vis?à?vis de ces actes.

487.La Commission estime que les éléments de preuve dont elle dispose ne lui permettent pas d'identifier nommément les individus qui doivent répondre des actes visés dans les présentes conclusions devant la justice.

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