IV.FIABILITÉ DES ÉlÉMENTS DE PREUVE
239.La Commission a dû tenir compte de plusieurs facteurs qui ont contribué au manque de fiabilité des éléments de preuve.
A.Loyauté ethnique
240.L'affrontement ethnique général qui sévit actuellement au Burundi ne se limite pas aux dirigeants politiques et militaires, mais pénètre dans chaque couche de la société.Cet affrontement est même encore plus accentué dans les camps et les collines des hauts plateaux du centre et du nord, où pratiquement chaque famille hutue et tutsie a perdu des membres à cause de la violence ethnique.Même les plus pauvres des cultivateurs des deux ethnies pensent que leur vie et celle des membres de leur famille dépendent de l'issue du combat.Les Tutsis des camps sont convaincus que si leur ethnie perd le monopole de la force armée, ils seront exterminés par leurs voisins, tandis que les cultivateurs hutus des collines sont pour leur part certains que, tant que ce monopole subsistera, ils courront le danger permanent de représailles aveugles et n'auront aucun espoir d'avoir un pouvoir effectif dans le domaine politique ou économique.Il n'est donc pas surprenant, dans ce climat, que les témoignages concernant les actes commis par les membres de l'une ou de l'autre ethnie aient été largement dénaturés, censurés ou fabriqués.
B.Temps écoulé
241.Pour les raisons indiquées dans l'introduction, le temps qui s'est écoulé depuis les événements a eu un effet négatif sur la fiabilité des témoignages.Cet effet a sensiblement plus marqué les témoins des zones rurales qui sont souvent illettrés.
C.Manipulation
242.La propagande de même que les activistes politiques, qui étaient présents à tous les niveaux et connaissaient le mandat de la Commission, ont sans aucun doute exercé une très forte influence sur les témoins.À plusieurs reprises, la Commission a pu constater que des listes de noms de personnes à incriminer étaient fournies aux témoins.Dans d'autres cas, des témoins du même camp ont mentionné des noms ou des événements identiques qui, comme on a pu le vérifier en les interrogeant, leur étaient inconnus.Ainsi qu'il a été dit, les chefs de camps étaient chargés la plupart du temps de présenter les témoins à la Commission et il leur était facile de produire un témoin ou de n'en pas produire.
D.Insécurité
243.Dans les conditions d'insécurité et d'impunité totales qui existent à l'heure actuelle au Burundi, on peut comprendre que les assurances données à la Commission en ce qui concerne la confidentialité des témoignages aient été accueillies avec scepticisme.Dans le cas des témoins qui ne pouvaient pas s'exprimer en français (pratiquement tous les cultivateurs des camps et des collines), la présence inévitable de deux interprètes burundais d'ethnie différente a sans aucun doute renforcé ce scepticisme.La Commission n'a eu aucun moyen d'offrir aux témoins une protection quelconque ni une immunité totale ou partielle en échange de leur coopération.Cette situation n'a nullement encouragé les témoins à faire preuve de franchise.
E.Caractéristiques culturelles
244.Il convient de se rappeler que dans leur grande majorité, les témoins des massacres et autres actes de violence étaient des cultivateurs pratiquant une agriculture de subsistance qui ne parlent que le kirundi.Nombre d'entre eux sont illettrés.Leur seule source d'information extérieure est généralement le bouche à oreille ou l'unique radio nationale (et parfois aussi la radio rwandaise et celle des rebelles).Pour leur part, les commissaires et les enquêteurs ignoraient le kirundi et n'avaient qu'une connaissance extrêmement superficielle de la culture et des us et coutumes du pays.La communication par le truchement des interprètes de l'élite éduquée, qui visait à franchir ce fossé culturel, a été pour le moins difficile et incertaine.Il faut ajouter le fait que, suivant toutes les sources nationales et étrangères, les Burundais présentent le trait caractéristique d'être fiers de pouvoir cacher leurs pensées et leurs sentiments.D'une manière générale, la franchise est considérée comme une faiblesse, tandis que la duplicité est socialement acceptée.En conséquence, les témoins ont décrit avec une impassibilité apparente les actes de violence les plus horribles (meurtres, viols, tortures, mutilations, etc.) qui ont été infligés à eux-mêmes ou à des membres de leur famille.
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