DEUXIÈME PARTIE : CONTEXTE GÉNÉRAL

 

                                                                                             I.  GÉOGRAPHIE

 

65.        Le Burundi jouxte le Rwanda au nord, la Tanzanie à l'est et au sud et le Zaïre à l'ouest; il est séparé de ce dernier par la rivière Rusizi au nord et le lac Tanganyika au sud.  Avec une superficie de 26 000 kilomètres carrés, c'est un des plus petits pays d'Afrique.  L'accès à l'océan Indien, situé à 1 200 kilomètres, se fait soit par bateau sur le lac Tanganyika puis en traversant la Tanzanie par chemin de fer, soit par la route, en traversant le Rwanda, l'Ouganda et le Kenya.

 

66.        Le Burundi comporte les régions naturelles suivantes : à l'ouest une plaine sur la rive occidentale de la rivière Rusizi, dénommée l'Imbo, et une bande étroite de largeur variable sur la rive orientale du lac Tanganyika, à une altitude d'environ 800 mètres, bordée à l'est par une chaîne montagneuse qui parcourt le pays du nord au sud et sépare les bassins du Nil et du Zaïre.  Cette chaîne s'appelle Mugamba et son versant occidental, Mirwa.  À l'est se trouve le plateau central, qui a la forme d'un triangle dont le sommet serait tourné vers le sud.  Son altitude varie entre 1 900 et 1 600 mètres, et il est couvert de collines abruptes séparées par des vallées marécageuses.  Ce paysage couvre à peu près les deux tiers du pays et s'étend jusqu'au Rwanda.  On y trouve les régions traditionnelles de Bugesera, Bweru, Kirimino, Bututsi et Buyogoma.  Au sud‑est, le plateau se termine par un escarpement suivi d'une plaine de forme allongée, le Kumoso, qui se situe à une altitude d'environ 1 300 mètres et qui s'étend jusqu'en Tanzanie.

 

                                                                                            II.  POPULATION

 

67.        La population du Burundi est estimée à plus de 6 millions d'habitants.  Sa densité — environ 250 habitants au kilomètre carré — est la plus forte d'Afrique.  Dans le centre et le nord du plateau central, elle dépasse en moyenne 400 habitants, presque exclusivement des ruraux, par kilomètre carré.

 

68.        Les estimations du taux d'accroissement de la population s'échelonnent entre 2,5 % et 3,5 % par an.  La population a presque triplé depuis que le pays a gagné son indépendance en 1962, date à laquelle elle était estimée à 2 300 000 habitants.

 

69.        La langue nationale est le Kirundi, que parlent tous les Burundais.  Le français est également une langue officielle, mais seuls les Burundais instruits le parlent couramment.  La population rurale parle uniquement le Kirundi, de même qu'une grande partie de la population urbaine.  De nombreux citadins parlent également le swahili.

 


70.        Bien qu'il n'existe pas de données fiables, on estime qu'environ 85 % de la population est hutue et 15 % tutsie.  Un troisième groupe, les Twas, représente moins de 1 %.  Ces groupes sont souvent appelés "groupes ethniques" bien qu'ils partagent la même culture, la même histoire et la même langue (le Kirundi, une langue du groupe bantou presque identique à celle parlée au Rwanda) et qu'aucune caractéristique physique ou autre ne permette de distinguer sans se tromper, même si on est soi-même burundais.  Un individu appartient au même groupe ethnique que son père.  Traditionnellement, les mariages mixtes entre Hutus et Tutsis ont toujours été courants.

 

71.        Presque 95 % de la population est rurale.  La population actuelle de la capitale, Bujumbura, est difficile à estimer.  En 1993, elle s'élevait à environ 250 000 habitants, soit à peu près 80 % de la population urbaine du pays.  La deuxième ville est Gitega, avec une population d'environ 15 000 habitants; la troisième, Ngozi, en compte approximativement 8 000.  Les autres chefs lieux de provinces ne sont guère plus que des villages.

 

72.        La population rurale est dispersée, chaque famille étant propriétaire de son lopin de terre, ce qui fait que sauf sur la rive des lacs et à l'exception des chefs lieux de provinces, il n'y a pratiquement ni villes ni villages.

 

III.  ORGANISATION ADMINISTRATIVE

 

73.        Le Burundi est une République parlementaire, où le pouvoir est partagé par un Président élu et un Premier Ministre désigné par le Parlement.  Le pays est divisé en 15 provinces, à la tête de chacune desquelles est nommé un gouverneur.  Chaque province est divisée en communes, dirigées par des "administrateurs communaux", et chaque zone en "collines", dirigées par un "chef de colline".  La "colline de recensement", malgré son nom, ne correspond pas nécessairement à une colline.  Elle peut en comprendre deux ou plusieurs, qu'on appelle alors "sous‑collines", ou bien d'importantes étendues de terrain plat.

 

                                                                                              IV.  ÉCONOMIE

 

74.        En 1993, le produit national brut du Burundi était estimé à 230 milliards de francs burundais (environ 1,1 milliard de dollars des États-Unis).  Le revenu par habitant, estimé à 180 dollars des États-Unis, était l'un des plus faibles d'Afrique.  Le principal produit d'exportation est le café, dont le Burundi exporte aux alentours de 40 000 tonnes les meilleures années.  La production de café est en déclin, pour cause de troubles internes et de surpeuplement.  Les seules autres sources notables de devises sont les envois de fonds de Burundais vivant à l'étranger, l'aide extérieure et les dépenses d'administration locales de gouvernements étrangers et d'organisations internationales et non gouvernementales.  En 1993, la valeur des exportations était de 67 millions de dollars des États-Unis, et celle des importations de 211 millions.  La dette extérieure du Burundi a augmenté de 40 millions de dollars pour atteindre 1 064 millions de dollars.

 


75.        La moitié environ du produit national brut provient de l'agriculture, ce taux étant l'un des plus élevés au monde.  L'essentiel de la production agricole sert à assurer la subsistance des agriculteurs eux-mêmes.  La superficie moyenne des exploitations rurales, qui était d'environ 1,5 hectare au moment de l'indépendance, en 1962, est aujourd'hui inférieure à 0,80 hectare.

 

76.        Hormis la région de l'Imbo et les hauts plateaux méridionaux, le Burundi compte peu de grands pâturages.  L'élevage du bétail constitue rarement la source unique, ou même principale, de subsistance des familles rurales.

 

77.        Même avant la crise actuelle, et le profond marasme où elle les a plongées, les activités industrielles et minières fournissaient moins d'un cinquième du produit national brut.

 

                                                                                                V.  HISTOIRE

 

78.        Lors de la conquête allemande, en 1893, le Burundi était un royaume unifié et indépendant qui s'étendait sur les hauts plateaux du centre.  La caste régnante, les Baganwa, était placée au-dessus tout à la fois des Hutus et des Tutsis et se réclamait d'un lignage mixte.  Sous le Roi et les autres Baganwa, des Hutus comme des Tutsis exerçaient des fonctions d'influence et de prestige.  Les annales de la période précoloniale ne font état d'aucun massacre ethnique.  L'autorité judiciaire était exercée par le Roi lui-même, par les chefs locaux désignés par lui et par des sages nommés par consensus sur chaque colline, les Bashinganhaye.

 

79.        Sous l'occupation coloniale allemande, qui a pris fin en 1916, puis sous le mandat belge, le pays était formellement gouverné par l'entremise du Roi (administration indirecte).  Dans les dernières années du mandat, le Roi n'était plus qu'un symbole.  L'administration coloniale était généralement favorable aux Tutsis, désavantageant ainsi les Hutus et accentuant la différenciation sociale et économique entre les deux groupes.  Les Belges ont instauré une administration commune pour le Burundi et le Rwanda siégeant à Bujumbura.  Jusqu'à l'indépendance, les Burundais et les Rwandais étaient tous deux minoritaires à Bujumbura.

 

80.        La fin du mandat approchant, le Prince Louis Rwagasore, fils aîné du Roi, a fondé un parti politique multiethnique, l'Union pour le progrès national ou UPRONA, en prenant pour modèles les autres mouvements de libération nationale de l'Afrique.  Les autorités belges favorisaient un parti concurrent, plus docile, le Parti démocratique chrétien ou PDC, dirigé par une branche rivale de la famille royale.  Aux élections nationales qui devaient déboucher sur l'indépendance du pays, l'UPRONA a remporté une victoire écrasante.  Peu de temps après, le Prince Rwagasore était assassiné à l'instigation des dirigeants du PDC.  Un premier ministre tutsi membre de l'UPRONA, André Muhirwa, a dirigé le premier gouvernement du Burundi indépendant, qui est devenu une monarchie constitutionnelle.

 


81.        Pour comprendre l'évolution politique du Burundi après l'indépendance, il faut connaître celle parallèle de son jumeau, le Rwanda.  Les deux pays partagent en effet la même culture, pratiquement la même langue et la même composition "ethnique".  Ils ont à peu près la même superficie, la même population et les mêmes caractéristiques géographiques, à cette différence près qu'au Rwanda, la famille royale et la noblesse étaient tutsies.  Les Tutsis détenaient depuis des siècles le monopole du pouvoir.  Lors de la conquête allemande, le Rwanda était une monarchie unifiée et indépendante depuis plus longtemps que le Burundi.

 

82.        Pour contrer la pression des Tutsis, qui réclamaient une indépendance conforme à leurs propres desiderata, les Belges ont favorisé un soulèvement hutu au Rwanda, en 1959, qui a abouti à la proclamation de l'état d'urgence et à la fin effective de la suprématie tutsie.  Le Rwanda a accédé à l'indépendance en 1962, sous un gouvernement hutu élu, dirigé par Grégoire Kayibanda.  Les Tutsis n'exerçaient plus aucun pouvoir politique réel.  En décembre de l'année suivante, pour la première fois dans les anales de l'histoire rwandaise, quelque 20 000 Tutsis ont été massacrés par des Hutus et de nombreux Tutsis ont pris le chemin de l'exil.  Persécutions et exil resteront le lot des Tutsis pendant les années qui ont suivi.  La plupart des exilés se sont rendus en Ouganda, mais nombreux sont ceux qui se sont installés au Burundi et dans d'autres pays.

 

83.        Au Burundi, la lutte politique a pris un tour de plus en plus ethnique.  En 1965, les élections législatives ont donné aux Hutus une majorité de plus des deux tiers au Parlement mais, les Tutsis s'étant opposés à la désignation d'un premier ministre hutu, le Roi a nommé un membre de la famille royale chef du Gouvernement.  La même année, des officiers hutus ont fait une tentative de coup d'État et une milice de jeunes Hutus a massacré des familles tutsies dans deux localités de la province de Muramvya.  Ce premier massacre ethnique a fait près de 500 victimes.  L'armée, sous le commandement du capitaine Michel Micombero, officier tutsi du clan des Hima dans la province de Bururi, a mené une répression ethnique sanglante, avec le concours de milices tutsies.  Plusieurs milliers de Hutus ont péri et une purge a chassé les Hutus de la plupart des postes de pouvoir.

 

84.        En 1966, Micombero a renversé la monarchie pour assumer la totalité du pouvoir.  Il a placé au sein de l'armée — à la base comme dans la hiérarchie — un grand nombre de Tutsis membres de son propre clan, et cette situation perdure aujourd'hui encore.  Seul parti légal, l'UPRONA a certes conservé son apparence biethnique mais il n'était plus qu'un simple instrument entre les mains de la dictature militaire.

 

85.        En avril 1972, des Hutus formés à l'étranger ont perpétré un massacre de plusieurs milliers de Tutsis, hommes, femmes et enfants, dans la région bordant le lac Tanganyika, dans le sud du pays, tandis que d'autres groupes armés tentaient d'attaquer Bujumbura, Gitega et Cankuso.  Le régime de Micombero a répondu par une répression génocidaire qui aurait fait plus de 100 000 victimes et contraint à l'exil plusieurs centaines de milliers de Hutus.  Les Hutus ayant le moindre niveau d'instruction qui n'avaient pas réussi à s'enfuir à l'étranger ont été systématiquement tués partout dans le pays, y compris des lycéens.  Cette répression, qui s'est poursuivie pendant des mois, a été dénoncée devant les Nations Unies par le Gouvernement rwandais.  Au Rwanda, la persécution des Tutsis s'est accentuée et, l'année suivante, un coup d'État a débouché sur la dictature militaire de Juvénal Habyarimana, qui devait diriger le pays jusqu'à sa mort en 1994.  Son régime a poursuivi les pogroms antitutsis, et les Tutsis ont continué de fuir le pays par milliers.

 


86.        Conséquence de la répression au Burundi, les Hutus ont été privés de tout pouvoir politique effectif, dans ce pays, y compris au plan local.  Aucun changement notable n'est intervenu à cet égard sous la dictature de Jean‑Baptiste Bagaza, autre officier tutsi du clan des Hima, qui a renversé Micombero en 1976 et, comme son prédécesseur, a dirigé un gouvernement de parti unique qui s'appuyait sur le bloc des pays de l'Est.  Cela dit, aucun massacre ethnique n'a été perpétré sous son règne.

 

87.        Bagaza a été à son tour renversé en 1987, par encore un autre officier tutsi du clan des Hima, Pierre Buyoya.  Hormis ses choix de politique internationale, le régime de Buyoya n'était pas au départ fondamentalement différent de celui de ses prédécesseurs.  En 1988, des Hutus ont massacré plusieurs centaines de Tutsis à Ntega et Marangara, deux communes situées à la frontière avec le Rwanda, dans ce qui est aujourd'hui la province septentrionale de Kirundo.  L'armée a réagi par une répression brutale et aveugle.  Plusieurs milliers de Hutus ont été tués et des dizaines de milliers se sont réfugiés au Rwanda.  La réaction internationale suscitée par cette répression a conduit Buyoya à libéraliser son régime et à permettre une certaine participation politique des Hutus, sans pour autant modifier le système du parti unique.  Un premier ministre hutu a été nommé et de nombreux Hutus ont occupé des postes importants, y compris des postes de ministre et de gouverneur de province.

 

88.        Au Rwanda, en 1990, un groupe armé composé essentiellement de Tutsis exilés venus d'Ouganda, le Front patriotique rwandais ou FPR, a tenté d'envahir le pays.  Cette invasion a été repoussée, avec le concours de troupes françaises, belges et zaïroises, mais le FPR a lancé dans le nord du Rwanda une véritable guerre de guérilla qui lui a permis de contrôler une partie du territoire et qui a relancé la persécution des Tutsis par le régime de Habyarimana.

 

89.        Au Burundi, alors que le processus de libéralisation suivait son cours, un parti hutu clandestin, le Parti pour la libération du peuple hutu ou PALIPEHUTU, a attaqué des postes de l'armée et des civils tutsis dans la province de Cibitoke, frontalière à la fois du Rwanda et du Zaïre, et dans celles de Bubanza et de Bujumbura, frontalières du Zaïre.  Plusieurs centaines de personnes ont été tuées.  La répression qui a suivi, et qui a fait des centaines sinon des milliers de morts parmi les Hutus, fut toutefois moins aveugle que dans les précédentes.

 

90.        Cette résurgence de la violence n'a pas interrompu le processus de réconciliation ethnique.  Encouragé et soutenu par les pays occidentaux, au milieu de la vague de démocratisation qui a suivi la fin de la guerre froide, Buyoya a autorisé la mise en route d'un processus électoral libre et multipartite que sont venues couronner les élections de 1993.  Des Hutus éduqués qui avaient survécu au massacre de 1972 et avaient passé plusieurs années en exile au Rwanda, associés à un petit nombre de Tutsis, ont fondé le Front pour la démocratie au Burundi ou FRODEBU, auquel quelques Tutsis, tout aussi peu nombreux, ont adhéré et qui a rapidement acquis le soutien de la majorité hutue.  Le candidat du FRODEBU, Melchior Ndadaye, un Hutu, a remporté les élections avec 65 % des suffrages.  Aux élections parlementaires organisées peu de temps après, les candidats du FRODEBU ont obtenu 71 % des suffrages.  Le parlement issu de ces élections comprenait 69 Hutus et 12 Tutsis, dont huit membres du FRODEBU, qui a remporté 65 des 81 sièges.

 


91.        Pendant que ce processus électoral se déroulait au Burundi, au Rwanda, le Gouvernement et le FPR sont convenus d'un cessez-le-feu en février et des négociations se sont engagées en vue de la mise en place d'un gouvernement biethnique d'unité nationale.

 

                                                                  VI.  LA PRÉSIDENCE DE MELCHIOR NDADAYE

 

92.        Après avoir réprimé une tentative de coup d'État menée par des officiers de l'armée, le 3 juillet 1993, Ndadaye a pris ses fonctions le 10 du même mois.  Il a nommé premier ministre une Tutsie membre de l'UPRONA, Sylvie Kinigi, et a accordé le tiers des portefeuilles ministériels à l'UPRONA.  Des Tutsis, membres du FRODEBU ou de l'UPRONA, détenaient le tiers des postes ministériels.  Deux membres de l'UPRONA ont été désignés gouverneurs de province.

 

93.        Pendant les trois mois qu'a durés la présidence Ndadaye, une harmonie et une prospérité sans précédent ont régné dans le pays.  Quelques facteurs de tension sont néanmoins apparus :

 

a)         Les médias profitaient souvent de leur liberté acquise de fraîche date pour tenir des propos incendiaires aux fâcheux effets sur une population peu habituée au débat public;

 

b)         Certains marchés et concessions approuvés par le Gouvernement précédent ont été remis en question, lésant ainsi de puissants intérêts économiques étroitement liés à l'élite tutsie et à l'armée;

 

c)         À l'échelon des communes et des collines, la prise de pouvoir par les nouvelles autorités liées au FRODEBU a été quasi totale sur l'ensemble du territoire;

 

d)         Des milliers de Hutus qui avaient pris le chemin de l'exil après 1972 ont commencé à rentrer chez eux et à exiger que leurs terres leurs soient rendues.  Le Président Ndadaye a certes proposé qu'ils soient réinstallés dans des zones périphériques mais, dans les faits, les autorités locales ont procédé à de nombreuses expulsions.  Le Burundi étant ce qu'il est, les familles expulsées se sont retrouvées sans moyens de subsistance;

 

e)         Mais le facteur le plus important tient au fait que certains changements ont touché l'institution militaire.  La gendarmerie, corps militaire à part entière relevant du même commandement que l'armée et ayant la même composition ethnique, a été dotée d'un commandement distinct.  Des changements ont été apportés aux critères d'admission à certains établissements de formation de l'armée et de la police, faisant craindre à l'armée que le recrutement annuel de soldats prévu pour novembre soit fait dans de nouvelles conditions qui pourraient affaiblir la domination tutsie, voire y mettre fin.

 

94.        Le jeudi 21 octobre 1993, un coup d'État militaire avait lieu à Bujumbura au cours duquel le Président Ndadaye a été assassiné.  On trouvera une description détaillée de ces événements dans la partie pertinente du présent rapport.

 


                                                          VII.  LES ÉVÉNEMENTS QUI ONT SUIVI L'ASSASSINAT

 

95.        Dans la journée du jeudi 21 octobre, les membres du Gouvernement qui avaient survécu se sont réfugiés dans des ambassades de pays étrangers ou sont entrés dans la clandestinité.

 

96.        Vers 14 heures ce jour-là, un "comité de gestion de la crise" a été constitué au quartier général de l'armée.  Cet organe était présidé par François Ngeze, député hutu membre de l'UPRONA et ex‑ministre de l'intérieur du gouvernement Buyoya, le lieutenant-colonel Jean Bikomagu, chef d'état-major de l'armée et deux autres lieutenants-colonels, Pascal Simbanduku et Jean‑Bosco Daradangwe.  Le lieutenant-colonel Sylvestre Ningaba, qui avait été libéré de prison, les a rejoints par la suite.  Le Comité a ordonné aux commandants militaires dans les provinces d'arrêter les gouverneurs et de les remplacer, a replacé la gendarmerie sous le commandement de l'armée et a convoqué les dirigeants politiques et les diplomates étrangers pour "examiner les moyens de gérer la crise".  À 21 heures, Ngeze, se présentant comme le président d'un fantomatique "Conseil national de salut public", a annoncé un certain nombre de mesures en vue de "gérer la crise", entre autres le remplacement des gouverneurs.

 

97.        Radio Rwanda a annoncé le coup d'État et l'arrestation du Président tôt dans la matinée du jeudi 21 octobre.  Le même jour, presque partout dans le pays, des arbres ont été abattus et des ponts coupés pour bloquer les routes.  En de nombreux endroits, des Tutsis, jeunes gens et hommes adultes, ainsi que quelques Hutus membres de l'UPRONA ont été rassemblés et pris en otages.  Dans la soirée, l'assassinat des otages a commencé.

 

98.        En début de soirée, Radio Rwanda a annoncé la mort du Président Ndadaye.  Jean Minani, le Ministre burundais de la santé, qui se trouvait alors à Kigali, s'est adressé au peuple burundais sur les mêmes ondes pour l'exhorter à résister au coup d'État.

 

99.        Vendredi et samedi, parallèlement aux tentatives de négociation entre le Comité et les membres du Gouvernement qui s'étaient réfugiés dans les ambassades, le massacre des otages s'est poursuivi et a pris de l'ampleur, au point que des familles tutsies entières étaient abattues, en même temps que l'armée réprimait les Hutus en dégageant progressivement les routes.

 

100.     Dans la soirée du samedi 23, la réinstallation du Gouvernement civil a été annoncée et, le lendemain, les autorités, en collaboration avec les deux partis politiques et l'armée, ont tenté de mettre fin au carnage dans le pays.  Le Gouvernement siégeait d'abord dans des bureaux de l'ambassade de France puis, pendant quelque temps, dans un hôtel de tourisme.  À l'issue de longues négociations, Cyprien Ntaryamira, Hutu membre du FRODEBU, a été élu Président par l'Assemblée et a nommé comme Premier Ministre un Tutsi membre de l'UPRONA.  L'opposition détenait 40 % des portefeuilles ministériels.  Alors qu'une paix relative régnait à l'intérieur du pays, de violents affrontements interethniques ont éclaté à Bujumbura, qui avait été épargnée pendant les journées qui ont suivi l'assassinat de Ndadaye.

 


101.     Le 6 avril 1994, le Président Ntaryamira périssait dans un accident d'avion à Kigali, en même temps que le Président rwandais Habyarimana.

 

102.     Au Rwanda, les Tutsis ont été victimes d'un génocide systématique au cours duquel plus d'un demi-million de personnes ont perdu la vie.  Le FPR a repris son offensive militaire et a occupé Kigali en juillet 1994.  Plus d'un million de Hutus, dont les militaires et les membres des milices armées qui avaient participé au génocide, ont franchi la frontière pour se réfugier au Zaïre.

 

103.     Au Burundi, le Président de l'Assemblée, Sylvestre Ntibantunganya, Hutu membre du FRODEBU, a pris la présidence et a maintenu le gouvernement de coalition bipartite constitué par son prédécesseur.  Les négociations entre les partis se sont poursuivies, avec l'encouragement des Nations Unies, et ont abouti à l'adoption, le 10 septembre 1994, d'un pacte, dit "convention de gouvernement", qui prévoyait un partage du pouvoir entre les deux principaux partis politiques pour le restant du mandat présidentiel.

 

104.     La conclusion de ce pacte n'a cependant pas empêché une détérioration progressive de la situation.  Certaines factions tutsies, notamment le PARENA ("Parti pour le redressement national") de l'ex-Président Bagaza, ont refusé de s'y associer, tandis qu'une branche du FRODEBU, conduite par Léonard Nyangoma, un Hutu, l'a rejeté et a créé un organisme rival, le Conseil national de défense de la démocratie ou CNDD.  À la suite de violences commises par de jeunes miliciens tutsis, et tolérées sinon activement soutenues par les forces armées, de violents affrontements interethniques ont éclaté à Bujumbura et ont conduit à l'expulsion de la quasi totalité de la population hutue de la ville.  Dans l'intérieur du pays, les survivants tutsis des massacres sont restés dans des camps où leurs conditions de vie étaient très difficiles, sans pouvoir regagner leurs foyers.  Les Forces de défense de la démocratie (FDD), bras armé du CNDD, ont entamé une guérilla visant tant les soldats que les civils tutsis.  L'armée a réagi par une répression souvent aveugle.  La crise économique s'est approfondie.