En date du 28 Août 2012, le Ministre de la Jeunesse des Sport et de la Culture, M. Jean-Jacques Nyenimigabo a accordé une interview à la radio au cours de laquelle il a déclaré que le Gouvernement du Burundi envisage d’engager des avocats pour plaider en sa faveur dans le procès l’opposant à la princesse Esther Kamatari, nièce de Mwambutsa IV.
Le Burundi veut que l’ancien roi soit enterré au Burundi, dans la dignité que lui confère en tant qu’ancien chef d’Etat burundais, a-t-il rappelé au cours d’une conférence de presse.
M. Nyenimigabo a indiqué qu’il est inacceptable d’apprendre qu’un monarque burundais ayant régné sur le Burundi durant environ un demi-siècle (1915-1966) court le risque d’être incinéré en terre étrangère en 2017, année à laquelle est prévue la désaffectation du cimetière suisse où il a été inhumé en 1977.
Selon lui, le monarque burundais doit être inhumé avec les honneurs dus à son rang dans son ancien palais de Muramvya (centre du Burundi), réhabilité pour en faire un musée.
1. L’Etat du Burundi n’est pas partie au procès que la Princesse Esther Kamatari a engagé contre dame Collette Berete Uwimana.
Dans la cause qui a été entendue en audience du 10 Juillet 2012 par le Tribunal de première instance du Canton de Genève sous la référence C/9976/2012-1 SP, la partie demanderesse (ou requérante) était constituée de la Princesse Esther Kamatari et la partie défenderesse (ou la citée) était constituée de Mme Colette Berete Uwimana.
La partie demanderesse était représentée par son Avocat, Maître Vincent Spira (Ancien Bâtonnier) et la partie défenderesse a comparue en personne.
La raison de la comparution en personne de la partie défenderesse (citée) est que le Tribunal de première instance a décliné le mémoire-réponse introduit par Mme Elisa Mukerabirori qui assure actuellement les fonctions d’Attaché Juridique auprès de l’Ambassade du Burundi en Suisse.
Mme Elisa Mukerabirori s’est prévalue de son ancienne profession d’Avocat qu’elle a exercé au Burundi pour pouvoir obtenir le droit de représenter la défenderesse dans la cause en présence. Elle a donc introduit ses conclusions pour le compte de la défenderesse sans avoir préalablement demandé à la Cour la permission de représenter la défenderesse.
Le Tribunal a rejeté les conclusions introduites par Mme Elisa Mukerabirori d’abord parce qu’elle n’était pas régulièrement inscrite sur le registre des Avocats en Suisse pour valablement représenter une citoyenne résidant régulièrement en Suisse. N’étant non plus régulièrement inscrite sur le registre des Avocats du Barreau du Burundi, elle n’avait aucune qualité pour introduire une requête auprès du même Tribunal aux fins de représenter Mme Collette Berete Uwimana. Par ailleurs, le Tribunal a estimé que l’Etat du Burundi n’étant pas cité dans la cause de céans, Mme Elisa Mukerabirori qui est fonctionnaire au sein de l’Ambassade, ne pouvait se prévaloir d’aucune qualité et d’aucun intérêt à représenter l’Etat du Burundi (et par conséquent l’Ambassade du Burundi) dans une même cause où l’Etat du Burundi n’a jamais été cité.
Par contre, le Tribunal a quand même accepté lors de l’audience de recevoir le mémoire-réponse signé par Mme Collette Berete Uwimana et ses déclarations orales.
En déclarant que l’Etat du Burundi envisage engager des Avocats dans le procès qui l’oppose contre la Princesse Esther Kamatari, M. Nyenimigabo a fait une déclaration fausse et grossière. La Princesse Esther Kamatari n’a jusqu’à présent pas engagé de procès contre l’Etat du Burundi et par conséquent le Ministre Nyenimigabo n’a pas le droit de faire une déclaration mensongère dont l’objet est de désinformer l’opinion nationale et internationale et de causer un préjudice moral certain contre les personnes engagées dans ce procès.
2. L’Etat du Burundi ne peut pas introduire un appel d’un jugement auquel il n’est pas partie.
Je comprends bien que l’Etat du Burundi représenté par le Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture vient d’exprimer officiellement à travers la radio que son Gouvernement est fortement impliqué dans la cause concernant le retour de la dépouille du Roi Mwambutsa IV.
Le Ministre ne pouvait pas faire une annonce publique que le Gouvernement du Burundi envisage faire appel du jugement lorsque le Gouvernement en question n’a jamais été mis en cause dans le procès que le Tribunal de première instance a jugé lors du 8 Août 2012.
Il y a donc dans ce dossier une manifeste volonté de désinformer l’opinion publique Burundaise. Non seulement l’Etat du Burundi n’a jamais été partie au procès concernant le retour de la dépouille mortelle mais en plus l’Etat du Burundi ne peut pas faire appel d’un jugement auquel il n’est pas partie.
Ce principe est strictement respecté devant les juridictions burundaises et je ne comprends pas pourquoi le Ministre peut-il penser que ce principe ne serait pas applicable en Suisse.
3. Les délais d’appel pour le cas du jugement rendu par le Tribunal de première instance risquent d’être largement dépassés.
Le Tribunal de première instance du Canton de Genève a rendu son jugement dans une Ordonnance du 8 Août 2012 sous référence OTPI/862/12.
L’ordonnance a été signifiée à l’Avocat de la partie demanderesse qui l’a reçu le 10 Août 2012. La même Ordonnance a été signifiée directement au domicile de la partie citée qui doit l’avoir reçu au courant du 10 Août 2012. L’Ordonnance elle-même stipule que celle-ci est communiquée pour notification aux parties et à l’entreprise A. MURITH SA par le greffe le 09 Août 2012.
D’après l’article 308 du Code de procédure Civil Suisse, la présente décision peut faire l’objet d’un appel par devant la Cour de Justice dans les 10 jours qui suivent sa notification. Par ailleurs, la suspension des délais légaux prévue par l’article 145 al.1 CPC ne s’applique pas.
Si donc la partie défenderesse a été notifiée le 09 Août 2012, elle n’avait que jusqu’ au 19 Août 2012 pour interjeter appel de ce jugement.
Le Ministre Jean-Jacques Nyenimigabo ne pouvait pas faire une déclaration en date du 27 Août 2012 dans laquelle il exprimait la volonté du Gouvernement de faire appel de ce jugement. Soit le Gouvernement a déjà fait appel par l’entremise de Mme Collette Berete Uwimana, qui est la seule partie mise en cause dans ce procès, et à ce moment la déclaration du Ministre aurait dû être plus précise : le Gouvernement ne peux pas exprimer une intention de faire appel lorsque les délais pour faire appel ont été largement dépassés.
4. Le mensonge concernant les risques d’incinération de la dépouille du Roi et concernant la désaffectation du cimetière de Meyrin à Genève.
Aucune information officielle provenant de la Commune de Meyrin n’a fait état d’un projet de désaffectation du cimetière de Meyrin à Genève ou encore moins d’un projet d’incinérer les corps ou les restes des dépouilles de ceux qui sont enterrés actuellement dans ce cimetière.
Ces informations sont fausses et dépourvues de tout fondement. Il est regrettable qu’un membre du Gouvernement du Burundi accepte de diffuser des informations qui n’ont aucun fondement matériel.
Si ces informations avaient un fondement quelconque, Mme Collette Berete Uwimana aurait au moins eu le courage de mentionner cet élément dans sa défense. Le mémoire-réponse qu’elle a soumise ne fait aucune mention de cet élément. Le seul élément que la défenderesse a invoqué dans sa défense est le fait que le transfert de la dépouille mortelle contribuerait à renforcer la cohésion nationale au Burundi.
5. L’Etat du Burundi ne pourrait engager un nouveau procès sur le rapatriement de la dépouille mortelle du Roi devant les juridictions Helvétiques.
Toute tentative de la part de l’Etat du Burundi de vouloir introduire un nouveau procès sur une matière qui a déjà fait l’objet d’un litige sur lequel une juridiction a déjà rendu un jugement coulé en force de chose jugée sera vaine et déclarée irrecevable.
L’article 59 al.1 et 2(a et e) et 60 du CPC Suisse sont pertinents en la matière : « 1. Le tribunal n’entre en matière que sur les demandes et requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action. 2. Ces conditions sont notamment les suivantes : a. le demandeur ou le requérant a un intérêt digne de protection ; b. le tribunal est compétent en raison de la matière et du lieu ; c. les parties ont la capacité d’être partie et d’ester en justice ; d. le litige ne fait l’objet d’une litispendance préexistent ; e. le litige ne fait pas l’objet d’une décision entrée en force ; f. les avances et les sûretés en garantie des frais de procès ont été versées. »
Non seulement l’Etat du Burundi devra satisfaire la première condition de prouver qu’il a un intérêt digne de protection, c’est-à-dire qu’il doit démontrer que l’intérêt d’organiser le transfert de la dépouille mortelle du Roi au Burundi et de l’enterrer à Muramvya constituent des intérêts légitimes d’un Etat Républicain, trente-cinq ans après le décès du Roi Mwambutsa IV. En plus, doit-il satisfaire la condition que le litige ne fait pas l’objet d’une décision entrée en force. La matière, objet du litige, a déjà fait l’objet d’un débat et de production de mémoire et enfin d’un jugement coulé en force de chose jugée. Toute action introduite devant une Juridiction en Suisse concernant la même matière présente tous les risques d’être déclarée irrecevable puisque l’article 60 du CPC stipule que le tribunal examine d’office si les conditions de recevabilité sont remplies.
En conclusion, la partie défenderesse n’aura même pas le devoir de soulever les conditions de recevabilité d’une telle action introduite par l’Etat du Burundi puisque le tribunal lui-même peut déclarer l’action irrecevable si une et une seule des conditions mentionnées à l’article 59 du CPC est satisfaite.
Il me serait difficile dans la présente affaire d’évaluer à quel niveau il faudrait établir la responsabilité de la personne qui manipule l’information afin que le public Burundais et internationale soit désinformée sur ce dossier.
Il est probable que l’Ambassade du Burundi en Suisse n’ait pas transmis d’une manière transparente et objective tous les éléments de cette affaire au Ministère des Relations Extérieures et de la Coopération. Il est aussi probable que l’Ambassade ait exercé sa mission d’information dans le strict respect de la déontologie diplomatique. De toutes les manières, la responsabilité d’une fausse information concernant ce litige incomberait en définitive au Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Le peuple Burundais et l’opinion internationale ont le droit d’être informé d’une manière objective.
Finalement, le Ministre Nyenimigabo devrait peser ses mots dans la mesure où chaque fausse et grossière déclaration faite à travers les medias est susceptible d’alourdir la responsabilité civile de l’Etat du Burundi parce que ces allégations mensongères sont de nature à causer un préjudice moral en affectant la santé psychique et morale des personnes engagées dans ce procès.
Pacelli Ndikumana, sé