Faut-il se réjouir du récent « conclave burundais » organisé par M. Parfait Onanga-Anyanga, Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies au Burundi ?
Non, si on considère que le Burundi s’est mis, encore une fois, sous la tutelle de la communauté internationale. Certes le gouvernement a donné son accord pour que cet atelier soit organisé. Mais il a fait la moue et a tenté d’en minimiser l’importance et la portée. Par contre, l’opposition se réjouissait de l’opportunité qui lui était offerte pour sortir de l’impasse politique dans lequel elle s’était enfermée depuis 2010.
Cet atelier a été organisé, hasard du calendrier ou non, juste après la prolongation de la mission du BNUB par le Conseil de Sécurité. Cette prolongation a aussi froissé quelques susceptibilités gouvernementales.
Oui, il faut se réjouir que cet atelier ait été organisé car la communauté internationale s’est enfin rendue à l’évidence. En effet, ce n’est pas le moment de lâcher le Burundi. Surtout pas à la veille de l’échéance cruciale des élections de 2015. Car, à Bujumbura, les vieux démons de la violence ne dorment que d’un œil.
« Timeo Danaos et dona ferentes ! ».
Même si les Nations Unies sont « des amies » du Burundi « qui ne veulent que du bien à ce pays », il faut néanmoins se rendre à l’évidence. Le pays est de nouveau sous la tutelle « bienveillante » de la diplomatie internationale. Le conclave de la classe politique burundaise, baptisé modestement « atelier » fait penser à une mise en garde d’un polémiste romain qui déclarait, traduction du sous-titre en latin de ce paragraphe : « Je redoute les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux »
M. Ahmedou Ould Abdallah, le prédécesseur de M. Parfait Onanga-Anyanga, en poste au Burundi entre novembre 1993 et octobre 1995, a écrit, dans un livre « La diplomatie pyromane » une opinion qui fait écho à cet adage latin. « Je suis convaincu qu’une forte présence étrangère exacerbe les tensions dans les pays en crise et, loin de les résoudre, pérennise et multiplie les problèmes. »
Faut-il donc considérer que l’atelier organisé par les Nations Unies afin de favoriser « le dialogue » et /ou « la négociation » entre le gouvernement et l’opposition constitue un cadeau empoisonné ? Certainement pas.
Responsabilités partagées
Le rapatriement du processus d’Arusha, sans tambours ni trompettes, sans Nyerere ni Mandela et sans la cohorte des organisations parasites qui se sont improvisées « médiatrices », aurait pu et aurait du être organisé depuis plusieurs mois par les acteurs politiques burundais eux-mêmes. Sans attendre que la diplomatie internationale les y pousse. A l’inverse, depuis les élections de 2010, la classe politique burundaise s’est enfermée dans un dialogue de sourds et a privilégié la rigidité politique. Afin de résoudre le conflit postélectoral, l’opposition réclamait la négociation et le pouvoir n’envisageait qu’un hypothétique dialogue. Ainsi, la classe politique burundaise a fait preuve d’une irresponsabilité partagée qui a aboutit à la perte d’initiative et à l’intervention de la communauté internationale, effrayée par tous les indices qui montraient que le Burundi allait droit dans le mur.
La responsabilité du blocage institutionnel est partagée entre le gouvernement et l’opposition car, de son côté, le gouvernement a organisé un verrouillage systématique de l’appareil de l’Etat, a instauré un monopartisme de fait et a organisé la fameuse « nyakurisation des partis politiques. » Outre la fragmentation des partis d’opposition, les assassinats politiques récurrents, la corruption, la paupérisation galopante des couches populaires et de la classe moyenne fragilisent considérablement la démocratie burundaise. Même si celle-ci a fait des progrès indéniables depuis 2005. Ces facteurs négatifs, constituent, en réalité, des éléments annonciateurs qui ne peuvent que conduire à l’instabilité politique, voire à la guerre civile. Ils pourraient rendre impossible, en 2015, la tenue d’élections apaisées, transparentes et crédibles.
Du côté de l’opposition, les partis regroupés au sein de l’ADC-Ikibiri, se sont imprudemment retirés du processus électoral de 2010, ont abandonné leurs électeurs et ont mis trop longtemps avant de récuser formellement la solution de la rébellion pour conquérir le pouvoir au Burundi. En outre, ces partis politiques ont mis trop de temps avant d’affirmer qu’ils utiliseront exclusivement les moyens démocratiques et pacifiques pour essayer de réussir l’alternance politique lors des élections de 2015.
La voie de la sagesse a donc prévalu grâce à l’intervention « amicale » des Nations Unies. Il est heureux que la classe politique, gouvernement et opposition confondus, ait accepté la démarche de l’organisation internationale et que la plupart des chefs des partis politiques en exil aient eu le courage de rentrer au pays afin de participer à la l’atelier de la paix de Bujumbura. L’esprit d’Arusha ne souffle pas encore avec force, mais l’espoir est permis !
Les défis à relever
Les dossiers prioritaires abordés au cours de l’atelier portent essentiellement sur les préparatifs des élections de 2015, sur la révision de quelques articles de la constitution et de la loi électorale, sur la liberté des partis politiques à organiser leurs activités à travers le pays et à rencontrer leurs militants sur le terrain. Les autres défis importants figurant sur la feuille de route élaborée pendant l’atelier portent notamment sur le rôle des femmes dans les institutions de la république.
Cependant, cette feuille de route comporte un non-dit capital. Une question cruciale ne figure pas explicitement sur la liste des objectifs à atteindre alors qu’elle constitue un enjeu déterminant. Pierre Nkurunziza briguera-t-il un troisième mandat ou non ? Pour le moment, l’opposition attend probablement de recevoir du gouvernement la liste des articles de la constitution qui seront soumis au Parlement pour révision. Si l’article concernant la limitation à deux mandats présidentiels figurait parmi ceux qui seront soumis à la révision, alors il est probable que l’opposition sorte du bois et des tranchées. Le feu sera mis aux poudres ! Si la constitution du Burundi était révisée afin que les mandats des présidents ne soient plus limités à deux législatures, alors il existe un risque réel de rupture de confiance entre le gouvernement et l’opposition et les bénéfices du « mini Arusha organisé à domicile » pourraient voleront en éclats.
Le chef de l’Etat a déjà levé un coin de voile sur cette question cruciale. « Si le peuple me le demande…Si le parti propose ma candidature … », telle est, en substance, la réponse que le président de la République a donnée aux journalistes d’Africa 24 et de RFI qui lui demandaient s’il avait l’intention de briguer un troisième mandat en 2015.
Au passage, il convient de rappeler que le peuple burundais, en adoptant la constitution actuelle par référendum avant les élections de 2005, s’est déjà exprimé sur cette question. Le président de la République, élu exceptionnellement par le Parlement en 2005 et par le peuple au suffrage universel direct en 2010, n’a pas le droit de dépasser deux mandats.
Souvent, dans les pays africains, l’entourage du chef de l’Etat, constitué de thuriféraires inconditionnels, fait pression pour que la constitution soit révisée par une Assemblée nationale et un Sénat soumis à l’Exécutif afin de changer les règles du jeu politique. Les entourages des présidents africains les poussent ainsi à la faute politique afin de garder leurs positions et leurs avantages au sein de l’administration. De ce fait, les présidents africains atteints par le syndrome gbagbolien de Côte d’Ivoire, essayent de s’incruster au pouvoir et de faire croire que c’est à la demande insistante du peuple qu’ils s’accrochent. Ces présidents décrédibilisent la démocratie africaine, affaiblissent la légitimité de la présidence et ouvrent les portes à tous les soudards illuminés qui sommeillent dans les casernes africaines.
En outre, en Afrique, les opinions publiques sont de plus en plus remontées contre les tripatouillages des constitutions pour rendre les présidents inamovibles dans leurs postes. Abdoulaye Wade du Sénégal l’a appris à ses dépens. L’exemple du Mali devrait aussi faire réfléchir la classe politique burundaise.
En effet, le Burundi souhaite envoyer des troupes au Mali comme il l’a fait en Somalie ou ailleurs. L’initiative est louable car le Burundi contribue ainsi à ramener la paix dans des pays en proie à la guerre. Il paye sa dette de reconnaissance. Cependant, avant de s’engager dans cette opération malienne, le gouvernement devrait d’abord analyser les raisons de l’effondrement de l’Etat malien. La situation politique au Mali a dégénéré spectaculairement avec le coup d’Etat du capitaine Sanogo qui a évincé le général Amani Toumani Touré, dit ATT, un héros de la démocratie pourtant car il a destitué le despote Moussa Traoré. Et le Mali était devenu un modèle d’alternance démocratique.
Mais auparavant et depuis plusieurs mois, ATT tergiversait et laissait filtrer des rumeurs qu’il allait faire réviser la constitution afin qu’il puisse se présenter pour un troisième mandat alors que la loi fondamentale malienne le lui interdisait. En outre, une corruption grave était dénoncée dans son entourage. Enfin, il n’existait pratiquement plus d’opposition au Mali. ATT privilégiait un faux consensus à l’africaine qui l’avait privé de propositions alternatives et d’instrument de mesure du blocage politique au Mali. La défaite de l’armée malienne aux prises avec les Touareg qui proclamaient l’indépendance de l’Azawad, le nord du Mali, a achevé de saper les fondements de l’Etat malien et la légitimité du régime d’ATT. Certes, comparaison n’est pas raison. Cependant, le blocage politique malien pendant les derniers mois du régime d’ATT n’a-t-il pas des similitudes évidentes avec la situation burundaise ?
Il serait donc sain que les acteurs politiques Burundais réfléchissent au risque de déstabilisation et d’insécurité que ne manquera pas de générer une opération politicienne douteuse pour faire passer en force un troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Il existe pourtant un exemple positif, à portée de main, dont Pierre Nkurunziza pourrait s’inspirer. Pierre Buyoya, pour avoir accepté sa défaite devant Melchior Ndadaye en juin 1993, est considéré actuellement par la communauté internationale comme un grand démocrate africain. Une opinion que ne partagent pas beaucoup de Burundais car nul n’est prophète chez lui. N’empêche, Pierre Buyoya, est sollicité comme médiateur-pompier dans plusieurs conflits politiques africains, en République Centrafricaine, en Mauritanie, au Soudan et actuellement au Mali. Parce qu’il a respecté avec élégance et courage le verdict des urnes.
Pierre Nkurunziza peut aussi entrer dans l’histoire de l’Afrique contemporaine comme un grand démocrate s’il ne brigue pas un troisième mandat. De toute façon, il peut être rassuré. La relève existe au sein du CNDD-FDD ou dans d’autres formations politiques. Des politiciens intègres, compétents, des intellectuels et des ingénieurs hautement qualifiés, des femmes et des hommes d’Etat, Hutu, peuvent gagner les élections de 2015, assurer paisiblement l’alternance politique, renouveler la classe politique et assurer la pérennité et la stabilité de la démocratie burundaise.
D’un conclave à un autre
Au Vatican, les cardinaux ont invoqué tous les saints du ciel avant d’entrer en conclave pour élire le nouveau pape François. Quels hommes, quelles femmes politiques burundais, sains d’esprit, sortiront-ils du conclave de Bujumbura, « the little Arusha » et s’engageront-ils vraiment pour préparer, dans la paix et la sérénité, les élections de 2015 ?
Si les Nations Unies réussissaient le pari de l’atelier de la paix, alors M. Parfait Onanga-Anyanga aura sauvé la démocratie burundaise et aura renoué avec la glorieuse intervention des Nations Unies en 1961 au Burundi. La commission Gassou et Dorsinville, envoyée par l’organisation internationale à la demande de Louis Rwagasore, a réussi à faire reporter les élections pour l’indépendance de janvier à septembre de cette année. La Tutelle coloniale voulait organiser les élections législatives dans la foulée des municipales gagnées par les formations qui préféraient une indépendance différée du Burundi. La Belgique exerçait la Tutelle sur le Burundi au nom de l’organisation internationale.
C’est donc largement grâce aux Nations Unies que le Burundi est devenu indépendant. Depuis 2005 pourtant, le gouvernement burundais, a malmené plusieurs Représentants Spéciaux du Secrétaire Général des Nations Unies exerçant leurs missions dans le cadre du BINUB d’abord et du BNUB ensuite. Il les a parfois congédiés sans égards ni façons. Le Burundi devrait-il « redouter les Nations Unies même quand celles-ci lui apportent le cadeau » de la démocratie et de la paix ?
Athanase Karayenga