Mme la Baronesse Catherine Ashton
Haute Représentante de l’Union européenne
pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité
Vice-Presidente de la Commission européenne
242, Rue de la Loi Bujumbura
Bruxelles, Belgique
Son Excellence M. S. De Loecker
Ambassadeur de l’Union européenne au Burundi
Chef de Délégation
Place de l’indépendance - Bât. Old east
Bujumbura Burundi
Bruxelles, le 29 avril 2013
Madame la Baronesse,
Excellence,
Au début du mois d’avril, l’Assemblée nationale burundaise a adopté un nouveau projet de loi sur la presse. Vendredi 19 avril, le Sénat a approuvé ce projet de loi par une majorité de 32 des 38 votes. Cette loi, une fois signée et promulguée par le Président de la République, limitera de manière significative la liberté d’expression au Burundi, et musèlera le peuple burundais en général et les medias en particulier. En effet, le projet de loi va dans le sens de vouloir priver les citoyennes et citoyens de tout recours à la presse pour dénoncer la corruption, les abus et les violations des droits humains.
Le Réseau Européen pour l’Afrique Centrale (EurAc) vous demande d’écouter les fortes objections exprimées par plusieurs secteurs de la société burundaise et d’appuyer leur demande adressée au Président de la République, Pierre Nkurunziza, de ne pas promulguer cette loi. En effet, l’Union Européenne a investi des sommes importantes dans la reconstruction du pays depuis les accords d’Arusha et a joué un rôle positif dans le processus d’organisation des élections en 2010. Dans le cadre de la coopération au développement, l’Union est un partenaire majeur et un bailleur important pour le Burundi.
EurAc salue la Déclaration locale de l’Union européenne qui soulève la nature restrictive de la nouvelle loi et la formulation vague de ses dispositions. Par moyen de cette lettre, EurAc souhaite amplifier le message de cette déclaration, tout en soulevant un nombre d’éléments qui sont spécialement pertinents pour notreréseau, et qui inquiètent particulièrement nos partenaires au Burundi.
Les conséquences de certaines dispositions de la nouvelle loi
La nouvelle loi sur les médias votée par les deux chambres du parlement Burundais va clairement à l’encontre de la liberté d’expression qui est un principe fondamental de la démocratie.
Le projet de loi prévoit, entre autres, qu’il peut être exigé aux journalistes de révéler leurs sources d’informations concernant les infractions en matière de sécurité de l’Etat, de l’ordre public, du secret de la défense et de l’intégrité physique et morale des personnes (article 17). En plus, les journalistes doivent s’abstenir de rapporter des informations qui pourraient affecter « l’unité nationale, l’ordre et la sécurité publics, la moralité et les bonnes moeurs, l’honneur et la dignité humaine, la souveraineté nationale, la vie privée des personnes, la présomption d’innocence » (article 18).
La loi crée aussi une « interdiction de diffuser des informations ou de publier des documents en rapport avec le secret de la défense nationale, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique, la stabilité de la monnaie, les manifestations publiques illégales » etc. (article 20). Les amendes pour des infractions à ces articles sont exorbitantes, allant jusqu’à 6 millions de francs burundais (3.000 euro environ).
Or, le droit à la liberté d’expression est garanti par la Constitution burundaise et les traités internationaux et régionaux de droits de l’homme, dont le Burundi est signataire. En outre, la liberté d’expression est incluse dans la stratégie nationale de bonne gouvernance. En résumé, cette loi va clairement à l’encontre des politiques et des traités qui garantissent la nature démocratique de l’Etat burundais.
Le contexte politique et électoral
Le fait que l’adoption de cette loi précède la période électorale de 2015 est significatif et fait écho aux harcèlements et menaces qu’ont subi les journalistes et d’autres voix critiques du gouvernement pendant et depuis la période électorale de 2010. Un tel traitement des journalistes et de ceux qui révèlent et dénoncent les assassinats politiques, la corruption et la mauvaise-gestion au Burundi a continué tout au long des années 2011 et 2012, et continue encore aujourd’hui.
EurAc est d’autant plus préoccupée par ces développements que l’on remarque une pression accrue sur l’espace démocratique en général. La loi sur la presse n’est pas la seule législation en cours de révision. La loi régissant la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) est en voie d’être révisée, ce qui suscite des inquiétudes de la part de la société civile burundaise et des partenaires internationaux. EurAc craint que la réforme des lois sur les asbl, et sur les manifestations publiques soient également restrictives, et portent à nouveau atteinte aux libertés démocratiques.
Les organisations de la société civile burundaise, y compris les partenaires d’EurAc et de ses membres, jouent un rôle clé dans le suivi de l’action gouvernementale et la protection de l’espace démocratique. Ces organisations risquent aussi d’être touchées par cette nouvelle loi sur la presse qui contient, à dessein, des dispositions et définitions très larges et vagues, ainsi que par les autres projets de loi qui sont en cours.
Recommandations
En tant qu’ONG européenne travaillant en partenariat avec la société civile burundaise, EurAc vous exhorte à dénoncer, dans le cadre des relations politiques et de la coopération avec vos partenaires burundais, cette loi et surtout ses implications sur la liberté d’expression et les médias au Burundi, ainsi que sur le droit de la population de s’informer de façon indépendante.
Concrètement, EurAc vous demande de :
• Faire suivre la déclaration faite par la délégation de l’UE au Burundi dans les meilleurs délais par un déclaration de la Haute-Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui dénonce aussi cette restriction des libertés fondamentaux et demande à la présidence Burundaise de renvoyer cette loi au parlement afin de permettre une deuxième lecture du contenu.
• Suivre de près la mise en oeuvre de cette loi, dénoncer les actes qui limitent la liberté de la presse (comme les attentats récents contre deux journalistes) et promouvoir les concertations entre les professionnels des médias et la société civile d’une part et les différents décideurs politiques d’autre part.
• Suivre de près les évolutions sur les autres projets de loi (régissant la CVR, les asbl, les manifestations publiques) et vous investir pour que ces lois soient conformes aux standards internationaux ;
• Inviter les différents acteurs concernés à mener des concertations dans un esprit apaisé, afin d’aboutir à une loi plus respectueuse de la Constitution burundaise, des Accords d’Arusha et des différentes Conventions ratifiées par le Burundi.
En vous remerciant d’ores et déjà de l’attention que vous portez à nos demandes, nous vous prions de recevoir, Madame la Baronesse, Excellence, l’expression de nos meilleurs sentiments.
Pour de plus amples détails :
Donatella Rostagno, Secrétaire Exécutif EurAc
Donatella.rostagno@eurac-network.org
Tél : +32 2 213 04 00
165 rue des Tanneurs - 1000 Bruxelles-Belgique
www.eurac-network.org
EurAc est le Réseau Européen d’ONG pour l’Afrique Centrale. EurAC compose de 42 organisations membres de 12 pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse) travaillant pour le développement et l’aide humanitaire en Afrique centrale.