Petite note sur l’arrêté n°1 du 10/6/2014 portant règlementation des débits de boissons, restaurants et autres établissements ouverts au public ainsi que de l’interdiction de la fabrication, la commercialisation et la consommation de certaines boissons et liqueurs.
Un petit commentaire du texte plus haut cité m’a été demandé. A la première lecture, le texte me parait poser beaucoup de problèmes. Il y en a qui tiennent à la légistique. J’en traite au point I. Il y en a d’autres, beaucoup plus graves, qui touchent à la constitutionnalité même de cet arrêté. J’en traite au point II. C’est à très bon escient que cette petite note expose ces problèmes dans leur ordre croissant de gravité. Lisez donc jusqu’au bout, 5 petites pages, ce n’est pas trop.
I. Problèmes généraux de légistique
1. L’intitulé et l’objet de l’arrêté
L’arrêté porte sur deux matières qui ne devraient pas être couvertes par un seul texte. La règlementation des débits de boissons, restaurants et autres établissements ouverts au public constitue, en effet, une matière très différente de l’interdiction de la fabrication, la commercialisation et la consommation de certaines boissons et liqueurs. Un texte ainsi conçu et rédigé pourrait donner l’impression que la fabrication, la commercialisation et la commercialisation de certaines boissons et liqueursdangereuses dont parle le texte ne sont interdites (deuxième objet du texte) que dans les débits de boissons, restaurants et autres établissements ouverts au public réglementés (premier objet du texte). Or, tel ne peut raisonnement pas être le cas.
2. Les visas du texte par rapport à son contenu
L’arrêté n’assume revoir qu’un seul texte. Ce n’est, en effet, que l’ordonnance n° 530/271 du 15.12.1976 règlementant les débits de boissons, restaurants et autres publics ouverts au public qui, dans les visas, est marquée « Revu ». A s’en tenir à leur présentation formelle, les autres textes visés ne constituent que des références. Ils sont, en effet, marqués « Vu ». Or, le contenu de l’arrêté-et même son objet dans l’intitulé-va beaucoup plus loin que la règlementation des débits de boissons, restaurants et autres publics ouverts au public. Le texte revoit aussi-sans le dire- la réglementation des matières régies par des ordonnances marquées « Vu. ».Mais plus fondamentalement, il interdit et érige en infraction la fabrication, la commercialisation et la commercialisation de certaines boissons et liqueurs. Cela n’était pas du tout dans l’ordonnance « revue ».
Un autre problème de forme par rapport aux visas de cet arrêté est qu’en principe, on ne vise pas un texte de rang inferieur. Un arrêté ne peut donc viser une ordonnance ministérielle. Cette remarque concerne uniquement les deux dernières ordonnances citées dans les visas : l’ordonnance ministérielle n° 750/090 du 6 février 2006 établissant les conditions d’exploitation d’un débit de boissons et l’ordonnance n° 530/271 du 15.12.1976 règlementant les débits de boissons, restaurants et autres publics ouverts au public. Les deux autres ordonnances apparaissant dans les visas ne viennent pas des ministres. Comme leurs dates l’indiquent (1911 et 1955), elles ont été prises avant l’indépendance du Burundi. Elles venaient du Gouverneur Général et celui-ci agissait, soit pour exécuter une législation belge (ordonnance législative), soit pour exercer un pouvoir réglementaire autonome (ordonnance du Gouverneur Général).
Enfin, alors que le texte brille par des renvois inutiles, des références très importantes sont omises. L’exemple en est la loi n° 1/10 du 3 avril 2013 portant révision du Code de Procédure Pénale. Aucune référence n’est faite à ce texte, ni comme « vu », ni comme « revu » alors que l’arrêté touche à des matières réglementées en premier lieu par cette loi. Il s’agit notamment de l’article 18 de cet arrêté qui déroge à l’article 88 du CPP organisant les heures de perquisition. Le problème de fond lié à cette omission est traité au point 6 de cette note.
3. L’article 1er, alinéa 2 de l’arrêté : le problème de la « responsabilité partagée » entre le mineur et le serviteur de boisson.
Dans son alinéa 1er, l’article 2 de l’arrêté interdit de servir une boisson alcoolisée à un mineur de moins de dix-huit ans, même accompagné par une personne majeure. L’accompagnateur pourrait être le père ou la mère, cela ne changerait rien. (… « En aucun cas…. »). A ce niveau, la règle est, de fait, très radicale mais elle ne pose pas de problème juridique.
Les difficultés naissent avec l’attribution de la responsabilité si cette règle est violée. Le texte dit : « La violation de cette disposition entraine la responsabilité partagée du mineur et de la personne qui lui a servi la boisson alcoolisée. » De quelle responsabilité parle l’arrêté ? S’agit-il de la responsabilité civile ou de la responsabilité pénale ? Le texte ne le dit pas. En lisant l’ensemble du texte cependant, l’on se rend compte qu’il s’agit bien de responsabilité pénale par ce que l’article 6 prévoit des sanctions pénales pour tenanciers contrevenants (amende et servitude pénale). De surcroît, l’on ne saurait parler de responsabilité civile que s’il y avait dommage, c.-à-d. si quelqu’un (une personne autre que le mineur lui-même) subissait un préjudice quelconque suite à la consommation de la boisson par le mineur. Cela n’est pas inimaginable mais si cela devait arriver, la solution viendrait du droit commun de la responsabilité civile. L’article 2, al. 1er vise donc bien la responsabilité pénale. Or, il se pose deux très grands problèmes :
Le droit pénal ignore le concept de « responsabilité partagée » : Lorsqu’une infraction été commise, chacun y répond individuellement en qualité d’auteur, coauteur ou complice. Les peines ne se « partagent » pas. La commission d’une infraction à plusieurs n’entraine pas comme conséquence le « partage » de la peine. Au contraire, dans la plupart des cas, la délinquance à plusieurs constitue une « circonstance aggravante » de l’infraction. Elle fonde l’accroissement de la peine que chaque participant à l’infraction aura à subir individuellement.
Les mineurs de moins de 15 ans sont pénalement irresponsables et ceux de 15-18 ans sont soumis à un régime pénal spécifique (articles 28-30 et 102-104 du Code Pénal). Outre que la responsabilité partagée n’existe pas en droit pénal, les mineurs de moins de 15 ans ne peuvent « partager » la responsabilité pénale qu’ils ne sauraient légalement avoir. Il est possible-et très probable- que le texte ne vise que les mineurs de plus de 15 ans. Même dans ce cas, le problème subsiste. Le Code Pénal soumet les mineurs à un régime répressif distinct de celui des adultes. En effet, entre 15 et 18 ans, les mineurs bénéficient de l’excuse atténuante de minorité et leurs peines- lorsqu’elles sont prononcées-sont réduites dans les proportions prévues à l’article 29 du Code Pénal. En outre, à l’encontre des mineurs, la législation pénale burundaise privilégie les mesures de rééducation (article 30 du C.P)et le travail d’intérêt général est obligatoirement substitué à toute servitude pénale de moins d’une année (article 103 du C.P).Il n’en va pas ainsi pour les majeurs.
Ainsi donc, à supposer même que le droit pénal connaisse le concept de « responsabilité partagée »-ce qui n’est toujours pas le cas-, les différences de régime entre les responsabilités pénales respectives du majeur et du mineur (15-18ans) rendraient impossible ce « partage ».
4. L’article 10 : Le problème de la détermination de boissons dangereuses
L’article 10 interdit la production et la commercialisation de boissons fermentées de préparation artisanale à base de sucre.
Il n’est pas sûr que ces boissons soient les seules dangereuses pour la santé. La sagesse aurait été ici de renvoyer la question au Ministère de la Santé Publique comme le fait l’article 489 du Code Pénal à propos des stupéfiants. Pour la détermination des « stupéfiants », le Code Pénal renvoie, en effet, à une ordonnance du Ministère de la Sante Publique-à mettre à jour périodiquement-.
Le danger d’une énumération figée est que l’on ne peut pas être exhaustif. Le génie du brasseur artisanal burundais viendra toujours à bout d’une quelconque énumération qui se prétendra limitative, à long ou à moyen terme. Or, dans un texte pénal, l’on ne peut s’offrir le luxe d’une énumération exemplative à l’image de celle à laquelle se livre l’arrêté en son article 10, en usant de la formule « entre autres ». La liberté individuelle n’est pas du tout protégée lorsque les règles pénales ne sont pas libellées avec précision.
Et puis, il y a un problème pratique sérieux qui peut sembler n’être que trivial : Qui connait la véritable composition chimique d’ « umunanasi », umukororajipo, « igiti », etc. ? Sait-on vraiment identifier ces boissons et les distinguer aussi bien les unes des autres que d’autres boissons « légales » ? Si le problème, c’est le sucre, à quelle quantité de sucre l’une ou l’autre de ces boissons devient-elle dangereuse ? Quel expert tranchera s’il y a contestation de la nature de la boisson devant le juge ?
Comme indique plus haut, la sagesse aurait donc été ici de renvoyer à une ordonnance du Ministère de la Santé Publique qui ferait une liste exhaustive de ces boissons, étant entendu que la liste en question devrait être continuellement mise à jour.
5. L’article 5 : Les pouvoirs potentiellement dangereux reconnus à l’Administrateur Communal
L’arrêté donne à l’Administrateur Communal le pouvoir de modifier les heures d’ouverture et de fermeture des débits de boissons et même d’ordonner leur fermeture si la préservation de l’ordre public le demande.
Ce pouvoir devra être exercé avec prudence au risque de faire subir un tort énorme à la commune. Il s’agit, en effet, d’énormes prérogatives dont l’exercice est soumis à une condition extrêmement vague (le maintien de l’ordre public). Ce pouvoir touche à l’exercice d’activités économiques très lucratives au Burundi. Si des décisions de fermeture de bistrots ou de restaurants devaient être prises à la légère et par après déclarées illégales par un juge (par ce qu’injustifiées, dans les faits), les communes pourraient en payer cher en terme d’indemnisation au bénéfice d’exploitants préjudiciés. L’administration ne pourra pas ici compter sur l’indolence-hélas habituelle-de l’administré. Les concernés ici sont des hommes d’affaires généralement avertis et outillés pour la défense de leurs droits.
6. Hiérarchie des normes : L’article du 18 de l’arrêté déroge à une disposition législative.
L’article 18 de l’arrêté investit les O.P.J du pouvoir de pénétrer à toute heure dans les débits de boissons, restaurants et autres établissements ouverts au public. Or, l’article 88 de la loi n°. 1/10 du 3 avril 2013 portant révision du Code de Procédure Pénale dispose que, sauf en cas de flagrance ou de menace grave à l’intégrité physique des personnes, « les visites des lieux et les perquisitions ne peuvent avoir lieu avant six heures et après dix-huit heures. »
Sauf dans ces deux hypothèses donc (flagrance et atteinte grave à l’intégrité physique des personnes), l’on ne peut procéder à une perquisition avant six heures du matin ou après dix heures. En habilitant tout OPJ à pénétrer dans ces établissements à toute heure et pas seulement dans des circonstances exceptionnelles, l’article 18 de l’arrêté déroge à une règle du CPP. Or, celle-ci est d’origine législative. La réorganisation de cette matière n’aurait donc pu se faire que par une règle de même rang que le CPP, c’est-à-dire une loi ordinaire.
II. Problèmes véritablement constitutionnels
1. Le pouvoir normatif du V.P : Le vice-président n’a pas de pouvoir règlementaire autonome
L’article 126 de la Constitution dispose :
« Les Vice-présidents prennent par arrêté, chacun dans son secteur, toutes les mesures d’exécution des décrets présidentiels.
Les Ministres chargés de leur exécution contresignent les arrêtés des Vice-présidents. »
Le Vice-président ne prend que des mesures d’exécution des décrets. L’arrêté dont question ici n’exécuté aucun décret.
Que le lecteur ne soit pas induit en erreur par les deux décrets dans les visas- le 100/125 du 19 avril 2012 portant organisation des fonctions du gouvernement et le 100/145 du 12.10.1995 portant réorganisation des services provinciaux-. Les deux sont des textes généraux et sans rien à voir avec l’article 126 de la Constitution.
Pour être encore plus clair, par rapport à l’article 126 de la Constitution, l’arrêté n’aurait été régulier que s’il y avait un décret portant règlementation des débits de boissons, restaurants et autres établissements ouverts au public et l’interdiction de la fabrication, la commercialisation et la consommation de certaines boissons et liqueurs ; et que l’arrêté avait été pris pour exécuter ce décret. Un tel texte n’existe pas. L’arrêté viole donc l’article 126 de la Constitution.
2. Le domaine de la loi : C’est la loi et non le règlement qui définit les infractions et prévoit des peines
Plusieurs dispositions de l’arrêté (articles 6, 11, 12, 13, 15, 16, 17) créent des infractions et des peines. Or, l’article 159, al. 3, 14ème trait de la Constitution place dans le domaine de la loi la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables.
Et que l’on ne s’y trompe pas : l’on n’est pas ici dans le domaine des amendes administratives. La loi reconnait en effet aux autorités administratives le pouvoir de fixer des amendes (articles 620-622 du Code Pénal). Elle encadre cependant elle-même directement ce pouvoir. Ainsi, le maximum d’une amende administrative est de cinquante mille francs burundais sauf dans les domaines fiscal et douanier, ainsi que dans la réglementation de change ou de caractère économique(article 620 du Code Pénal).
Du point de vue du droit constitutionnel, le problème avec cet arrêté n’est cependant pas le caractère excessif de ses amendes (1.000. 000 à l’article 12, par exemple). L’administration pourrait en effet se défendre en avançant le « caractère économique » de la matière. Le plus grand problème ici est que L’ARRETE PREVOIT LA PEINE DE SERVITUDE PENALE (LA PRISON). OR, AUCUN REGLEMENT NE PEUT LE FAIRE.
La légalité des peines-le corollaire de celle des délits- et surtout de la peine de servitude pénale est un principe sacré dans la quasi-totalité des Etats du monde. En droit constitutionnel burundais, elle fait, rappelons-le, l’objet de l’article 159, al. 3, 14ème de la constitution.
3. L’article 16 : L’administrateur communal qui devient juge.
L’article 16 confie à l’Administrateur communal une mission juridictionnelle. Il l’habilite à prononcer une peine subsidiaire de « travaux d’intérêt communautaires » (sic) d’une durée pouvant aller jusqu’à trois mois. Or, seul le juge peut prononcer une peine. Il importe peu qu’il s’agisse d’une peine principale, complémentaire ou subsidiaire.
L’article 205 de la constitution est, en effet, sans équivoque : la justice est rendue par les cours et tribunaux.
Conclusion : Le texte est susceptible d’être déclaré contraire à la constitution.
Ntahiraja Bernard.