Le 3ème mandat à la Présidence de la République est une question qui est plus politique que juridique : la Cour Constitutionnelle n’est pas compétente pour statuer sur l’inconstitutionnalité de l’Accord d’Arusha ou son interprétation, les députés et les sénateurs avaient un mandat spécial pour élire le Président de la République pour la période post transition.
Dans la suite logique du mouvement d’interdiction au Président Pierre NKURUNZIZA de briguer le 3ème mandat à la Présidence de la République, l’Accord Cadre pour la Restauration d’un Etat de Droit voudrait informer l’opinion tant nationale qu’internationale sur une question qui se révèle plus politique que juridique. L’Accord Cadre pour la Restauration d’un Etat de Droit voudrait apporter sa contribution dans la résolution de ce conflit qui est fondamentalement politique. Pour Pierre NKURUNZIZA et ses adeptes dont le discours est peu convainquant, la Constitution lui permettrait de briguer un 3ème mandat à la tête du pays sous prétexte qu’en 2005, il n’aurait pas été élu au suffrage universel, ce qui justifierait l’inexistence du premier mandat. Suite au tollé suscité par ces propos, l’opposition, la société civile, une grande partie de membres du parti présidentiel, toute la communauté internationale disent non à Monsieur le Président et lui rappellent que le 2ème mandat de Président de la République prend fin au mois d’Août 2015 et qu’il n’a pas le droit de se faire élire aux prochaines élections présidentielles qui sont prévues au mois de juin 2015.
Le chapeau de la Constitution du 18 mars 2005 en dit long : « Conscients de nos responsabilités et de nos devoirs devant l’histoire et les générations futures ; Réaffirmant notre foi dans l’idéal de paix, de réconciliation et d’unité nationale conformément à l’Accord pour la Paix et de Réconciliation au Burundi du 28 août 2000 et aux accords de cessez – le - feu ». Vu, conscient, affirmant, réaffirmant, proclamant… sont des formules de rédaction des textes de loi qui montrent que les textes de référence font partie intégrante de celui en voie d’adoption. Si par contre il s’agit d’une modification, d’un avenant ou d’une révision, qui sont proposées, les visas suivants sont utilisés : Revu, Reconsidérant… ».
L’Accord d’Arusha fait donc partie intégrante de la Constitution du 18 mars 2005. La tentative du Président Pierre NKURUNZIZA de se porter candidat aux prochaines élections du mois de juin 2015 entre en violation de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation et de la Constitution. L’Accord d’Arusha a été déposé auprès du Secrétaire Général des Nations Unies et du Secrétaire Général de l’Organisation de l’Union Africaine qui en sont les dépositaires et doivent veiller au respect de leur application : « Tous les documents finals sont rédigés en anglais, français et kirundi, les textes anglais et français faisant foi. Le texte français étant l’original, est déposé auprès du Secrétaire Général des Nations Unies, du Secrétaire Général l’Organisation de l’Unité Africaine et du Gouvernement burundais » (article 5 de l’Accord d’Arusha).
Au Protocole II Démocratie et bonne gouvernance, l’article 7.1 a) est ainsi libellé : « La Constitution stipule qu’à l’exception de la toute première élection présidentielle, le Président de la République est élu au suffrage universel direct, chaque électeur ne pouvant voter que pour un seul candidat …3. Il est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». L’article 20 point 10 du même protocole dispose : « Le premier Président de la période post - transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis, à la majorité des deux tiers ».
Que dit la Constitution du 18 mars 2005 ? Dans le strict respect de l’Accord d’Arusha, la Constitution en son article 301, alinéa 2 dispose : « A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post- transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers ».
« En cas de vacance du poste de Président de la République de la période post transition, son successeur est élu selon les modalités prévues par l’alinéa précédent » (Art. 301, alinéa).
La Constitution a non seulement réaffirmé les dispositions de l’Accord d’Arusha mais elle a aussi reproduit intégralement l’Accord aussi bien sur la question relative au mode d’élection du Président de la République et son double mandat. « La Constitution stipule qu’à l’exception de la toute première élection présidentielle, le Président de la République est élu au suffrage universel direct, chaque électeur ne pouvant voter que pour un seul candidat …3. Il est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».
Le Président Pierre NKURUNZIZA est le premier Président post - transition qui a été élu au suffrage indirect par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès conformément à la Constitution et à l’Accord d’Arusha : « A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post- transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers » (Article 301 al. 2de la Constitution).
Les articles 186 et 190 de la Loi n° 1/015 du 20 avril 2005 portant Code électoral sont venus renforcer les dispositions de l’Accord d’Arusha et de la Constitution en les reproduisant intégralement : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et secret pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois » (art. 186). « Par exception au principe énoncé à l’article 186 de la présente loi, le premier Président de la République de la période de post – transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès à la majorité des deux tiers » (Art.190).
La Constitution et le Code électoral toujours en vigueur, reproduisent les dispositions de l’Accord d’Arusha. Reste à savoir si la Cour Constitutionnelle peut modifier la donne et permettre au Président Pierre NKURUNZIZA de se porter ou être désigné candidat aux élections présidentielles prochaines. En vertu des articles 225, 228, 229,115, 157, 160,161, 188, 233, 234 et 296 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est compétente pour :
juger de la constitutionalité des lois et interpréter la Constitution (art.225) ;
statuer sur la constitutionalité des lois et des actes réglementaires pris dans les matières autres que celles relevant du domaine de la loi (art.228) ;
assurer le respect de la Constitution y compris la charte des droits fondamentaux par les organes de l’Etat et les autres institutions (art.228) ;
interpréter la Constitution à la demande du Président de la République, de l’Assemblée Nationale, du Président du Sénat, d’un quart des députés ou d’un quart des sénateurs (art.228) ;
statuer sur la régularité des élections présidentielles et législatives et des référendums et en proclamer les résultats définitifs (art.228) ;
recevoir le serment du Président de la République, des Vice - Présidents de la République et des membres du gouvernement avant leur entrée en fonction (art.228) ;
constater la vacance du poste du Président de la République (art.228) ;
contrôler la constitutionalité des lois organiques, des règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat avant leur promulgation (art.228) ;
assurer la consultation officielle lorsque le Président de la République veut proclamer par décret-loi, l’état d’exception (article 115 de la Constitution) ;
sauf en cas de force majeure, constater la régularité des délibérations de l’Assemblée Nationale et du Sénat si elles se déroulent dans des lieux inhabituels (art.157) ;
donner avis avant la modification par décret présidentiel, des textes de forme législative survenus en des matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi (art.160) ;
donner avis avant la modification par voie législative des textes de forme réglementaire (161) ;
décider en cas de doute ou de litige sur la recevabilité d’un texte de loi (188) ;
ensemble avec la Cour Suprême constituer la Haute Cour de Justice (art. 233, 234 de la Constitution) ;
déclarer qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution et que l’autorisation de ratification ne peut intervenir qu’après amendement ou révision de la Constitution (art.296).
Aucune disposition de la Constitution ne permettant à la Cour Constitutionnelle de contrôler ou d’interpréter l’Accord d’Arusha, la compétente pour sa modification ou son interprétation n’appartient qu’ aux signataires de l’Accord d’Arusha qui ont seuls le droit de dénoncer ou de renégocier l’Accord. Cela est d’autant plus vrai que même en cas d’inconstitutionnalité d’un engagement international qui comporte une clause contraire à la Constitution, l’on ne modifie pas l’engagement ou la convention. L’autorisation de ratification ne peut intervenir qu’après amendement ou révision de la Constitution.
Le 3 ème mandat du Président Pierre NKURUNZIZA serait donc contraire à l’Accord d’Arusha, à la Constitution et à la loi électorale. A ceux qui prétendent que les élections de 2005 n’engagent pas le peuple burundais, nous disons qu’ils oublient vite ou font semblant d’ignorer que la Constitution de 2005 a été adoptée par référendum et que de ce fait, le peuple burundais a donné une procuration spéciale aux députés et aux sénateurs d’élire en ses lieu et place le Président de la République. En tout état de cause, la question n’est pas du tout juridique. Elle est politique et la politique a, comme la nature, horreur du vide.
Fait à Bujumbura, le 7.4.2015
Pour l’ACCRED
Maître Gabriel SINARINZI